Peux-tu nous raconter comme tu es arrivé sur la Route du Rhum ? Ce n'est pas ton métier à la base.
Et ce n'est toujours pas mon métier ! Je fais partie du bon 1/3 des Class40 qui sont 100% amateurs. Je suis passionné de bateau depuis que je suis tout petit même si j'ai grandi à Dijon. On passait une grande partie des vacances d'été en Bretagne et mes parents et grands-parents faisaient du bateau. J'ai appris à en faire comme ça, par simple loisir. Puis en grandissant, tu fais du sport et j'aimais bien la compétition. C'est sans doute ça qui m'a emmené à la régate, en plus j'aimais vraiment être sur l'eau même si à la base c'était plus pour aller pêcher ou pour aller pique-niquer sur les iles. C'est la rencontre des deux qui fait que je me suis mis à la régate à l'adolescence. Quand tu commences après tu as toujours envie de faire un peu plus. Tu es toujours frustré de ta régate parce que tu ne l'as pas bien préparé et tu commences à te dire que tu aurais pu mieux la préparer. Une fois que tu as fait une transméditerranée, tu te dis que tu peux faire une Transgascogne et puis ça ne s'arrête jamais. Il y a 4 ans j'ai réalisé que je faisais toujours des projets un peu à l'arrache. Avec des copains avec un bateau loué au dernier moment… ça me servait surtout d'excuse pour justifier nos mauvais résultats. Du coup je me suis dit que faire un projet un peu plus structuré pouvait être pas mal pour savoir où j'en étais. J'ai hésité entre faire la Solitaire du Figaro ou la Route du Rhum. Au début je voulais plus faire la Solitaire, mais ce n'était pas vraiment possible avec mon métier. Ça prend trop de temps. La Route du Rhum me paraissait plus réalisable à long terme. C'est possible de se préparer sur ses congés et ses temps libres et surtout ça a plus parlé à mon employeur qui est Azeo. Ils m'ont dit : go ! Et ça a était le point de départ.
Donc tu n'es pas à temps plein sur ton projet et tu continues de travailler en parallèle ?
Oui, j'ai arrêté de travailler mercredi dernier (NDLR le 24 octobre 2018), juste 10 jours avant le départ ! Sinon jusqu'à maintenant, je préparais le bateau et le projet sur mes week-ends ou mes congés. J'ai acheté le bateau il y a un an et demi et depuis - à part 4 semaines cet été parce que je suis devenu papa et pour quelques mariages - tout mon temps est dédié au bateau. Je pense que j'ai navigué autant que des personnes qui ont monté leurs projets il y a 8 ou 9 mois, mais qui s'y sont mis à pleins temps. C'est l'avantage d'avoir commencé un peu plus tôt, j'avais plus de latitudes pour m'organiser et naviguer.
Pourquoi en Class40 et pourquoi ce bateau en particulier ?
La Class40 a vraiment réussi à mixer les pros et les amateurs. Ce sont des budgets abordables pour des bateaux qui sont quand même des bateaux de course au large avec de bonnes sensations. Je trouve que le compromis n'est pas loin d'être parfait. De plus comme la classe est assez restrictive, les bateaux qui ne sont pas de dernières générations ne sont pas totalement hors du coup. Mon bateau date de 2010 et il a déjà un beau palmarès [NDLR C'est un Tyker Evolution 2 construit par FR Nautisme]. Il a gagné la Jacques Vabre en 2011 avec Yannick Bestaven, puis a refait 3e ou 4e en 2013. C'est un bateau qui marchait bien et qui marche toujours bien. Et il est robuste. Quand j'ai lancé le projet, je ne voulais pas être dans la catégorie "vintage". Je voulais vraiment - même si c'est pour finir loin derrière - me mesurer au cœur de la Class40. Par contre je n'avais pas les moyens financiers d'avoir un bateau dernière génération et je trouvais que celui-là était un bon compromis.
Depuis que tu as le bateau, qu'as-tu modifié ? Tu l'as mis à ta main ?
Au début, je me suis plutôt dit que c'était à moi de me mettre au niveau du bateau pour commencer et puis on verra après. Ça, c'était en 2017. L'hiver dernier, j'ai fait un chantier, mais c'était principalement de la fiabilisation et de la remise à niveau. On a changé tout le parc informatique, les voiles et quelques aménagements de plan de pont, mais rien de majeur. C'est tout de même un bateau qui était bien pensé et comme je n'avais pas forcement d'expérience, j'étais plus dans l'état d'esprit de m'adapter à quelque chose qui fonctionne.
As-tu un souvenir marquant de la Route du Rhum ?
La Route du Rhum 1994, j'avais 10 ans et je pense que c'est la première course à la voile que j'ai vraiment suivie avec un peu intérêts. Je me souviens vraiment bien de l'arrivée de Yvan Bourgnon qui était complètement euphorique. Il est perché sur son bout-dehors avant même de passer la ligne. Il se met sur les mains sur sa coque. Je me suis dit que la course au large, c'était vraiment du plaisir, que c'était cool et grisant. Après je me suis mis à suivre toutes les courses (Vendée Globe, Jacques Vabre ….)
Comment décrirais-tu la Route du Rhum en quelques mots ?
C'est la "plus mythique" des courses. Ce n'est pas forcement la plus dure ni la plus longue, mais c'est la plus célèbre. Quand on est passionné de bateau et qu'on veut cocher quelques cases, on pense à la Route du Rhum. En Class40, c'est clairement la plus belle et j'ai vraiment envie de pouvoir dire : "J'ai fait la Route du Rhum". Je me suis rendu compte quand j'ai lancé le projet et quand j'en parle autour de moi que tout le monde connaît la Route du Rhum. Certes certains ne savent même pas d'où ça part ni où ça arrive, si c'est en équipage ou en solitaire, mais par contre tout le monde connaît la course. Quand tu dis que tu as fait la Route du Rhum, les gens disent "waouh".
Après le Rhum, quel programme pour toi et le bateau ?
Avec Azeo, l'objectif c'était la Route du Rhum. Azeo ça reste une PME, c'est un cabinet informatique qui a beaucoup aimé ce projet, mais ils ne peuvent pas se permettre de faire ça sur la durée. C'est un gros investissement. Du coup je n'ai plus de sponsors – d'autant que j'ai un autre sponsor qui s'est désisté il y a quelques jours. Pour le départ de la course, ça me met un peu dans le mal. J'entends pas mal de personnes me dire qu'on trouve des sponsors de dernière minute et j'espère que c'est vrai.
Me concernant, tout le monde me dit que je vais avoir envie de continuer alors je ne vois pas pourquoi je serais différent. De toute façon dans une régate, il y a que le vainqueur qui n'est pas frustré et vu qu'il y a de très fortes chances que je ne gagne pas… il y a de très fortes chances que je sois frustré et que j'ai envie de repartir. Oui, j'aimerais bien continuer.
Peux-tu nous présenter ton bateau ?
C'est un plan Verdier, la particularité de ce bateau c'est qu'il n'a que des varangues transversales. À haute vitesse le bateau bouge un peu. L'architecte dit que c'est normal. J'aime pas mal sa configuration avec les toiles de matossages. Je n'ai pas de bannettes, je préfère vraiment la formule fatboy, je peux le mettre ou je désire dans le bateau - ce qui est pas mal comme je suis partisan des petites siestes. Côté ballast c'est assez classique : à l'arrière et sur les côtés. C'est l'un des premiers bateaux qui était vraiment 100% à la jauge. C'est un bateau qui est hyper large à l'arrière, il a un gros cul. On met les poids à l'avant assez longtemps jusqu'à ce que le bateau soit bien lancé et là on recule les poids. Il faut vraiment qu'il sorte les fesses pour qu'il avance. Pour un bateau qui est de 2010, je n'ai pas trop de bricolage, il est propre, fiable.
J'ai des winchs Pontos, c'est cool, ce n'est pas la 3evitesse en tant que telle qui est sympa, mais quand tu empannes sous spi, ta 1revitesse est quasiment en direct. Tu embraques beaucoup plus vite et tu loupes moins tes empannages. Après ça ne me dérange pas de devoir aller à l'avant, au pied de mât où contrairement aux autres, j'ai mes drisses. L'amure de spi est aussi à l'avant.
Prêt à partir ?
Mon contrôle sécu était dimanche et tout est OK. Il manque juste la crème solaire dans le bidon de survie. Ils sont hyper méticuleux, ils m'ont fait ouvrir la perche IOR et effectivement la cartouche ressemblait à un obus de la guerre 14, toute rouillée ! Je vais devoir la changer. Je dois remettre mon aérien, revérifier les élastiques des chariots de grand-voile pour être sûr et puis regarder la météo de plus en plus. J'ai commencé à regarder depuis hier, mais ça n'arrête pas de changer.
Quelle va être la difficulté sur le parcours ?
Il y a une grosse dépression qui va arriver probablement 24 à 36h après le départ. Elle va clairement nous barrer la route pour aller au sud, en tout cas au début. On prévoit du prés dans le gros temps. On va probablement aller jusqu'à hauteur du Fastnet. Après la vitesse de déplacement n'est pas claire. Pour le moment elle se déplace hyper vite donc on n'aurait pas le mauvais temps trop longtemps, mais ça a le temps de changer. À tous les coups, elle sera sur nous pour le départ.
Au niveau personnel quelle va être la difficulté ?
Le bateau est un bon bateau, s'il y a du gros temps ça se gère en tant que tel. On ne s'est pas beaucoup entrainé dans le gros temps parce qu'il n'y a pas eu de vent depuis le mois de juin. De plus j'ai moins d'expérience. L'inconnu c'est ma capacité à un peu engager dans le gros temps, à y aller. Je vais me mettre assez vite sur la réserve et les autres vont partir devant. Je pense que ça ne va pas être facile à gérer, de se dire qu'avec la fatigue et le gros temps, il faut se forcer.