Quel est l'objectif pour toi sur cette route du Rhum ?
L'objectif pour moi il est assez clair, c'est de performer. Il y a 53 concurrents (NDLR 53 en class40) et 15 bateaux capables de gagner. Mais ce n'est pas un sport où l'on peut se dire : "on a le meilleur bateau, on s'est bien entrainé, on va forcément la gagner." Je vais quand même viser la plus haute marche du podium.
Le bateau date de 2015, comment l'as-tu fait évoluer depuis ?
Ce bateau est le proto de la série [Mach 40.3]. C'est un bateau de dernière génération de chez JPS. On a construit les moules en partant d'une feuille blanche et on est le premier à avoir fait toutes les évolutions, notamment au niveau des ballasts, qu'on retrouve sur les actuels Mach 40.3. On a été les précurseurs de toutes les évolutions de ce modèle.
Sur les ballasts, on a déplacé les volumes arrière. On a enlevé l'avant du ballast arrière qu'on a mis à l'arrière. On se retrouve avec un trou entre les deux caissons de ballast qui permet de matosser au vent.
On a aussi modifié les safrans et travaillé énormément sur les voiles.
Selon toi, quelle va être la difficulté de cette Route du Rhum en termes de stratégie, de météo ou au niveau personnel ?
J'ai l'avantage d'avoir déjà couru une Route du Rhum en 2014. Le départ est compliqué, les 7 premiers jours sont importants. Il y a 3 jours où il faut s'acclimater au milieu et il ne faut pas mettre la poignée dans l'angle. Sinon on se retrouve à la 4e ou 5e journée avec des mecs qui sont complètement cramés. C'est là qu'on peut faire la différence. Il faut être un peu sur la réserve tout en restant dans le match et commencer à vraiment accélérer fortement au bout du 4 ou 5e jour, au moment où on est déjà dé-Manché, dé-golfé et où on commence à toucher des alizées. À ce moment c'est l'autoroute du soleil.
C'est essentiellement une gestion de soi, mais bien sûr il faut aussi faire attention à l'environnement. Les deux premiers jours, il y a beaucoup de trafic, beaucoup de courant, des cailloux partout, mais ça c'est le même schéma sur toutes les transats qu'on fait. J'ai été percuté en 2016 par un cargo à 150 milles de la Bretagne. Ca marque, chaque fois j'y repense.
Quel est le souvenir le plus marquant que tu aies vécu sur la Route du Rhum ?
Le village c'est une ambiance particulière. C'est une ambiance où l'on a l'impression que tout le monde a envie de prendre un bout de rhum à soi. On est vraiment accaparé, d'autant plus que je suis Malouin, donc local. Un départ de la Route du Rhum c'est à vivre ! Le passage des écluses en 2014 c'était juste dingue. J'avais l'impression d'être un gladiateur qu'on envoyait dans l'arène.
L'arrivée est aussi exceptionnelle. C'était ma première traversée de l'Atlantique en solitaire, première grande course, quand on arrive et qu'il y a une trentaine de personnes sur le ponton qui t'attend, c'est incroyable.
Comment décrirais-tu en deux mots la route du Rhum ?
C'est un "sprint", et une vraie "aventure".
Peux-tu nous parler de l'association que tu soutiens ?
"Vaincre la mucoviscidose". Je l'ai connu tout petit, j'avais un voisin atteint de la maladie et qui a été greffé d'un cœur et d'un poumon. Aujourd'hui c'est un pote et il vit très bien. Quand j'étais gamin, on a œuvré sur la journée annuelle de l'association qui s'appelle "les virades de l'espoir" et quand j'ai monté mon projet Route du Rhum 2014, j'ai souhaité qu'ils hissent leur drapeau sur le bateau. De là on a été contacté par l'association France qui nous a demandé d'aller plus loin. Aujourd'hui on est porte-drapeau et ambassadeur de cette association au travers des océans.
Ta sophrologue est également sur le village, est-ce qu'il y a un lien avec l'association ?
Elle propose des temps de pause pour expliquer comment on peut se préparer grâce à la respiration qui manque parfois aux patients atteints de la muco. Elle travaille avec notre association qui est en lien avec "vaincre la mucoviscidose".
Depuis un an je travaille également avec elle. Sur la Jacques Vabres l'année dernière quand on était au coude à coude avec le deuxième, je n'arrivais plus à dormir parce que je ne veux pas dormir, je ne veux pas rater le moindre truc et aller vite tout le temps. Sauf que ça dure 4 jours où on est touche-touche donc il faut savoir se vider la tête et faire un break pour être plus performant derrière.
Peut-on faire un tour de ton bateau pour que tu nous le présentes ?
C'est un bateau de dernière génération qu'on a fini de construire et mis à l'eau en aout 2015. Il est en sandwich verre/époxy. C'est un bateau qui a une construction en structure d'œuf. Quand on prend un œuf dans le sens de la longueur et qu'on essaye de le casser, les efforts se répartissent, en revanche quand on le poinçonne ça casse très vite. Toute la structure est en bas, pour avoir un centre de gravité hyper bas et le pont ce n'est qu'un capot. Si on tire sur le tirant des points de tire des voiles d'avant, tout le passavant se déforme. Donc on est obligé de les reprendre en bas sinon le pont s'arrache.
Etant ingénieur en génie civil, j'ai plus bossé sur le pont. L'hydrodynamique je connais un peu, mais pas de là à dessiner une carène. En revanche le pont est vraiment à ma sauce. Le centre de gravité est hyper bas, il y a des tunnels à bouts, le cockpit est profond et bas, la taille du roof a été réduite – par rapport au Mach 40.2 c'est deux fois moins de volume, et j'ai souhaité avoir une protection maximale donc il y a zéro entrée de bouts sur les côtés au niveau des "oreilles" pour ne pas avoir d'entrée d'eau. On a vraiment simplifié le plan de pont, très peu de bouts pour réduire le poids et simplifier les manœuvres. On retrouve quand même l'ensemble des réglages 3D qui fonctionnaient bien : un seul réglage symétrique des deux côtés. Enfin, on a prévu de grosses évacuations d'eau [NDLR Le cockpit est fermé].
À l'intérieur, on a installé des postes de navigation à bâbord et à tribord dans les galeries sous les bancs de cockpit pour être au vent quand le bateau est gité. Sur le papier ça fonctionne, dans la pratique beaucoup moins … parce qu'on a eu beau tout essayer : de mettre des mousses, bosser avec un casque… on se fait défoncer. En fait on ne peut pas bosser là. Il n'y a qu'au portant quand c'est cool qu'on arrive à s'y mettre.
En 2015 on n'avait que ça, en 2016 j'ai rajouté un écran central au pied de la descente qui a aussi l'avantage d'être visible de l'extérieur et plus accessible.
Finalement, c'est le bateau qui a le record de distance parcouru en 24h. Je suis monté à 28.7 nœuds, et on fait 15.7 nœuds de moyenne sur 24h !