Un café avant une journée inoubliable
9h00 du matin, port de La Ciotat, je prends mon café à la terrasse.
Depuis cet appel de la responsable Presse du Team Macif il y a deux jours, je tente d'occuper mon esprit, le détourner de cette chance incroyable, celle de naviguer sur une machine unique, en compagnie d'un skipper unique, au sein d'une équipe unique.
Quelques notes sur mon cahier, quelques recherches sur internet, de quoi avoir un peu de répondant quand je poserai mes questions à l'équipe, mais la tête est ailleurs, les yeux fixés sur la flèche noire, désormais si proche.
Avec l'équipe, nous rejoignons la base temporaire de Macif.
Le trimaran géant Macif m'attend le long du quai
Sur le quai, tout n'est que contraste. La base baigne dans une sérénité et un professionnalisme évident. L'humeur joviale et décontractée qui s'en dégage détonne franchement avec la machine à quelques mètres, ce catalyseur de fantasmes marins, semblant dévorer la mer même à l'arrêt.
J'ai beau savoir qu'il fait 30 mètres, c'est compliqué de s'en rendre compte. Ce n'est que lorsque l'équipage monte à bord que l'on prend la mesure de certaines pièces. Ici, tout paraît monstrueux. On dit souvent qu'un bateau est vivant. Je ne l'ai jamais ressenti aussi fort qu'à côté de celui-ci, et cette impression ne fera qu'augmenter durant toute la journée.
J'enfile la salopette et le gilet de sauvetage mis à disposition. Harnachés de la sorte, aux couleurs de Macif, la veste à la main pour ne pas cuire bêtement au soleil, l'adrénaline monte. C'est donc vrai, je ne rêve pas, je vais vraiment naviguer avec eux.
François Gabart comme accompagnateur du jour
François Gabart nous accueille à bord. Les amarres glissent, le moteur commence à ronronner, les tenders se mettent en mouvement. Nous quittons le port.
Tour du propriétaire, règles de sécurité, conseils amicaux ("Non, ce n'est pas une bonne idée de se tenir au rail de grand-voile..."), nous prenons nos marques tandis que les cinq membres de l'équipage mettent en route le bateau.
Quelque chose me frappe et m'impressionne. Ce bateau paraît simple, très simple. Il me semblait que ces bateaux étaient des usines à gaz mangeuses d'hommes, d'énergie et de temps pour les actions les plus simples. Certes, nous sommes en équipage et il règne une entente parfaite entre ces cinq hommes rompus à la navigation, mais quand même, hisser la grand-voile en quelques poignées de secondes me paraît incroyable. On déroule le J2. Le vent n'est pas encore rentré en rade, peut-être 5 nœuds moyens, mais mes sens me jouent des tours.
Un incroyable coup de pied au cul !
"Passez derrière le bras de liaison, et tenez vous, on va accélérer » lance François.
C'est à ce moment-là, à ce moment précis, que j'ai vécu une des plus grosses émotions de ma vie.
Les écoutent se tendent, craquent sous la tension, le vent prend sa place sur les courbes dessinées par les voiles. Puis François abat franchement, en choquant un peu : Macif réinvente de coup de pied au cul…
En quelques secondes, nous passons de 5 à 38 nœuds, sans aucun effort, et dans une simplicité déconcertante. J'ai crié, instinctivement. Un énorme gros mot, une libération.
Le flotteur sous le vent en appui sur son foil caresse à peine le haut des quelques vagues bien impuissantes à tenter de ralentir les 14 tonnes lancées vers l'horizon.
Macif accélère, François sourit
Je me tourne vers François, dont la tête dépasse du poste de barre, un sourire ravageur aux lèvres.
Il y a encore quelques minutes, il était posé, presque studieux. Son visage a changé.
Lors qu'un précédent entretien, quand je lui avais demandé s'il était content de revenir un peu à terre après avoir passé des semaines sur l'eau, il m'avait répondu que s'il était à terre c'était parce qu'il était un peu obligé d'y être, mais qu'il ne vivait vraiment que pour naviguer. Et son visage, à cet instant précis, c'était cela. Il revivait.
Nous ralentissons. Je fais le tri dans mes émotions, du moins j'essaie. Force est de constater que j'ai rarement ressenti pareil cocktail de plaisir. S'il fallait le décrire, voici les ingrédients : un énorme sentiment de puissance terrible, de facilité déconcertante, de précision diabolique, de peur intangible, d'excitation fabuleuse, de vie fondamentale, et la certitude de faire quelque chose de rare. Et comme tranche d'orange sur le rebord du verre, l'échange complice d'un sourire qui se passe de mots. Merci François !
Impossible de ralentir le trimaran en dessous de 8 nœuds...
Nous prenons un ris. Devant nous, au sortir de la baie de La Ciotat, le vent fraîchit. Un petit souci technique, en bout de bôme avec la bosse qui rechigne à fonctionner. On en oublierait presque que le trimaran est encore en phase de développement. Aux dires de l'équipage, il reste 50% du bateau à fiabiliser.
Pendant la manœuvre, le bateau navigue grand-voile choquée, à peine en appuie sur le J3 qui est venu remplacer le J2 désormais trop important à l'avant. La scène a de quoi faire sourire. Le skipper en bout de bôme, le bateau en relâche totale, ça discute tranquillement entre les hommes d'équipage. J'aurais juré qu'on était à l'arrêt. Le 40 pieds que nous passons sous le vent ne doit pas avoir la même notion de l'arrêt que nous. Forte gîte, limite surtoilé, les équipiers à la contre-gite, trempés dans leurs cirés profitent d'un moment rare d'un bord à bord avec Macif. Je jette un œil sur le speedo : on est quand même à 9 nœuds. François me précise : "Il est difficile de faire ralentir le trimaran en dessous de 8 nœuds". Cette phrase est un peu choquante pour les plaisanciers que nous sommes, mais elle est vraie.
Une solution est trouvée pour la bosse de ris et nous repartons.
J'ai profité de ce temps mort pour enfiler le haut de la combinaison, et j'ai bien fait. Nous remontons au près et l'étrave principale fait danser l'eau qu'elle transperce, tandis que le foil au vent décapite les vagues, les faisant exploser.
J'ai totalement perdu les notions de lenteur et de vitesse. Pour moi, on se traîne un peu. On est entre 20 et 25 nœuds au près. Sur cet engin, je n'ai plus aucun repère, totalement à côté de mes docksides.
Puis on vire. Pas facile par ce temps en trimaran. Si la manœuvre n'est pas parfaite ou si la malchance d'une vague vicieuse s'invite, Macif se calera dans le lit du vent pour y faire une longue sieste. Afin d'éviter cela, l'équipage lance le moteur, au cas où. Sans y avoir recours cette fois-ci.
Je reste impressionné par la simplicité apparente des manœuvres. Nous reprenons de la vitesse. Rapidement, nous abattons. C'est désormais entre 30 et 35 nœuds que nous filons au-dessus des vagues, dans une chevauchée épique.
François Gabart veut me confier la barre... Je panique.
"Tom, tu veux barrer ?" J'ai dû me tromper, mal interpréter les signes de François. "Viens !" Non, je ne me suis pas trompé. Micro panique. Ne pas réfléchir, dire oui. Évidemment. Ne pas trembler de peur, afficher grand sourire. J'attrape fermement la grande roue en titane, prêt à me battre avec le bateau, et prends les instructions : "On va par là bas, ce cap c'est bien." Je me mets une pression d'enfer en quelques fractions de seconde. 30 mètres, 35 nœuds, creux de 1 à 2 mètres, multicoque au portant, deux foils, bateau en équilibre... ne pas tout péter.
Cela a duré 3 secondes. Le temps de m'apercevoir que Macif est plus facile à la barre que mon Dufour 31. C'est tout simplement hallucinant. Aucune inertie, à la fois précis, vif et tolérant, naturellement stable et intuitif, je garde une main sur la barre et me tiens en équilibre avec l'autre. En quelques minutes, même moins, j'ai pris le rythme. François revient à mes côtés. "Alors, il te plaît ? Tu achètes ?" Je vous prie de croire que je me suis demandé à combien je pouvais revendre mes organes au marché noir pour valider cette transaction. Pour vous dire à quel point ce bateau est facile à la barre, j'ai cédé ma place - à regret, évidemment - à un jeune gamin d'une douzaine d'années. Il a fait des pointes aux abords des 40 nœuds debout sur un sac à voile pour être assez grand. Ça a dû le changer de l'Optimist. Mais sûr que ça l'a marqué à vie, tout comme moi.
Retour à terre, la fin d'un rêve éveillé
Nous rentrons en baie, à l'abri du vent. Le tender vient nous chercher.
Après avoir accueilli le nouvel équipage de chanceux, le bateau abat et accélère. Avec le semi-rigide, nous le suivons. Puis Sa Majesté Macif accélère et nous abandonne, malgré les deux hors-bords surpuissants qui nous propulsent. C'est injuste. Tout en allant moins vite, on prend des paquets de mer, on se fait tasser à chaque vague, dans le hurlement des moteurs… Dire qu'il y a une heure, je planais sur le dos d'un ange, direction le paradis.
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