Anticiper pour éviter les accidents
Être seul autour du monde pendant plus de deux mois représente un défi physique et moral. Mais ça l'est encore plus quand les skippers doivent mener leur monture très sollicitante. Et que dire de ses nouveaux bateaux à foils particulièrement durs à vivre, et de leurs mouvements violents. Avec les creux de la mer et les "talus", vagues qui font bondir même assis dans le siège du cockpit, les skippers naviguent dans l'inconfort. Et encore, ils sont protégés par la casquette des tonnes d'eau capables de vous éjecter contre les filières avec une force impressionnante. Le terme de sous-marin ou de machine à laver n'est pas surfait.
"Dès qu'il y a de la mer, le bateau tape beaucoup, on a du mal à se tenir debout, ça peut être violent. Il faut en tenir compte. Il faut anticiper et se protéger" explique Armel Le Cléac'h.
Il faut donc anticiper pour qu'une manœuvre ne tourne pas à la catastrophe et éviter de se faire mal, comme l'explique Jean-Yves Chauve, médecin de la course, depuis 30 ans au service des marins solitaires sur le circuit Figaro ou le Vendée Globe, ancien urgentiste à Saint-Nazaire.
"Il y a un accident parce qu'on a mal anticipé un mouvement du bateau, on a raté une prise, le risque est d'être projeté à l'intérieur ou dans le cockpit du bateau. Une décélération brutale peut engendrer une fracture, comme Yann Eliès en 2008."
Encore plus de risques sur les foilers
Sur les IMOCA à foils, le risque est encore accru. Les foils permettent de sustenter le bateau, mais dès lors qu'il y a de la mer, et que ce dernier va vite, il peut accélérer et décélérer en quelques secondes. Ces manœuvres obligent les marins à constamment se cramponner et à évoluer à quatre pattes, protégées par des combinaisons renforcées aux genoux et aux coudes.
"J'ai un gros matelas, des protections. J'ai des genouillères, des pantalons renforcés. Avec le foiler, il va y avoir des blessures qu'on ne connaissait pas avant. Il y aura des traumas comme des côtes ou des clavicules cassées, des bleus" explique Sébastien Josse.
Pour sa part, Jean-Pierre Dick comme d'autres marins, embarque un casque de rugby pour les conditions de mer et de vent toniques.
"Le bateau va plus vite, il accélère plus vite, et décélère plus fort aussi. Les foils engendrent un supplément de puissance à la plateforme donc forcément un surplus de charges sur le gréement, notamment sur les winches. Border une voile, c'est plus difficile et comme le bateau va plus vite, les chocs sont plus conséquents. Les déplacements sont difficiles, les appendices dans l'eau font pas mal de boucan. Ce n'est pas très rigolo… Il faut bien être conscient que ce n'est pas agréable à naviguer. Ce sont des bateaux de peine. Il faut juste être capable de vivre avec ça quelques semaines ou quelques mois. Les mains courantes aux bons endroits sont primordiales. Que le bateau aille à 20 ou 25 nœuds, quand on se casse la gueule, ça fait mal. Il y a des moments où il faut mettre le casque, des moments où il faut s'harnacher. On a continué à aller dans le sens des bateaux difficiles à mener. Ce n'est pas une nouveauté, mais ils le sont encore plus" explique Jeremie Beyou, skipper de Maître Coq, bateau à foils.
Bien dormir pour éviter les risques
"Faire abstraction de cet environnement agressif, c'est difficile. Et là est tout le problème : si on ne récupère pas bien, on tombe dans une perte de vigilance, et c'est la porte ouverte aux accidents" confie le docteur Chauve.
On sait que les solitaires dorment très peu (environ 5 à 6 h de sommeil en 24 h par tranche de 45 min à 2 h max.) mais ce sommeil doit être réparateur. Seulement, pas facile de dormir lorsqu'on est balloté de tous les côtés et constamment déranger par les bruits des bateaux. "Les bateaux font plus de boucan, car ça fait tambour, ça tape, et les appendices génèrent un sifflement. J'ai un casque antibruit pour dormir. Indispensable pour récupérer et ne pas accumuler de la fatigue" détaille Sébastien Josse.