C'est la triste histoire de Vendredi 13, le trois-mâts de légende, véritable patrimoine de la voile, imaginé par le navigateur français Jean-Yves Terlain en 1972 et premier voilier de 39,13 m à être construit pour une transat en solitaire. Qualifié "d'impossible à naviguer par un homme seul", le géant termina second à l'Ostar de 1972, puis participa à la course de 1976 et à la première édition de la Route du Rhum, en 1978, avec Yvon Fauconnier comme skipper. Puis, il entama une seconde vie dans la croisière de luxe dans les Antilles.
Malheureusement, en 1994, il termina sa vie, échoué, à l'abandon, squatté et vandalisé sur le parking de la base sous-marine de Bordeaux (Lire ici l'article). Ce n'est qu'en 2013, suite à un appel d'offres de cession des bateaux de l'ancien Conservatoire International de la Plaisance (CIP) de la ville de Bordeaux, que l'épave trouva son nouveau propriétaire pour 1 € symbolique. La coque noire devait être découpée, et prendre place au futur Musée de la Marine et de la Mer de Bordeaux de Norbert Fradin.
Mais en 2015, Bertrand Quentin, Président de l'association Rêves de Sens, convainc Norbert Fradin, le nouveau propriétaire, de finalement sauver le bateau pour lui redonner la possibilité de renaviguer prochainement. L'association ouvre alors un important chantier de restauration à Bordeaux et tout le monde croyait en la belle histoire, revoir le bateau mythique sur les eaux. Malheureusement, un conflit éclate le propriétaire et l'association.
Bateaux.com s'est entretenu avec Sébastien Quentin, en charge des relations presse de l'association Rêves de Sens, en charge de la restauration de Vendredi 13.
Bateaux.com : Quel est l'historique entre votre association et Vendredi 13 ?
Sébastien Quentin : En 2013, Bertrand Quentin apprend que le Vendredi 13 gît sur la base sous-marine de Bordeaux et que la ville, propriétaire, ne s'en occupe pas. Il effectue un déplacement pour expertiser le bateau, ce qui lui permet d'affirmer que la restauration est tout à fait possible. On a entendu beaucoup de rumeurs disant que ce n'était pas le vrai Vendredi 13, mais on s'est renseigné auprès des anciens skippers qui nous ont confirmé que c'était le vrai bateau. En réalité, personne ne voulait s'en occuper et la ville trouvait des prétextes pour justifier l'abandon d'un joyau du patrimoine maritime français.
Bertrand Quentin s'est renseigné auprès de la mairie, qui lui a expliqué que la cession du voilier, même pour 1 € symbolique, ne pourrait se faire qu'à travers un appel d'offres. Bertrand s'est donc porté candidat de l'épave noire avec dossier complet de reprise d'un lot de bateaux. (NDLR Vendredi 13 appartenait à un lot complet de bateaux).
En 2015, il reçoit une réponse négative du maire adjoint de la ville de Bordeaux et il apprend par voie de presse que le bénéficiaire est M. Fradin, sans plus d'explications. Mais il s'avère finalement que le propriétaire avait prévu de découper la coque du voilier pour en faire une pièce interactive dans son musée. Bertrand l'a donc contacté pour le convaincre de le rénover pour qu'il puisse naviguer dès juillet 2015. Demande acceptée par le propriétaire qui met alors en place un contrat entre l'association et le fonds du musée. Les travaux débutent en septembre 2015.
Qui a pris en charge les travaux de rénovation du Vendredi 13 ?
Le fonds du musée de la Mer et de la Marine de Bordeaux (NDLR Projet de musée privé lancé par le promoteur immobilier Norbert Fradin et propriétaire du voilier) a investi 89 600 € pour sa rénovation. Cette somme a permis – entre autres — de déplacer la coque pour commencer les travaux. Mais depuis, tous les travaux du voilier ont été à la charge de l'association, soit plus de 430 000 €, dont certains ont travaillé à plein temps depuis le début du chantier.
Norbert Fradin souhaite que le chantier soit terminé pour la fête du Fleuve de Bordeaux en mai 2017. Or, pour vous, les délais sont impossibles à tenir et le budget inadéquat ?
Oui tout à fait. Le 16 février dernier, l'association a fait parvenir à Norbert Fradin un dossier d'expertise (historique du partenariat, tableau financier, ainsi qu'une proposition d'un nouveau cadre contractuel) afin de mettre en place une nouvelle convention de partenariat. Ce dossier est resté malheureusement sans réponse.
En 2015, M. Fradin nous avait assuré qu'il déposerait le dossier auprès de fondations... L'association s'est alors lancée dans les travaux sans avoir bouclé le financement complet du projet.
Devant l'engouement du projet, l'association a reçu des propositions de financement pour aider à la rénovation du voilier. Une levée de fonds devait même aboutir en mai 2016, mais M. Fradin n'a jamais voulu qu'elle soit mise en place.
Pire encore, il s'est avéré qu'il n'a jamais voulu que nous menions nos opérations de communications autour du trois-mâts. On avait également la possibilité de faire un partenariat pour sortir des bouteilles de vin à l'effigie du voilier ou encore de vendre des paniers de la mer de produits bretons, mais encore une fois, nous n'avons pas eu le droit d'utiliser l'image du Vendredi 13.
Mais pourquoi avoir commencé les travaux de rénovation sans budget ?
Nous sommes sans doute en faute. C'est vrai. La restauration de Vendredi 13 était un projet qui nous passionnait. Au moment, de la signature du contrat, on a reçu le premier financement ainsi qu'une reconnaissance de dettes. Mais finalement, il s'est avéré qu'on devait rembourser les sommes avancées par le musée, une fois qu'on aurait trouvé des subventions.
En quoi consistait le contrat ?
L'association Rêves de Sens a signé un premier contrat le 13 novembre 2015, avec des représentants du fonds du musée. Aujourd'hui, le contrat nous impose de nombreuses obligations avec peu de contreparties, qui ne nous permettent pas de travailler correctement.
Les rapports avec le propriétaire ont toujours été conflictuels, mais ils se sont vraiment aggravés lorsque l'association a demandé un avenant pour être en mesure de terminer les travaux. Le propriétaire a même cherché un nouveau chantier en mesure de reprendre les travaux, mais il n'a trouvé personne. Les coûts des travaux de rénovation par un chantier naval professionnel sont estimés à plusieurs millions d'euros, bien au-dessus du budget que peut proposer une association de bénévoles comme la nôtre.
Dès le départ, on a trouvé incompréhensible que le propriétaire ne s'investisse que si peu, et qu'il profite autant d'une association. Nous nous sentons trahis, l'association devait être responsable des futures navigations.
Où en est le projet ?
Pour nous, le projet est arrêté. La coque vient d'être bâchée par son propriétaire, comme si le bateau s'apprêtait à prendre une nouvelle route. Au moins, il est à l'abri des intempéries en cette fin d'hiver.
Pourquoi cette prise de parole aujourd'hui ?
Avant tout pour lancer un cri d'alarme devant notre situation, avant que le propriétaire ne fasse l'annonce de la fin du chantier. Ensuite, on a besoin de fonds pour reprendre le chantier que nous ne voulons pas abandonner. L'association a proposé au propriétaire de revoir de façon plus équitable le contrat. Depuis, on n'a plus de contact avec lui. Je pense que c'est assez clair !
On croise les doigts pour avoir que le voilier ait encore un avenir et qu'il puisse encore naviguer.