Chaque fois que Jean-Baptiste part en mer, je sais que je ne vais pas pouvoir entrer en contact avec lui. Je suis contrainte d'attendre, il n'y a que ça à faire. Seul l'AIS transmet la position du bateau que je peux suivre sur l'écran de mon téléphone. Mais ce samedi 6 octobre 2018 au soir, cela fait deux jours que je ne sais pas où est le bateau. L'AIS ne répond plus. Ce n'est pas la première fois que ça arrive, rien d'anormal donc je ne m'inquiète pas. L'AIS transmet la position, cap et vitesse du bateau via l'antenne VHF aux stations à proximité. De proche en proche l'information est relayée vers la terre et est publiquement disponible sur internet via des sites web tels que Vessel Finder ou Marine Traffic. Mais si le bateau est trop éloigné des côtes ou si la position n'est pas transmise, il arrive que l'on n'ait plus d'information.
Un appel du CROSS dans la nuit
Mais cette fois ce n'est pas pareil. J'ai passé l'après-midi à avoir un pressentiment, la sensation que quelque chose n'allait pas. Je consulte la météo qui ne me rassure pas, vigilance orange à rouge annoncée. Mais je ne peux qu'attendre … Pour faire passer le malaise, je décide d'aller me coucher à 21h.
21:40, mon téléphone sonne. C'est un numéro commençant par 02 : la Bretagne. Je réponds, c'est le CROSS (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage). Cela ne présage rien de bon.
L'opérateur m'explique que le bateau de Jean-Baptiste a émis un signal de détresse. Ce signal arrive alors que plus tôt dans la soirée Jean-Baptiste avait déjà pris contact avec le CROSS pour annoncer qu'il avait déjà chaviré une première fois. Cependant lors de ce dernier contact tout allait bien et il continuait sa route.
Comment réagir ?
L'opérateur du CROSS me demande s'il est équipé d'un téléphone Iridium - hélas non, c'est un Mini et c'est interdit dans cette classe – et me pose d'autres questions relatives à la sécurité à bord. Il m'apprend également qu'il ne sait pas comment va Jean-Baptiste, mais juste que le bateau se trouve au large de la pointe de Pennmarch'.
Après avoir raccroché, je ne peux m'empêcher de réfléchir et de stresser, d'imaginer Jean-Baptiste blessé ou pire tombé à l'eau. Je réalise qu'il se passe quelque chose de grave sans savoir quoi faire. Dois-je appeler ses parents tout de suite ? Attendre d'avoir plus d'informations ? Je finis par me décider à appeler sa famille sans parvenir à les joindre. La tête remplie de questions et d'inquiétude, je contacte ma sœur qui connait aussi l'univers de la voile, cette passion dévorante qui fait que des hommes partent naviguer seuls en pleine mer. Je lui explique la situation et lui dit que je devrais sans doute prendre la direction du Finistère, car il est probable que Jean-Baptiste soit conduit là-bas. Autant prendre de l'avance et être sur place le plus tôt possible ? Après de longues minutes à essayer de me raisonner, ma sœur me convainc de ne pas prendre la route de nuit dans ce vent qui souffle fort. Je lui promets de ne partir qu'au petit matin.
Comment se changer les idées ?
Néanmoins je suis toute seule à la maison et je tourne en rond et ressasse ce qui vient de se passer. Pour me vider la tête, je pars retrouver une amie pour ne pas être seul.
Je la retrouve dans un bar sur le port des Sables-d'Olonne où il y a un concert, les gens font la fête, mais dehors le vent souffle très fort et je ne peux m'empêcher d'imaginer Jean-Baptiste tombé à la mer dans la nuit, balloté par les vagues et peut-être blessé.
Mon amie essaye de me changer les idées, mais je n'y arrive pas, je suis rivé sur mon téléphone, espérant avoir de bonnes nouvelles venant du CROSS.
Au bout d'un quart d'heure, je reçois un texto de la mère de Jean-Baptiste: "Zut j'ai raté ton appel, je te rappelle demain sauf si c'est urgent". Je la rappelle immédiatement. Je lui explique la situation malgré le peu d'information dont je dispose : le bateau a démâté, le CROSS n'a pas de contact direct avec lui.
Elle me propose de rappeler le CROSS pour avoir plus de nouvelles. Il est 23 :00 et cela fait déjà 1h30 que je n'ai pas de nouvelles fraiches. Cela m'a paru une éternité, le temps s'est arrêté. Je rappelle le CROSS, il m'annonce qu'un hélicoptère de la Marine nationale est parti sur zone et qu'il me rappellera sitôt qu'ils l'auront récupéré.
Je suis le relais familial
J'en informe la famille de Jean-Baptiste et retourne dans le bruit retrouver mes amies qui tentent plus ou moins maladroitement de me rassurer. "Mon dieu, ça doit être horrible, si ça se trouve il est dans l'eau avec la tempête" : Merci de me rassurer Justine… Je patiente jusqu'au prochain coup de fil du CROSS, toujours autant figée devant mon téléphone. Il faut essayer de penser à autre chose, se persuader qu'il va bien, que l'hélico est en route et que c'est déjà une bonne nouvelle.
Par chance, l'attente n'est pas aussi longue que la première fois : appel du CROSS qui m'annonce qu'il est à bord de l'hélicoptère et qu'il va bien. Il va être déposé à l'hôpital de la Cavale Blanche à Brest pour un contrôle médical obligatoire. Il sera sorti dans la nuit. Il m'informe également qu'ils ont laissé le bateau à la dérive. À ce moment-là, c'est bien le cadet de mes soucis !
Enfin passer à l'action
Je ne prends pas le temps de réaliser, je préviens immédiatement sa famille et organise son arrivée à Brest. Persuadé qu'il n'a pas son téléphone avec lui et qu'il sera coincé là-bas, trempé, épuisé et affamé. Je contacte une amie brestoise pour qu'elle aille le récupérer d'ici 30 minutes avec des affaires sèches afin qu'il puisse dormir chez elle et me laisser le temps de me reposer un peu avant de prendre la route.
Il faut maintenant aller dormir un peu avant de prendre la route tôt le lendemain matin. À peine arrivé à la maison, je reçois un appel de Jean-Baptiste : Il est chez sa tante à Brest. Au son de sa voix, il me semble aller bien et me raconte ses aventures. Je réalise que mon amie doit toujours être en train de l'attendre à l'hôpital. Oups !
Je prends la route dès 7h le lendemain matin pour le retrouver à Brest. Ce n'est qu'une fois avec lui que je prends conscience de tout ce qu'il s'est passé.
La pression retombe enfin.
Retour du bateau au port
Le bateau sera récupéré dès le lendemain par un marin mandaté par l'assurance. Mardi matin, soit 3 jours après le démâtage, il est à quai à Lorient pour être sorti de l'eau. J'ai eu beau le maudire et le détester toute la soirée, le voir abimé sans son mât, écorché par un bateau de pêche qui l'a accosté, je ne peux m'empêcher d'avoir de la peine pour "lui". Tout compte fait, il fait un peu partie de la famille.