Sébastien Destremau est journaliste sportif, habitué des régates, mais pas de la navigation en solitaire, qu'il a testé "une dizaine de jours" pendant toute sa carrière de "voileux". Il s'est lancé le 6 novembre 2016 à l'assaut de son premier Vendée Globe à bord de TechnoFirst — FaceOcean, un IMOCA de 1998, dépouillé de tous les artifices pour qu'il soit le plus simple possible… Son objectif était de partager son tour du monde – d'une durée de 3 mois ½ — avec le plus grand monde possible, en prenant son temps, mais en bouclant son tour du monde ! Avec un passage de l'Équateur le 19 février 2017, 43 jours après Armel le Cléac'h, Sébastien Destremau commence à trouver le temps long, surtout qu'il est encalminé depuis trois jours au large du Brésil, à plus de 3200 milles de l'arrivée… Il va également devoir gérer ses vivres, car il a découvert avoir "perdu un sac de nourriture entier quand mon bateau s'est inondé, suite à un tuyau débranché. Avant ça, j'avais de quoi tenir juste jusqu'au 4 mars… mais j'arriverai plus tard, peut-être vers le 10."
L'occasion pour nous de publier l'interview du marin, réalisée 15 jours avant son départ des Sables-d'Olonne…
C'est votre première participation au Vendée Globe, qu'est-ce qui vous a motivé à y participer ?
J'ai participé en tant que conseiller technique, au début de la rédaction du film En solitaire, avec François Cluzet, sorti il y a quelques années. Ça m'a intéressé plus qu'un simple spectateur ou journaliste. Et puis, en 2012, au moment du départ du dernier Vendée Globe, j'ai trouvé le moment tellement fort que j'ai décidé d'y participer ! Ça m'est tombé dessus comme ça !
Vous n'êtes pas issu de ce milieu-là ? Vous aviez déjà fait de la course au large ?
Non pas du tout. J'ai fait 20/25 ans de régates en tant que professionnel, du type Coupe de l'America. J'ai plutôt fait du sprint alors que le Vendée Globe c'est un marathon. Ça n'a rien à voir !
J'avais fait un peu de course au large en faisant le Fastnet ou des Sydney Hobart ou un petit peu de Volvo, mais pas de grandes navigations. La plus longue période que j'ai passée en mer c'est 11 ou 12 jours et encore c'est arrivé une fois. Ce n'est quelque chose que je ne faisais pas tous les jours !
Vous partez avec un vieux bateau, de la génération 2008. Quelle est votre ambition ? Votre état d'esprit ?
D'abord, je souhaitais partager mon aventure avec le plus grand monde possible. Je suis un peu le journaliste du jeu Virtual Regatta et je souhaitais mettre en corrélation le virtuel et le réel.
C'est aussi un immense défi personnel que de se mettre devant ce précipice que peut être le Vendée Globe. Pas simplement la course en elle-même, mais aussi l'ensemble du projet : la phase préparatoire et la phase de course. C'est un très gros défi personnel qui représente plusieurs années de préparations pour 3 mois de course. Le Vendée Globe ça ne commence pas le 6 novembre 2016 !
Comme vous n'avez pas forcément d'expérience, vous avez choisi un bateau très simple. Qu'est-ce que vous avez fait pour vous simplifier la navigation ?
Je ne dirais pas que ça va rendre la navigation plus facile. Un bateau très simple ne rend pas la navigation facile. Mener un bateau ce n'est pas le plus compliqué quand on sait faire du bateau depuis tout petit. Avoir un bateau simple c'est une idée générale du projet qui est "Au plus le bateau sera simple, au moins il y aura d'artifices et d'options qui font peut-être aller le bateau plus vite et donner plus de facilité des manœuvres au skipper, mais qui demandent énormément de mises au point et d'entretien." Or sur une course comme le Vendée Globe, à partir du moment où l'on n'a pas d'objectifs de résultats parce qu'on sait qu'on ne peut pas le gagner, l'objectif c'est de le finir.
Pour le finir, l'objectif c'est d'avoir un bateau le plus simple possible, dépouillé de tout artifice qui peuvent vous péter à la gueule. C'est un concept. Ça ne veut pas dire que c'est simple, ni que ça tiendra tout du long, mais tout ce qu'on a n'a pas, on ne le cassera pas !
Mais votre bateau techniquement, a la capacité de finir le Vendée Globe ?
Ce bateau-là a terminé 4 fois le tour du monde sur 5 tentatives donc il connait la route. Après est-ce que je vais casser quelque chose en sortant du golfe de Gascogne ? Ça, c'est autre chose.
Comment vous êtes-vous préparé, sachant que vous aviez un des plus petits budgets sur ce Vendée Globe ? Et qu'est-ce que ça change ? (NDRL : 350 000 €)
On compte chaque euro que l'on dépense et l'on fait très attention de ne pas partir dans des voix qui pourraient couter de l'argent sans donner de résultats. Au fur et à mesure que l'argent rentre, on engage des travaux ou des modifications. C'est une gestion au jour le jour pour les fournisseurs et pour que tout le monde soit payé, pour qu'il n'y ait pas de dettes. Mais on n'engage pas plus que ce que l'on a.
Parfois c'est frustrant parce qu'il y a des choses qu'on aimerait bien avoir ou des soutiens qui viennent très tard, mais c'est comme ça. Et puis ce n'est grave. C'est la nature du projet lui-même qui est comme ça.
On aurait aimé avoir plus d'argent, mais ça voudrait plus dire plus d'ambition et plus de pression. Or aujourd'hui, on n'a aucune pression de nos partenaires sur ce que l'on doit faire ou pas. On a les coudées franches et on gère notre projet au quotidien.
Avez-vous réussi à trouver suffisamment de sponsors pour partir ?
Carrément ! On a 43 partenaires donc 6 principaux, notamment le premier : TechnoFirst. On a réussi à réunir le budget que l'on s'était fixé pour partir avec un bateau en bon état et du matériel suffisant. C'est vrai que la casse du mât il y a 1 mois ½ nous a mis la pression et que le bateau n'arrive pas aux Sables-d'Olonne dans un état parfait. Mais on a encore 15 jours pour terminer.
Quelle est votre plus grosse appréhension sur ce Vendée Globe ?
Le 6 novembre à 10 h 25… Au moment où on quitte le ponton et les deux heures qui suivent. Il faut que les gens se rendent compte que c'est 3 ou 4 ans de réflexion et de mise en place d'un projet et 18 mois de travail non-stop pour toute une équipe, avec une montée en pression importante avec des échéances, des difficultés comme le démâtage, mais aussi des joies… Tout au long de ce projet, on s'est bien marré…
Il faut dire que l'arrivée aux Sables-d'Olonne, avec un peuple de dingue c'est démentiel ! On est à deux semaines du départ et ça se bouscule sur les pontons… Toute cette pression monte jusqu'au jour J… On est l'avant-dernier bateau à rejoindre le chenal.
Le jour J, à 10 h 25, on largue les amarres et on se barre… Et là on se retrouve avec 10 personnes, votre entourage proche, qui vous amène jusqu'à la ligne de départ et deux heures après tout le monde débarque… En l'espace de deux heures, vous passez d'une hystérie complète aux Sables-d'Olonne à seul… Ça, ça fait peur ! Ce moment fait peur, mais après on rentre dans la routine et on fait du bateau.
Ce moment-là, il craint… Et ça, c'est la première étape… Après, la deuxième étape, c'est l'arrivée… Après 3 mois, où l'on s'est occupé que de son nombril et de ses 6 min 2 s on se retrouve dans le monde des terriens… Bien sûr il y a la joie de revenir et de retrouver son entourage, ses proches, mais aussi l'agression du monde, du bruit, des embouteillages, des klaxons et tout ce que l'on n'a pas en mer… Ça doit faire drôle… Enfin on verra quand y sera ! On a le temps d'y réfléchir ! (rires)
Comment gérerez-vous l'éloignement familial pendant 3 mois ?
On a plein de systèmes de communication à bord pour garder le lien avec son équipe et sa famille. Mais pendant 3 mois on est ultra égoïste, rien ne nous importe, à part la santé de nos enfants bien sûr… rien de ce qu'il se passe à terre ne nous importe. On a besoin d'être centré sur nous-même et sur le bateau pour que ça continue d'avancer et d'aller jusqu'au bout…
Emmenez-vous un objet insolite ?
Non, rien du tout. Je n'ai pas besoin de robot ou de peluche… J'emmène un bon duvet et une bonne cuisine et en avant Guingamp…
Comment vous remonterez-vous le moral ?
Si on a une baisse de moral, on appelle quelqu'un… Je n'ai pas besoin d'artifices… Je ne lis pas, je n'ai pas besoin d'écouter de la musique… Appeler quelqu'un, c'est quand même mieux… On est quand même un peu tout seul donc parler à quelqu'un de temps en temps me parait un bon remède.
Combien prévoyez-vous de journées de nourriture ?
120 jours : la moitié de lyophilisé et la moitié de nourriture normale. J'ai envie de bien manger… C'est aussi sympa d'éplucher une pomme de terre, de se faire un plat, d'essayer de se faire cuire ou de mixer quelque chose…
C'est sympa et ça fais passer un moment qui moi, ne m'ai pas désagréable et donc je le fais… Le temps je l'aurai ! C'est aussi lié au fait que j'ai un bateau simplifié à l'extrême… Je n'ai pas de tonnes de choses à faire même s'il y aura des choses à réparer, mais beaucoup moins que les autres… Ce n'est donc pas un problème de se préparer un bon plat de pâtes avec du parmesan…
Faut pas déconner, on va pas bouffer que du lyophilisé pendant 3 mois… Il y en a qui vont le faire parce qu'ils n'ont pas les mêmes objectifs que moi…
Aurez-vous des moments de détente, et comment allez-vous les occuper ?
Ça dépend des conditions, mais j'aime bien me mettre dehors et regarder la mer. Juste regarder la mer, regarder son bateau naviguer… Ça me permet de m'évader un peu… Je peux faire ça pendant des heures… C'est d'ailleurs à ce moment-là que j'écris des articles, des rapports de mer, des histoires…
Je vais d'ailleurs le faire avec des formats courts pour partager l'émotion qui est sur le bateau, avec des vidéos, des journaux surtout parce que c'est mon boulot de faire des journaux télévisés. Donc on va essayer de faire ça depuis la mer.
Avez-vous le mal de mer ?
Eh bien non… Je n'ai jamais souffert du mal de mer. Ce qui ne veut pas dire que je ne l'aurai pas…