Ce sera votre 3e participation au Vendée Globe, l'objectif après les deux dernières éditions c'est la victoire ? Vous n'avez pas trop la pression d'avoir le statut de favori et d'être attendu au tournant ?
L'objectif est de gagner, ça serait difficile d'avoir un objectif différent après ce qu'il s'est passé il y a 4 ans. Je suis arrivé deuxième, derrière François Gabart, à quelques heures près. Avec un nouveau bateau neuf à foils, un sponsoring et une équipe performante, je ne peux pas partir sur ce Vendée Globe en me disant que je vais finir 5e…
Maintenant, c'est sûr que ça fait de moi un des favoris, mais pas le favori. On est plusieurs à avoir ce statut. Il y a des bateaux qui sont très performants et des skippers qui ont gagné des transats ces deux années passées. Mais le 6 novembre prochain, on remet les compteurs à zéro, on va tous partir à égalité, sur la même ligne de départ. Ce n'est pas forcément le fait d'être favori ou d'avoir terminé deux fois à la 2e place, qui va m'aider à être meilleur sur la course ou me faciliter la tâche.
Le Vendée Globe reste assez unique dans le concept : durée, parcours difficile, aucune escale technique… ça complexifie pas mal la donne ! Avec deux expériences du Vendée Globe, je suis conscient qu'il peut se passer pas mal de choses. Du coup, j'arrive à prendre du recul sur le fait qu'on ait l'ambition de gagner, car ce n'est pas ça qui va faire la différence sur l'eau.
Vous prenez le départ avec un bateau neuf, équipé de foils. Comment vous êtes-vous préparé ? Avez-vous pleine confiance en votre bateau ?
J'ai peine confiance dans le bateau. On l'a mis à l'eau il y a un an et demi, au mois de juin 2015. Je voulais naviguer au maximum pour pouvoir le tester et le fiabiliser. On aurait pu rester au chantier pendant des mois ou attendre le dernier moment pour bénéficier des dernières technologies et avoir le bateau le plus performant sur le papier. Mais dans la réalité, c'est mieux de le tester pour voir s'il y a quelque chose qui casse ou qui ne fonctionne pas comme prévu. Ça prend du temps. Armel Le Cléac'h présente son IMOCA Banque Populaire VII : Lire l'article.
Donc pour moi, naviguer c'est la meilleure solution pour être performant. On a à peu près respecté le programme qu'on s'était fixé, avec deux transatlantiques en courses, la Jacques Vabre et la Transat Anglaise, qui se sont plutôt bien passées. On a aussi fait un convoyage retour de New York. Je voulais le faire en course sur la New York – Vendée, mais j'ai malheureusement dû abandonner la course : j'avais tapé un gros poisson. Il a fallu réparer et revenir en équipage réduit, mais c'était aussi enrichissant.
Aujourd'hui, on cumule un peu plus de 20 000 milles ce qui est plutôt positif. Ça permet d'avoir beaucoup de retours d'expérience et de faire progresser pas mal de petites choses sur le bateau. L'année dernière, sur la Jacques Vabre, on a pu voir que les foils avaient amené pas mal de problèmes de structures. Nous, on a terminé la course, mais on a vu que d'autres bateaux équipés de foils avaient eu des problèmes plus ou moins importants. Ça nous a permis de faire un bon chantier d'amélioration et d'optimisation cet hiver pour rendre le bateau plus costaud.
Techniquement, j'ai confiance dans le bateau. On l'a désiré avec toute l'équipe. Banque Populaire VIII est né de notre expérience. Pour le dernier Vendée Globe, j'avais récupéré le bateau 2 ans avant le départ. Mais il n'était pas forcément aussi optimisé que cette année. Pour cette 8e édition, on a construit un bateau de A à Z, équipé de foils, avec l'expérience de mes deux précédents Vendée Globe, mais aussi de l'équipe qui était déjà en place. C'est le bateau qu'on désirait et je pense que c'est aussi le plus abouti de mes 3 Vendée Globe. Je pars avec un bateau dans lequel j'ai confiance et qui correspond le mieux à la manière dont j'envisage de naviguer sur le parcours du Vendée Globe, avec l'expérience cumulée des courses et notamment de ces deux tours du monde.
Avec votre présence obligatoire sur le Village du Vendée Globe, vous avez quand même le temps de vous entrainer ou vous répondez plus aux obligations médiatiques ?
On a arrêté de naviguer, et l'on ne sortira plus en mer avant le départ. Tout est à bord et le bateau est prêt à partir. On a suffisamment navigué, avec les courses et les entrainements. On était en mer la semaine dernière, on a eu un dernier stage à Port-La-Forêt il y a 10 jours…
C'est vrai que les sollicitations médiatiques et sponsors sont assez importantes aux Sables-d'Olonne. On a une première semaine assez chargée jusqu'à vendredi. Je suis plutôt concentré là-dessus en ce moment. Je vais aussi prendre un peu de temps pour moi, pour me reposer, parce que l'entrainement demande beaucoup de temps. Début octobre a été assez intense physiquement sur l'eau et sur terre.
La semaine prochaine, je vais me faire une semaine off chez moi, pour profiter de ma famille et des enfants. Je vais faire aussi un peu de récupération physique, allez nager en piscine, faire des étirements… ça fait presque 2 ans qu'on prépare ce Vendée et ce n'est pas en deux jours qu'on va se modifier physiquement et qu'on va modifier le bateau. Les dés sont jetés, tout le monde a fait ses choix, tout le monde est plus ou moins en forme physiquement. Ce n'est pas le moment de faire des bêtises, casser le bateau en naviguant, ou de se blesser sur les entrainements physiques trop intenses.
Le programme c'est plutôt de la récup, un peu de sport - sans faire n'importe quoi - et surtout se concentrer sur la dernière semaine. Là, on va travailler la météo et gérer la pression et l'enjeu du départ. Deux points assez intenses, avec beaucoup d'émotions. La sortie du chenal comme le départ sur l'eau est toujours un peu compliquée avec 29 bateaux sur la ligne de départ. Ce n'est pas souvent qu'on fait des départs en IMOCA à 29, avec des skippers qui savent plus ou moins maitriser leurs bateaux. Il faut aussi gérer avec tous les autres bateaux : zodiacs, spectateurs… Il faudra être vigilant.
Comment on gère l'éloignement familial pendant 3 mois environ ?
On a le téléphone satellite à bord, qui ne marche pas toujours très bien, mais on essaye de s'appeler 2 fois par semaine. Notamment au moment de Noël ou des anniversaires, qui sont des journées particulières. Je sais qu'à Noël je vais faire un petit live vidéo, pas très long, mais qui permet de voir physiquement les visages.
Surtout ce qui est important c'est de se préparer avant de partir, d'expliquer les choses, le parcours… C'est ce que je fais depuis plusieurs mois. Les enfants (NDLR : Louise 9 ans et Edgar 6 ans) ont grandi et je peux leur expliquer ce que je vais faire. C'est important et ça fait aussi partie de la préparation globale. C'est pour moi aussi important que de bien régler les foils ou d'avoir de bonnes voiles. Il faut aussi qu'à terre, la famille se sente concernée, préparée, car ça fait partie de la gestion mentale d'avant-départ, mais aussi pendant la course.
Quelle est votre plus grosse appréhension sur ce tour du monde ?
La plus grosse appréhension pour moi c'est de taper un OFNI. Que la course s'arrête à cause de ça. Ça n'est pas quelque chose que l'on maitrise, mais on sait que ça peut arriver, malheureusement. C'est ce qui s'est passé pour Vincent Riou il y a 4 ans et c'est le pire des scénarios. Si j'abandonnais sur un autre problème technique, ça fait partie du jeu. Ça veut dire que soit on n'aura pas forcément travaillé comme il faut pour que ça n'arrive pas, soit parce que j'aurai mal manœuvrer ou fait une bêtise sur le bateau.
On nous pose souvent la question de savoir si on a peur en mer. Je n'ai pas forcément peur, il y a du stress, mais la peur, on peut l'avoir sur ce qui arrive à d'autres concurrents. Je l'ai vécu il y a 8 ans avec lorsque Yann Eliès, qui est un très bon copain, s'est blessé. On ne sait pas ce qu'il se passe et comment ça va finir. J'étais aussi au sauvetage de Jean Le Cam, avec Vincent Riou, car on a été dérouté. Quand on arrive sur zone et qu'on voit le bateau à l'envers, on ne sait pas si le gars à bord est mort, est en train de mourir ou s'il va s'en sortir… Là forcément, il y a de l'appréhension, de la peur. Ce n'est pas quelque chose qu'on a prévu, ça reste exceptionnel… On ne part pas en y pensant tous les jours sinon on ne vit pas, mais on sait que ça peut arriver et ça peut être compliqué.
Vous êtes en contact les uns avec les autres ?
Je n'appelle pas forcément les autres concurrents, mais ça peut arriver qu'on se retrouve assez proche l'un de l'autre. Il y a 8 ans avec Vincent Riou justement, on s'était appelé 2/3 fois dans les mers du sud puis une autre fois pour l'accident de Jean Le Cam. C'est fonction des situations sur l'eau.
Il y a aussi plus d'affinités avec certains concurrents. Je ne les connais pas tous, mais c'est vrai qu'avec certains, en cas de problèmes, on s'envoie des mails. Si l'on connait quelqu'un qui abandonne, on essaye aussi de prendre des nouvelles et d'envoyer un message pour lui dire qu'on pense à lui.
Est-ce que vous emportez un objet insolite et quel est-il ?
Aujourd'hui, je ne le sais pas, mais il y aura des choses à bord. Ce sont des surprises que me font ma femme et mes enfants avant de partir. J'aurai surement une petite mascotte, j'en ai une différente à chaque course. Cette année, il y aura surement un gri-gri, un porte-bonheur à bord, mais je ne sais pas ce que sait. Il y en a déjà un qui a vendu la mèche à la maison, le plus petit (6 ans), mais j'ai fait semblant de ne pas entendre.
Mon équipe me fait aussi des petites surprises. Il y a 4 ans, toutes les semaines j'avais des jeux à gratter. Je n'ai pas gagné grand-chose, mais c'était sympa d'avoir la surprise !
Est-ce qu'on a des coups de blues et qu'est-ce qu'on emporte pour se remonter le moral sur le Vendée Globe ?
Des coups de blues bien sûr qu'il y en a ! J'emmène beaucoup de podcasts d'émissions de radio, il y a un peu de tout et notamment des émissions de variétés. Ça peut être Nicolas Canteloup ou les Grosses têtes et ça permet de prendre du recul, de rigoler, d'écouter des choses qui peuvent remonter le moral. Si c'est vraiment compliqué, on a des photos des enfants à bord, on peut appeler à la maison…
Combien prévoyez-vous de journées de nourriture ? Est-ce que vous amenez un truc spécifique que vous adorez ?
Je prévois 85 jours de nourriture même si j'ai mis 78 jours il y a 4 ans. On prévoit un peu plus, car on ne sait jamais ce qu'il va se passer. Pas de choses particulières même si je sais qu'il y aura des petites choses améliorées ou des surprises – par exemple du foie gras pour Noël et jour de l'an ou encore des petits bonbons que je découvre dans les sacs. Aujourd'hui je sais exactement ce qu'il y a dans les rations journalières et c'est assez classique.
Avez-vous des moments de détente et comment les occupe-t-on ?
On essaye quand même – parce que c'est un marathon – de trouver quelques moments pour couper avec la course, notamment avec les repas. On essaye aussi de trouver un moment pour se poser un peu, mettre de la musique, écouter un peu de podcasts, s'aérer un peu le cerveau… Ce sont des moments où l'on essaye d'oublier la performance, même si le bateau est bien réglé quand même. On essaye de ne pas penser à la course, au classement, à la météo, pendant une demi-heure, une heure. Ce n'est pas forcément tous les jours, mais quand les conditions sont bonnes, on coupe un peu avec la course.
Avez-vous le mal de mer et comment le gérez-vous ?
Non, je n'ai pas le mal de mer. J'ai été souvent malade petit, mes parents avaient un bateau de croisière et je me rappelle d'avoir été malade en mer. Mais depuis c'est passé. Ça peut m'arriver d'être un peu barbouillé la première nuit si les conditions météo sont un peu fortes. Je ne mange pas beaucoup dans ces cas-là et il suffit de se réamariner un petit peu.