Qu'est-ce qui vous a réunis sur cette course ?
Alan Roura : Son expérience au large qui est impressionnante. En termes de palmarès il n'y a pas photo. En termes de personnalité, il n'y a pas photo non plus. C'est quelqu'un de simple, d'humble, de gentil, d'agréable à vivre. C'est très important. Mais finalement on ne choisit pas un "co-skipper", on choisit un "skipper". Il n'y a pas de "co". On est deux au même niveau, on fait une course ensemble.
Frédéric Denis : On est arrivé dans la même idée. On a la même vision des choses. Pour moi il n'y a eu d'hésitation au moment où il m'a proposé. Par contre il y a eu un temps d'assimilation. Le temps que ça monte au cerveau. Mais finalement ça n'a pas pris longtemps. C'est une super expérience. On va vivre une aventure de fou. En plus, on va vers le chaud donc c'est bien. Il commence à faire frais et humide ici. C'est le moment de se barrer.
Vous aviez déjà navigué ensemble avant cette course ?
Frédéric Denis : On a couru l'un contre l'autre, mais jamais ensemble sur le même bateau. On s'est rencontré via la Classe Mini. Alan l'a fait en 2013 et moi en 2015. Le groupe des ministes c'est un peu une grande famille. On a couru la mini Fastnet l'un contre l'autre.
Alan Roura: On avait vachement d'amis en commun donc on se croisait, on était des connaissances avant de se lancer. Puis on s'est "rapproché" au fur et à mesure du temps. La mayonnaise a pris tout de suite.
Sur cette Jacques Vabre, quel est votre objectif ?
Alan Roura : Déjà on a le même : Aller de l'autre côté !
Frédéric Denis : Oui, il faut traverser. Le bateau est jeune dans l'équipe. C'est déjà une super réussite de pouvoir s'aligner sur la Jacques Vabre. Après, on est deux régatiers donc forcément une fois sur l'eau, on est là pour tout donner. On verra, on ne se lance pas dans des pronostics. On est là pour faire de notre mieux. Le bateau a du potentiel pour faire un bon résultat. Mais sur le plateau, il y en a pas mal qui connaissent bien mieux leur bateau.
Alan Roura : On ne s'engage pas trop, on va se battre contre les bateaux de notre génération : les bateaux à dérive. L'idée c'est de faire un podium de cette génération.
Alan, tu peux nous parler de ton nouveau bateau ?
Alan Roura: Depuis le Vendée Globe, on a changé. Sinon on aurait fait un podium général évidemment, ça aurait été trop facile ! Avant c'était Super Bigou, un bateau de 2000. On a remis ce bateau à l'eau il y a 3 mois, c'est le bateau de Bertrand de Broc : MACSF qui a tourné autour du monde. L'idée c'était de l'avoir tôt pour pouvoir naviguer. En double sur le Jacques Vabre, c'est une expérience géniale pour pousser la machine.
C'est une bonne boite, une bonne coque. La quille, le mât et l'ensemble du bateau sont bien. C'est un bateau qui a toujours bien marché. Même s'il n'a jamais gagné, il a toujours été dans le match. C'est aussi le seul à ce moment-là qui restait à la vente avec outrigger. Je voulais un gréement "thonier". Donc ça plus ça plus ça, fait que quand on regarde ce qu'il y a sur le marché, on se retrouve avec ce qu'il reste. Mais en fait j'ai toujours bien aimé ce bateau. C'est un bateau qui m'a toujours plu par son esthétique et sa performance.
Et puis bien sûr il y a le côté budget. Ça participe au choix final.
Est-ce que vous avez fait évoluer le bateau depuis l'achat ?
Frédéric Denis : c'est surtout une remise à niveau. On l'a pris en l'état, on a fait quelques évolutions, mais minimes. Mais l'idée, c'est de le découvrir et de prendre le temps de réfléchir aux évolutions. La chance d'Alan, c'est d'avoir de la visibilité jusqu'au prochain Vendée Globe en 2020. En 3 mois, on ne pouvait pas révolutionner le bateau donc pour le moment on a remis tout au propre, tout carré et fait quelques petites évolutions. Maintenant on a ouvert le cahier des charges pour la suite. L'objectif : mieux le mettre à la main d'Alan et le faire évoluer en performance.
Vous avez pour projet d'ajouter des foils sur ce bateau. Qu'est-ce que ça implique ?
Alan Roura : Je n'ai jamais navigué sur un foiler pour l'instant. Donc concernant la façon de naviguer, va falloir réapprendre. C'est vraiment différent.
Le bateau et sa structure vont subir quelques modifications. On ne va pas rajouter de la structure, mais presque en enlever parce que c'est un bateau qui a été construit très costaud. Ce sont surtout pas mal de renforts à prévoir sur le pont, comme les chandeliers. Le bateau va aller beaucoup plus vite, il va prendre beaucoup plus d'eau donc il y a pas mal de points à modifier. Il y a des contrôles à faire sur la quille, il faut découper une partie de la coque pour installer les foils ... C'est un dossier monstre. C'est 4 à 5 mois de chantier à terre. On va vider le bateau, il n'y aura plus rien à l'intérieur.
On ne va pas trop toucher à l'accastillage. Ce n'est pas nécessaire de changer pour changer, pour l'instant ça marche. On change les pièces fatiguées, mais si ça marche, on ne touche pas. C'est aussi une question de coût. C'est bien de changer, mais à un moment ça revient à acheter un bateau neuf ! L'idée, c'est de le remettre propre, d'optimiser les performances. Cette année, on a vachement bossé sur le pilote du bateau. Enfin Fred surtout …
Frédéric Denis : Oui c'est mon domaine ça. Je suis rentré dans la course au large via mon diplôme d'ingénieur en électronique. J'ai ces deux casquettes : préparateur électronique et navigant.
Alan Roura : Ce qui est pratique. L'électronique c'est la bête noire des navigateurs !
Comment va s'organiser la vie à bord sur cette course en double ?
Frédéric Denis : c'est un mix entre le solitaire et l'équipage. C'est-à-dire qu'il y a forcément dans la journée une phase de bilan et de définition des objectifs à venir. Ça peut être pendant un repas, mais ce n'est pas prédéfini. Ça dépend des phases de la course. Il faut vraiment identifier les phases où il faut être lucide, où il y a des manœuvres compliquées, des zones d'instabilités, etc. … Et il y a des phases où c'est tout droit, on va pouvoir plus se reposer et se rétablir. En fonction de tout ça, on va choisir le moment dans la journée pour se poser, faire le bilan et voir l'avenir. Mais en dehors de ça on est deux solitaires qui se croisent. Il faut optimiser le repos. Il ne faut pas être tous les deux sur le pont si les conditions ne l'imposent pas pour avoir les batteries pleines au moment où le bateau en aura besoin.
Alan Roura : Fred il aime bien le routage et la météo. Il connait vraiment bien ça. Moi j'ai un Vendée Globe derrière moi, mais pas avec des systèmes différents, pas les mêmes fichiers, etc. … Donc c'est vrai que je vais me reposer sur lui sur ce domaine, mais à chaque fois les décisions sont prises en concertation. Chaque décision sur le bateau, on les prend à deux.
Frédéric Denis : c'est un peu la force de notre duo. Très rapidement en naviguant on a trouvé notre place, on n'a pas eu besoin de se concerter. Alan est vraiment à l'aise sur l'état de santé du bateau, les check d'accastillages, les voiles et naturellement il fait le tour. Et moi je vais pouvoir aller chercher le matériel pour la prise de décision : aller chercher de quoi faire tourner un routage. Mais au final la prise de décision se fait toujours tous les deux.
Vous pouvez nous présenter le bateau ?
Alan Roura : Pour l'instant la particularité de ce bateau c'est qu'on est un des seuls qui flotte ! Les autres volent. Sinon il n'a rien de spécifique, il n'a rien de plus que les autres.
Frédéric Denis : c'est le seul plan Finot de la course. Il est très fiable. Au niveau structurel, il n'a jamais eu de soucis. On peut aller dans le gros temps avec, pas avoir peur de tirer dessus. Il est bien né.
Quel est le programme après la course ?
Frédéric Denis : j'ai un projet de Vendée Globe en 2024. Faire une transat Jacques Vabre, c'est le meilleur entrainement et la meilleure visibilité pour mes projets futurs. C'est en se créant une expérience et en voyant comment ça se passe qu'on apprend. On croise du monde. Mais j'en suis aux prémices. Je cherche un sponsor, je tisse des liens. C'est un milieu où il faut se créer un réseau, faire parler de soi. Il faut être actif pour créer l'opportunité. Ça reste un budget assez important. Mais c'est très intéressant, il y a beaucoup d'entreprises qui y sont depuis un certain temps et qui y restent. Il y a un plan de communication qui est très efficace avec la voile.
Alan Roura : Pour moi le programme jusqu'à 2020 : participer à toutes les courses. L'idée c'est de faire la Route du Rhum l'année prochaine, puis la Transat Jacques Vabre 2019 et le Vendée Globe 2020. On verra si on a le budget d'une Barcelona World Race. La course est intéressante, mais ça coute une blinde. C'est loin d'ici et il y a la Route du Rhum qui se termine en même temps que le départ de la Barcelone. J'ai privilégié le Rhum. C'est une course qui me tient à cœur. Comme beaucoup de marins, je ne l'ai pas fini. Certains l'ont tenté des dizaines de fois sans y arriver. J'ai vraiment envie d'y arriver. Donc le programme est bien chargé si on ajoute les régates d'avant saison qui se passent en Bretagne et qui permettent de s'aligner avec d'autres IMOCA.