Éric Tabarly n'était pas seulement un grand marin, c'était aussi un visionnaire. Lorsqu'il dessina Pen Duick III en 1966, une goélette de 17,45 m, il avait en tête un double programme : participer à la Transat anglaise en solitaire de 1968 ralliant Plymouth à Newport, mais aussi naviguer sur les courses anglaises du RORC (Royal Ocean Racing Race) en équipage et donc concevoir un bateau répondant à la jauge anglaise. Le RORC est un club nautique britannique fondé en 1925, et principal organisateur de courses au large du Royaume-Uni dont la célèbre course du Fasnet ainsi que l'Admiral's Cup
Contrairement à Pen Duick II construit en contreplaqué, Pen Duick III sera en duralinox, un alliage d'aluminium très peu utilisé en course-croisière, mais permettant de gagner en légèreté tout assurant la solidité de la coque. Or, en solitaire, la légèreté est un allié important. Le gréement goélette (généralement composé de mâts, mais pouvant aller jusqu'à 7) composé d'un mât de misaine et d'un grand-mât permet également de diviser la voilure, rendant ainsi les manœuvres plus faciles pour un seul homme. C'est d'ailleurs le seul bateau de toute la flotte de 1967 à posséder la configuration d'une goélette avec deux mâts de hauteur identique. Le cockpit sera court et étroit tandis que la carène à double bouchain, dessinée par Éric Tabarly, est une petite révolution. C'est un des premiers bateaux océaniques à planer au vent arrière par forte brise.
Avec ses deux bouchains, l'un à angle vif et l'autre arrondi, son étrave à guibre permettant d'éviter l'ajout d'un bout-dehors, comme l'explique son concepteur, et son lest constitué d'un voile épais en aluminium de 8 cm d'épaisseur prolongé par un trimmer ainsi qu'un bulbe en forme de torpille, cette coque est novatrice. Elle sera d'ailleurs testée en bassin de carène de l'ENSM de Nantes, tout comme le lest, dont six modèles de profil ont été testés en bassin.
Esthétiquement, Pen Duick III attire les regards avec son maître bau imposant – 4,21 m –, sa coque tulipée à l'avant et ses extrémités fines, caractérisées par un petit tableau arrière. Son gréement goélette est remis au gout du jour par le marin, alors qu'il avait été délaissé depuis longtemps, mais surtout, son atout sera sa misaine, dont la surface n'est pas prise en compte par le RORC, institution chargée d'établir un système de calculs afin d'attribuer des handicaps pour que différents bateaux puissent courir ensemble. Le voilier a la coque noire a d'ailleurs deux misaines. L'une petite (36 m2), totalement lattée se porte au louvoyage (succession de mouvements permettant de rapprocher le voiler de l'axe du vent), tandis que la seconde, non lattée, mais envoyée grâce au wishbone (bôme double), est à bordure libre et très grande (93,60 m2). Ce gréement évolutif lui permet d'utiliser la grande misaine à bordure libre pour le largue et le vent arrière et la petite misaine lattée pour le près.
Construit aux Ateliers et Chantiers de La Perrière de Lorient, le voilier sera mis à l'eau le 3 juin 1967. Mais finalement, le grand marin n'utilisera jamais Pen Duick III pour courir sur la Transat Anglaise en solitaire, lui préférant Pen Duick IV, le premier grand multicoque océanique.