Quel est ton objectif sur cette route du Rhum ?
Terminer ma course. Emmener le bateau entier à Pointe à Pitre avec le bonhomme entier dessus. Et après, faire la meilleure performance. Sachant que je pars sur un bateau de 3egénération. Par rapport aux nouveaux [NDLR les derniers Class40 construits sont de la 4egénération], on sait qu'il est moins rapide, mais on va essayer de se battre au mieux. J'ai quelques concurrents directs avec qui j'ai les mêmes performances : Morgane Poupon, tous les RC2 et quelques bateaux que je connais pour m'être entrainé avec eux.
Mais mon objectif c'est surtout de faire mieux que ma précédente Route du Rhum que j'avais faite en 21 jours. Si je termine entre 17 et 20 jours, je serai assez content de ma performance.
Tu as changé de bateau depuis ta dernière Route du Rhum, peux-tu nous présenter ta nouvelle monture ?
Mon ancien bateau était un Pogo 1 (le numéro 22) donc je courais en Vintage (2edans cette catégorie). Je voulais continuer dans la course au large et dans la Class40, mais il me fallait un bateau plus rapide. Le Pogo 1 était un chouette bateau, mais on était largué dès le départ. J'ai eu l'opportunité de reprendre l'ancien Matouba pour pas trop cher [NDLR : le Class40 de Pierre Brasseur] qui fait 5eà la dernière Route du Rhum. J'ai sauté le pas. Maintenant on va voir ce qu'il a dans le ventre.
L'équipe de Pierre Brasseur avait déjà bien optimisé le bateau, quasiment à 90%. Ils ont supprimé le ballast avant et ils l'ont installé à l'arrière pour le rendre un peu plus puissant au reaching. Comme mon bateau est assez pincé devant, il développe moins de puissance que les autres. Ils avaient changé et reculé le mat, avancé le moteur – maintenant le sail-drive est collé à la quille. Pour les écoulements c'est pas mal. Le parc batterie avait aussi été modifié. Je voulais un bateau où je n'avais pas grand-chose à faire à part naviguer.
Nous on a rajouté des bailles à matossage plus hautes et des bailles à matossage sur rail à l'arrière pour reculer d'autant plus les poids – ça c'est pas mal. Le matériel est bien rangé dedans, il ne bouge pas, il ne traine pas. Pour me maintenir en vie, on a mis des mousses sur les chants des cloisons parce que je ne te raconte pas les chtars qu'on s'est pris au début. Les mousses et les antidérapants par terre, ce sont les deux choses qui nous ont changé la vie. Avant tu te pétais la tête et après tu te prenais un vol plané au fond.
Plus un peu d'électricité et d'électronique, on était en B&G, mais bon … B&G fuck, ça marche bien que quand ça veut marcher. Plus personne ne sait faire fonctionner ça et j'ai eu une mauvaise expérience avec. Sur la 1000 milles des Sables, j'étais à 5 milles de l'arrivée, bien placé sous spi. Le vent monte, ça commençait à aller vite : 17-18 nœuds. Donc j'assure le coup, je vais à l'avant, je me mets bien vent arrière, écoutes choquées. Du coup le pilote ne sent plus de pression, donc il va chercher de l'appui et il se met à lofer… impossible de faire quoi que ce soit, j'étais devant à tenir la chaussette, essayer de me tenir. J'ai dû tout larguer. Ça m'a vacciné.
NKE je connaissais, j'y suis revenu. Je n'avais pas budgétisé ça, ça a fait un gros trou financier, mais la fiabilité de l'électronique ça simplifie la vie.
Nous on a surtout revu le plan de pont. Le cockpit est très grand. Ça ne gênait pas trop Pierre qui était grand aussi, mais pour moi qui suis petit je me noyais. Donc on a ramené toutes les manœuvres le plus au centre possible avec des déviateurs un peu partout pour que tout revienne sur le winch central et que tout ce qui est au centre puisse repartir sur les winches sur les côtés. Par exemple au portant je peux mettre l'écoute de spi sur un winch, l'écoute de GV sur l'autre et moi à la barre. J'ai tout sous la main. On a ajouté une drisse de spi et une amure pour ajouter un spi en plus du code 0 pour pouvoir faire des pilling. Enfin on a fait un réglage 3D du point d'écoute de foc. C'est un peu de ficelle, mais niveau réglage c'est vraiment bien, surtout au reaching. Je peux faire vriller, mettre du volume dans la voile… Avant, il n'y avait pas d'in-hauler et il était en direct. Chaque fois il fallait libérer le winch, muler, reprendre l'écoute. Tu perdais du temps. Maintenant, avec les démultiplications, même sous charge tu arrives à le régler. Tu es toujours en train de jouer avec.
Peux-tu nous raconter ton histoire personnelle avec la Route du Rhum ?
Je suis Guadeloupéen, donc j'ai grandi avec cette course depuis tout petit. J'ai vu pas mal d'arrivées à Pointe à Pitre. J'ai toujours trouvé ça magique même si ça ne m'a pas forcément donné envie immédiatement. J'étais sur d'autres supports (dériveur), mais en grandissant ça a commencé à m'intéresser. J'ai eu l'opportunité en 2010 de côtoyer de plus près la course au large. En 2014 j'avais un bateau et un budget qui me permettait de faire ma première transat. Finalement je me suis dit que j'aimais bien ça, j'aime bien me faire souffrir tout seul dans mon bateau. J'ai monté un autre projet un peu plus sportif.
Quel est ton meilleur souvenir sur la route du Rhum ?
Toutes les arrivées sont magiques. Mais mon meilleur souvenir en course, c'est le départ. Tu réalises : j'y suis ! Tout ça de préparation, de sacrifices, d'argent, tous ces bâtons dans les roues, toutes ces choses qui auraient pu mal se passer… mais tu es au départ. C'est magique !
Quand tu franchis la ligne d'arrivée… Il n'y a plus de mot… c'est juste "waouh, j'ai réussi". Même si tu n'es pas premier, c'est tellement énorme de monter ce type de projet. Les gens ne se rendent pas compte. Arriver au bout c'est une façon de remercier toutes les personnes qui ont cru en toi, qui t'ont aidées, qui t'ont épaulées, qui t'ont financées...
Comment décrirais-tu la Route du Rhum en quelques mots ?
"Encore envie d'y aller". C'est vraiment addictif ce truc. Ce n'est pas que la Route du Rhum, c'est toutes les courses au large. Tu as beau te faire mal, pester quand ça ne va pas sur le bateau, te dire "mais pourquoi je me suis envoyé là…". Je pense que c'est comme un accouchement pour une femme : quand tu as passé la ligne d'arrivée, tu te dis : "mais j'ai encore envie d'y aller".
Ce côté addictif vient du fait que tu as mis tellement d'énergie pour préparer, pour monter la course, pour trouver les budgets… C'est 4 ans de ma vie sur pause pour 20 jours de mer… Le rapport il n'est pas cool… donc tu as encore envie d'y retourner, de passer encore un peu de temps sur l'eau. "J'ai mis 4 ans de ma vie entre parenthèses que pour ça. C'est déjà fini ?!? C'est par où la suite ?!?". Le lendemain de mon arrivée, je me suis réveillé et … je n'avais rien à faire !
Quel est ton programme après cette route du Rhum ?
Après je monte un projet Vendée Globe 2024 : plus gros, plus rapide. En 2014 je ne pensais pas repartir. Mais le lendemain j'ai réalisé : "je vais reprendre mon boulot comme tout le monde, retour de la vie plan-plan". J'adore mon boulot – je suis éducateur spécialisé, je fais de l'insertion par le biais d'activités nautiques – je suis toujours sur l'eau. Mais avoir vécu tout ça et retourner bosser comme monsieur Tout-le-Monde. C'était dur. J'ai fait mon baby-blues, mon "bateau-blues". Donc après cette course je passe à autre chose. J'ai mis le bateau en vente.
Si je n'arrive pas à monter le projet : j'arrête. Je reste avec ma femme et ma fille. J'aurai fait deux Routes du Rhum en Class40, mais je ne passerai pas ma vie à ça.
Pourquoi avoir monté ce projet aux Sables-d'Olonne ?
C'est un concours de circonstances. J'ai fait Les Sables-Horta avec Stéphane Bry (de Saint Pierre et Miquelon) et j'ai trouvé l'accueil super sympa, des gens très gentils. Ils voulaient développer un Pôle course au large et comme j'avais une maison aux Sables ça tombait bien. Logistiquement c'était beaucoup mieux pour moi que Lorient ou ailleurs. J'y suis vraiment bien. Il y a moins de monde – même si ça présente aussi des inconvénients. J'ai pu monter ce projet tranquillement, apprendre à connaitre mon bateau… J'y ai rencontré des gens vraiment sympas comme l'équipe d'Arnaud Boissière, de Manu, les autres Class40 et l'armée des Mini. Et bien sûr je voulais aussi découvrir comment ça se passait dans une équipe d'IMOCA en vue de monter mon projet futur.