Quel est l'objectif pour toi sur cette Route du Rhum ?
Le but c'est déjà d'arriver en Guadeloupe. On ne part pas sur une transat pour s'arrêter parce qu'on s'est cassé un ongle. Il faut déjà passer de l'autre côté. On navigue depuis le Rhum 2014 en prévision de ce Rhum 2018 en essayant d'optimiser, de performer pour aller le plus vite possible. On a un bateau totalement prêt. Si on peut aller gratter un podium en plus, voire une première place, je ne vais pas me priver.
Peux-tu nous présenter ton bateau ?
Je passe beaucoup de temps au poste de barre. On n'a qu'une seule vitre de protection que je passe d'un bord sur l'autre. C'est un plexi développé par un de nos partenaires qui peut se plier à froid. C'est résistant et ça permet de gagner énormément de poids. Au portant je ne mets pas la vitre, c'est uniquement pour me protéger au reaching.
J'ai des instruments Garmin sur le bras de liaison : cap, vitesse, direction du vent réel et du vent apparent, force du vent. J'ai un retour dans le poste de barre et un autre sur l'écran qui est à l'intérieur de l'habitacle.
J'ai le traveller [chariot de grand-voile] à portée de main et je peux amener une écoute à côté de moi pour choquer en urgence.
Pour me reposer, je m'installe sur un pouffe dans la petite cabane. Mais je ne peux pas allonger les jambes sans les mettre dans la baille à bout. Je ne descends quasiment jamais en bas. Juste pour aller chercher de l'eau, de la bouffe ou pour trimbaler les poids en longitudinal. J'ai une petite protection sur glissière pour limiter le retour de vent. C'est le même plexi qu'au poste de barre, plié et mis en forme à froid. Mais dans tous les cas la vie à bord reste sport !
Sur la Jacques Vabre [course en double], la première nuit il y avait du vent, Alex [son équipier] a voulu dormir dedans. Je lui dis : "Tu ne vas pas y rester longtemps", il me répond : "Si si t'inquiètes". Donc il descend le pouffe et commence à s'installer à l'intérieur sur l'arrière. Impossible, trop de vitesse, trop de stress, tu es à quelques millimètres de l'eau. Donc il va s'installer sur le capot moteur. Il décolle 2-3 fois, il est remonté. On a fini comme des chiens dans une niche.
Qu'as-tu optimisé depuis la dernière Route du Rhum ?
Le bateau est dans une nouvelle version. Au niveau des manœuvres, on a optimisé l'enrouleur pour éliminer tous les frottements des emmagasineurs. On maitrise totalement les réglages de la quête du bateau. C'est une vraie grosse évolution. On a changé les safrans. On a des foils, c'est un gros changement. Les voiles sont neuves, très belles. Elles sortent de chez Incidence à La Rochelle. Ce sont des voiles en DFI, toute la panoplie du gennak' au code 0 en passant par le J3, tout est dans la dernière membrane de DFI. On en est vraiment super content.
On a aussi une petite arme qui pourrait s'avérer redoutable : la Bravo de Madintec. On n'est que 3 avoir ça sur le route du Rhum : Macif, Sam Davies et nous. C'est une toute nouvelle génération de pilote. C'est une centrale qui vient directement de la coupe de l'America qui accepte n'importe quel type de matériel : Garmin, B&G, NKE… On a pris ce qui nous semblait être le mieux en termes d'électronique. On l'amalgame sur une centrale et ça permet d'avoir un retour sur le pilote beaucoup plus rapide et plus concis sur les consignes. Et il y a le pilote développé par Madintec. On a failli l'avoir sur la dernière Jacques Vabre, mais il n'était pas suffisamment prêt pour qu'on puisse partir avec. Cette année on a travaillé avec eux pour développer ce pilote. Il marche vraiment exceptionnellement bien. Il est capable de relancer, de comprendre s'il est au près ou au portant. Si le bateau gite il va lofer jusqu'à ce qu'il soit à l'angle de gite requis. Au portant il va faire la même en abattant. Nos bateaux sont super light, la barre est essentielle pour relancer et aller vite. Tout est commandé par une application sur un smartphone Crosscall [téléphone durci].
L'intérêt est qu'on amalgame le vent apparent et le réel. Il va chercher à toujours garder l'angle de vent apparent. Sur la plupart des pilotes aujourd'hui, ils dépassent l'angle, du coup les bateaux accélèrent, le pilote va redescendre, se retrouver coller avant de remettre de l'angle derrière. Là on est beaucoup plus fin. On a un beau pilote automatique, mais c'est un proto donc il faut qu'on valide certaines choses.
L'année prochaine on va faire 2-3 choses dont je ne vais pas te parler tout de suite, mais j'ai idée en prévision du prochain bateau. On aimerait proposer des plans porteurs sur les safrans à la classe Multi50. On va faire des essais l'année prochaine. Ce n'est pas une grosse modif, mais ça permettrait de réguler le bateau en longi. On cabre pas mal et on manque un peu d'accélération et de stabilité longitudinale.
Pourrais-tu nous raconter ton meilleur souvenir sur une route du Rhum ?
Ça va être ma 4e. Le moment fabuleux, c'est l'arrivée. C'est extraordinaire. Les Guadeloupéens se sont approprié la Route du Rhum. C'est LEUR course. La plupart des courses, on arrive dans des endroits où les gens ne sont pas très concernés. Au Brésil par exemple, personne ne sait ce qu'il se passe. Quand tu arrives en Guadeloupe, les gens t'accueillent. C'est vraiment génial.
À chaque route du Rhum j'ai eu des accueils extraordinaires. Tu traverses la haie de gens, ils t'offrent des coups à boire. Tu arrives sur le podium tu es déjà décalqué. C'est festif.
Pourrais-tu décrire la route du Rhum en 2 mots ?
C'est la "course des multicoques". C'est un sprint sur l'Atlantique en Multicoque.
Pour toi et ce bateau, quelles vont être les difficultés du parcours ? En termes de météo, de stratégie ou personnellement ?
C'est le passage du Golfe de Gascogne qui sera la plus difficile. Avec le cap Finistère qu'il faut réussir à gérer et passer au plus vite. Ça risque d'être assez rapide sur les premières 48 heures. C'est là qu'on a le plus de trafic et de merdes dans l'eau. On peut aussi avoir une mer vraiment pourrie, surtout avec le temps qu'ils annoncent. C'est vraiment l'endroit où il faut être attentif.