Comment vous êtes-vous préparé pour ce grand voyage ? Avez-vous suivi un entrainement spécial ?
Malheureusement, j'ai dû apprendre à utiliser une arme et à tirer pour me protéger des ours qui pourraient me menacer. Un apprentissage très difficile pour moi parce que je ne suis pas du tout chasseur. J'ai eu la chance d'être entouré par le GIGN à Paris, qui n'utilise leur arme que pour se défendre et il a fallu que je trouve une arme, ici en Alaska, où ce n'est pas autorisé.
Au port, je suis à côté d'un bateau autrichien qui va partir en même temps que moi et qui m'a raconté des récits sur les ours polaires. À trois reprises ils ont dû mettre le moteur pour s'échapper des animaux qui leur fonçaient dessus à toute vitesse. Or, je n'ai pas de moteur, et il y aura de nombreuses zones sans vent. J'espère que je n'aurai pas à l'utiliser.
Sur ce voyage, ce qui m'a complètement obsédé, c'est la préparation du bateau. On y a passé au moins 4000 heures. Dans le Grand Nord, en cas de problème technique, ça devient l'enfer de bricoler les mains gelées et en déficit de sommeil. J'ai fait sans concession tout ce que j'avais envie de faire sur le bateau. Il est parfait et on a tout fait pour limiter la casse. Si on me demande ce que je veux rajouter, la réponse est rien. Je n'ai jamais été aussi prêt sur le point technique.
Sur le plan physique, j'aurai pu faire plus en faisant des stages de préparation en Alaska ou en montagne. Mais je ne serais jamais aussi bien préparé. Je compte sur mes capacités. Je suis un peu une force de la nature. Je ne serais jamais prêt comme Mike Horn a pu l'être. J'y vais aussi pour apprendre, ça va être intéressant, je vais découvrir le froid et voir comment je le supporte. Je ne peux pas tout maitriser avant, mais je vais revenir très enrichi.
Comment comptez-vous gérer votre sommeil ?
Pour être bien, il faut dormir avec vue sur l'horizon. Donc je compte dormir par période de 5 à 20 minutes. Ça ne pourra jamais être très long. On peut dormir souvent, mais toujours en regardant devant. Mais en moyenne, on a besoin de dormir environ 3 à 4 heures, sinon, ça devient très difficile.
Je me suis préparé à ça sur mon précedent tour du monde, notamment sur la Mer Rouge. C'était la meilleure expérience que je pouvais avoir. Tu ne pourras jamais reproduire la même chose à terre.
J'ai également une grande force – que j'ai découvert lors de mes navigations en course au large – c'est de pouvoir m'endormir en quelques secondes quel que soit l'environnement. J'ai la capacité de ne pas perdre mes capacités et la fatigue ne m'a jamais dégradé.
Ici, ce sera encore plus difficile, car il faudra gérer en plus le froid, qui peut t'empêcher de dormir. Je vais donc essayer de dormir quand il fait le plus chaud possible. Je pourrais des fois rester deux jours entiers sans dormir, mais quand le soleil arrivera, il faudra se coucher. Je vais donc gérer mon sommeil en fonction de la température, ce qui sera difficile sans prévisions météo.
Comment comptez-vous gérer le froid et l'humidité ?
Je me rends compte que le froid c'est un grand risque, notamment en cas de casse ou de chute à l'eau. L'ambiance humide est permanente, car l'eau est à zéro degré et le ressenti du froid est terrible. Sur la banquise, l'air est froid, mais sec. Sur l'eau, il n'y a pas de possibilité de se réchauffer, malgré ma tente, qui est d'ailleurs plutôt un sac de couchage.
En 2012, j'ai eu l'expérience au cap Horn. Pendant 3 jours de navigation, nous étions transis de froid. On avait pris de l'eau dans la combinaison, or le Gore-Tex est étanche une trentaine d'heures à l'eau salée, mais seulement 3 heures à l'eau douce, qui traverse plus facilement la membrane. Et dans les pôles, l'eau est plus douce...
Soit j'ai l'opportunité de me changer – ce que je compte faire deux fois par jour – soit il faut rester plusieurs jours mouillé.
Quelles modifications avez-vous apportées à "Ma Louloute" ?
Le catamaran (NDLR un cata de sport non habitable de 6,30 m de long, 4 m de large) n'a pas été changé pour le chavirage. Il suffit de réduire la toile et d'anticiper les changements. On a fait des modifications par rapport aux obstacles qu'on peut rencontrer. Les étraves sont désormais en kevlar, mais le bateau reste en composite. Le nez du bateau a été renforcé, le tangon changé, et des mini ailes installées sur les bancs pour se protéger du froid.
Le bateau est très puissant et c'est toujours surprenant. J'ai une coque de 6 m de long avec un mât de 12 m de haut. C'est un mât de Diam24, avec une surface de voile très importante. J'ai un rapport poids/puissance très proche de ces petits bateaux et pour autant je ne suis pas dans le même environnement.
On a aussi changé le pilote automatique qui a mal fonctionné sur le tour du monde. On a essayé d'intégrer complètement le pilotage automatique et de le rendre étanche. Un travail difficile parce que l'humidité est permanente. On croise les doigts.
J'ai aussi amélioré mon système pour mouiller plus facilement. J'ai deux mouillages au lieu d'un.
A l'origine du projet, vous aviez prévu de partir à deux, pourquoi avoir changé d'avis ?
60 jours, c'est un peu le délai limite où tu peux partir à deux sans te brouiller. Sur une compétition comme la Barcelona World Race, ça peut se faire, tu ne mets pas ta vie en danger. Sur ce défi, je sais que ça va être compliqué et très limite. Or, à deux, je savais que je risquais de ne pas aller au bout sur le plan humain. Je me suis habitué à la solitude.
À force de discuter avec des gens et d'apprendre que les tempêtes étaient rares et que le mouillage était possible (pas trop de fond) facilement, je me suis dit que je pouvais gérer la traversée seul. Même si c'est sûr qu'en double, tu peux surveiller plus facilement.
La côte est un danger permanent, mais si j'en ai vraiment besoin, je peux aller mouiller pour me reposer et repartir.