Entretien avec Marc Vuilliomenet, maître artisan charpentier de marine

La Clémente © Marc Vuilliomenet

Charpentier de marine formé en Suisse, Marc Vuilliomenet défend depuis plus de 40 ans l'excellence de la construction bois. À travers son chantier MV-Boat, il conjugue respect des méthodes traditionnelles et adaptation aux exigences modernes. Son regard sur l'évolution du métier éclaire les défis actuels de la filière.

Navigateur, constructeur, formateur : Marc Vuilliomenet, maître artisan charpentier de marine, n'a jamais cessé de perfectionner son art. Dès l'adolescence, il choisit la voie de la construction navale, poussé par la passion et la ténacité. Après une traversée de l'Atlantique en solitaire, il fonde son chantier MV-Boat. En s'appuyant sur des techniques éprouvées comme le bois-moulé, il a su faire évoluer son approche pour intégrer les exigences contemporaines de durabilité et d'innovation. À travers cet entretien, il revient sur son parcours, ses choix de construction, et son engagement pour la transmission du savoir-faire naval. Rencontre avec un homme pour qui le bois verni est une signature, et la durabilité une exigence.

Vous avez obtenu votre diplôme de charpentier de marine en Suisse en 1981. Qu'est-ce qui vous a conduit vers ce métier et comment votre formation initiale a-t-elle influencé votre approche actuelle de la construction navale ?

Lorsque, à 16 ans, ''l'école'' vous annonce qu'un conseiller va venir vous interroger et vous guider dans l'univers professionnel qui vous attend, le doute s'installe… Les QCM, les entretiens et autres fiches à cases multiples se suivent et à la fin de la journée, un algorithme en chair et en os vous déclare : je ne sais pas quoi vous dire, car construire des bateaux et conduire un tracteur, comme vous l'indiquez, n'est pas un programme d'avenir professionnel … Année de grâce 1977 !

Cependant, un stage en Entreprise m'a convaincu de la bonne direction : de la poussière, de la suie, le nettoyage d'un atelier ravagé par les flammes 48 heures avant le début du stage, m'ont convaincu de voir au-delà de la première impression. Bien m'en a pris, car le Chantier Naval LUTHI, sur les bords du Léman, renaît de ses cendres et reprend la construction de magnifiques bateaux en bois. En lamellé-collé, bois-moulé pour les puristes et un apprentissage m'est proposé par le patron.

Construction de bateaux la semaine et régates le week-end. De Championnat suisse en Bol d'Or (futur Mirabaud), passant par les régates locales, voilà de quoi vous apprendre les raisons de construire solide et néanmoins léger.

Après avoir navigué sur le lac Léman, la Manche, la Méditerranée et même traversé l'Atlantique en solitaire en 1988, comment ces expériences de navigation ont-elles enrichi votre compréhension des besoins des marins et influencé la conception de vos bateaux ?

Diplôme professionnel en poche, avec mention élogieuse, la curiosité de connaître ce qu'il se passe après la vague me pousse encore à découvrir si l'eau salée l'est vraiment et, de Tour de France voile en régates méditerranéennes, il apparaît que, toutes proportions gardées, ça flotte aussi !

Un 6m JI, construit en 1934 par les Frères Costantini, à La Trinité sur Mer, attire mon regard et scelle le destin du marin d'eau douce pour une petite dizaine d'années. Départ du Havre, découverte des courants, marées et autres bassines complètent ma formation in situ et, de cartes marines hors d'âge en échouage sans conséquence, de remâtage sauvage après un canal du midi soporifique, le bateau accoste en Méditerranée pour adapter quelque peu le bateau aux rêves du jeune navigateur. La conception d'un cockpit adapté aux horizons plus lointains, révision totale des bordés et du gréement, adaptation de voiles d'occasion comme nouvelle garde-robe (la caisse de bord étant aussi poreuse que le calfatage) et le jeune navigateur se sent attiré par Gibraltar et les alizés. De quoi s'intéresser à l'usage du sextant et de la pompe de cale manuelle, durant les 8 années de voyage en solo, avec un point d'orgue en Martinique.

En 1988, vous avez fondé MV-Boat à Saint-Raphaël. Quelles étaient vos ambitions initiales pour ce chantier naval et comment ont-elles évolué au fil des années ?

Redevenir terrien, s'habituer eux ordres et aux horaires étant trop compliqué, je me lance à mon compte et ouvre les portes de mon Chantier naval, une camionnette !

L'ambition et les demandes faisant le reste, j'investis dans un terrain et construis l'atelier dans lequel je rêve d'exercer mon métier, la construction de bateaux en bois. Puisque l'atelier se trouve à St Raphaël (Var), il faut proposer des bateaux locaux, c'est à dire des Pointus, Barquettes et autres définitions d'un modèle de bateau à l'usage initial de travail, mais devenu tendance, de Marseille à Monaco. À moteur, à voile, à cabine, toutes les déclinaisons sont construites, ainsi que d'autres modèles de voiliers, bateaux à moteur ou simplement à rames, avec une griffe spécifique au Chantier naval : l'acajou verni. Seul le kayak manque à l'appel, mais nous y reviendrons.

Le Pointu © Marc Vuilliomenet
Le Pointu © Marc Vuilliomenet
Annexe à rames, en acajou © Marc Vuilliomenet
Annexe à rames, en acajou © Marc Vuilliomenet
Annexe à voiles, en acajou © Marc Vuilliomenet
Annexe à voiles, en acajou © Marc Vuilliomenet

Vous avez fait de l'acajou verni une signature de votre travail. Comment choisissez-vous vos bois aujourd'hui, et quelle place accordez-vous à la durabilité dans vos processus de construction ?

Pour les besoins de la réalisation, de la quille au pied de mât, les meilleurs sipo et sapelli du Gabon me sont proposés par les importateurs, car il est nécessaire qu'une construction dure au minimum aussi longtemps que celui d'un arbre d'arriver à maturité. L'utilisation d'époxy pour les collages sous vide d'air (comme pour l'infusion en composite), des meilleurs vernis et peintures (STOPPANI) pour la cosmétique, assurent aux propriétaires d'être à la barre d'une unité solide, légère, durable et cependant unique.

Vous semblez privilégier une construction en bois moulé ou à plis croisés collés, sur gabarit. Qu'est-ce qui vous séduit dans cette méthode ? Est-ce une manière pour vous de concilier tradition artisanale et exigences contemporaines en matière de performance et de durabilité ?

Depuis 1977, la construction en bois-moulé a été mon quotidien et aujourd'hui encore, il est évident que cette technique propose d'excellents compromis entre la solidité, le poids, la durabilité et les performances. Pour s'adapter aux exigences des propriétaires et poursuivre une production artisanale, la construction sur moule à laissé la place à des réalisations sur membrures et petites lattes (strip planking), recouvertes d'un, deux ou trois plis d'acajou de 3 millimètres d'épaisseur, selon le résultat recherché, comme le kayak, mais nous y reviendrons…

Le Cap-Corse, bateau en bois-moulé acajou © Marc Vuilliomenet
Le Cap-Corse, bateau en bois-moulé acajou © Marc Vuilliomenet
Le Cap-Corse, bateau en bois-moulé acajou © Marc Vuilliomenet
Le Cap-Corse, bateau en bois-moulé acajou © Marc Vuilliomenet
Le Cap-Corse, bateau en bois-moulé acajou © Marc Vuilliomenet
Le Cap-Corse, bateau en bois-moulé acajou © Marc Vuilliomenet

Parmi vos réalisations, le modèle de barque "La Clémente" se distingue par ses lignes classiques et ses 10 couches de vernis. Quelles ont été les inspirations derrière ce design et avez-vous rencontré des difficultés techniques lors de sa construction ?

En 2021, la délocalisation du Chantier Naval dans le sud-ouest voit apparaître le besoin de transmission du savoir-faire. L'idée d'un nouveau modèle fait son chemin, en proposant un bateau aux lignes anciennes et cependant réalisé avec les techniques actuelles. ''La Clémente'' voit le jour, inspirée des bateaux de travail du lac Léman, comme ''La Vaudoise'', ''La Neptune'' ou ''l'Espérance'' sur le lac d'Annecy. Les défis d'une réalisation aux formes contraires, sur une longueur de 5 mètres seulement, que seul le bois-moulé permet. Les multiples couches de vernis étant là pour mettre en évidence ces lignes et le savoir-faire nécessaire à sa réalisation.

Maquette de La Clémente © Marc Vuilliomenet
Maquette de La Clémente © Marc Vuilliomenet
Construction de La Clémente © Marc Vuilliomenet
Construction de La Clémente © Marc Vuilliomenet
Construction de La Clémente © Marc Vuilliomenet
Construction de La Clémente © Marc Vuilliomenet

Vous avez également développé le "Classic Power", un runabout électrique alliant bois moulé traditionnel à une motorisation électrique moderne. Comment avez-vous réussi à préserver l'esthétique et la qualité artisanale du bateau tout en intégrant des technologies écologiques et innovantes, comme les batteries GEL ?

Lorsque le CEA (Commissariat à l'énergie atomique) de Grenoble me propose un partenariat pour présenter le concept de mobilité propre liant hydrogène, moteur électrique et navigation de plaisance, l'innovation du ''CLASSIC POWER'' prend tout son sens et, bien qu'en 2011 la pile à combustible (PAC) et le lithium fassent peur, des pionniers sont là pour démontrer que la piste est possible. Il faut pour cela, un bateau solide, léger et sans exubérance de produits fossiles, proposant une sortie à la journée en bateau à moteur électrique. La première version du ''CLASSIC POWER'' est née, avec des batteries GEL pour commencer et à ouvert les portes aux multitudes de propositions pour la location de bateaux sans permis, transport de passagers, bacs et autres développements aquatiques, équipées de lithium aujourd'hui. Plus de place à bord, moins d'émissions nocives, tout en gardant les lignes intemporelles des bateaux classiques.

Construction du Classic Power © Marc Vuilliomenet
Construction du Classic Power © Marc Vuilliomenet
Le Classic Power © Marc Vuilliomenet
Le Classic Power © Marc Vuilliomenet
Navigation à bord du Classic Power © Marc Vuilliomenet
Navigation à bord du Classic Power © Marc Vuilliomenet

En parallèle de votre activité de construction navale, vous avez développé le Clos du Gaja, un lieu d'hébergement entouré d'un lac privé et d'un cadre naturel exceptionnel. Comment cet environnement influence-t-il votre travail de charpentier de marine ? Et en quoi la rencontre avec les visiteurs permet-elle de faire découvrir l'artisanat naval et la construction en bois ?

Le déménagement du Chantier Naval dans le Gers s'inscrit aussi dans une démarche de promotion des ''métiers de la mer'', jusque dans les territoires d'eau douce, proposant ainsi aux Collèges d'Occitanie toute entière des formations touchant les métiers administratifs (affaires maritimes, douane), manuels (voile, bois, sellerie, mécanique, peinture, électricité, électronique) et techniques (architecture, législation, homologation, commercialisation) au plus grand nombre de jeunes. Le BIMER est un exemple auquel je suis très attaché, en formant les Professeurs qui transmettent ensuite les savoirs aux collégiens.

Parallèlement, je propose des stages de découverte et d'initiation à la construction en bois-moulé en atelier, à l'exemple du tracé des formes d'un canoë, de la réalisation du moule et de la construction de l'embarcation, en acajou verni, bien entendu ! Deux jours à une semaine, pour parcourir et s'initier aux différentes phases qui attendent le futur apprenti, mais également le constructeur amateur ou simplement ceux qui s'intéresse aux différentes raisons qui font qu'un bateau flotte, ou pas…

© Marc Vuilliomenet
© Marc Vuilliomenet

Pour cela, avoir installé le Chantier Naval MV-Boat dans un Domaine de 7 hectares, à côté du lac privé, réalisé pour tester et valider les constructions, devenait une évidence, en plus de pouvoir proposer aux clients, nos Chambres d'Hôtes, séminaires, mariages et autres événements dans un cadre campagnard et marin à la fois.

Environnement du Clos du Gaja © Marc Vuilliomenet
Environnement du Clos du Gaja © Marc Vuilliomenet

Avec vos années d'expérience, comment percevez-vous l'évolution du métier de charpentier de marine et quels conseils donneriez-vous à un jeune artisan souhaitant se lancer dans la construction navale en bois ?

Si les formations scolaires et techniques proposées par les cursus publics sont de très bonne qualité, il reste qu'une connaissance approfondie du comment et du pourquoi manque à la plupart de ces enseignements. Être le meilleur dans une discipline, ne sert qu'à cet endroit de la chaîne, alors qu'une connaissance historique, technique, même partielle de l'ensemble de la chaîne, sera évidemment un avantage pour les futurs acteurs de la filière du nautisme et du domaine maritime en général. Les Métiers d'Art, dont je fais partie, s'impliquent et font s'impliquer chaque acteur, de l'idée originelle, jusqu'à la remise des clés du bateau.

Quels sont vos projets futurs pour MV-Boat ?

Construire ne suffit plus, il faut également offrir la possibilité aux jeunes générations de détenir ces savoir-faire et la communication, comme votre plateforme, est un acteur majeur de la transmission des savoirs. Pour ma part, je propose des embarcations à taille humaine, transportables, durables et qui ressemblent aux exigences de qualité du ''Conçu et Réalisé en France''. Le Canoë 3.7 en est un exemple.

Construction du Canoë 3.7 © Marc Vuilliomenet
Construction du Canoë 3.7 © Marc Vuilliomenet
Le Canoë 3.7 © Marc Vuilliomenet
Le Canoë 3.7 © Marc Vuilliomenet

J'ajouterais avec conviction et une pointe d'humour et à destination des jeunes générations désirant se lancer, que les algorithmes d'aujourd'hui ne sont qu'une pâle émanation de ceux, en chair et en os, des années 70-80, qui vous disaient simplement de suivre votre instinct et vos passions, sans compter les heures qui passent. Vous voulez être menuisier-sière ou autre et bien soyez-le et vous serez riche de biens d'autres valeurs que celles qui dominent aujourd'hui. Un exemple : après les vernis de ce matin, sur le canoë, j'ai entretenu cette après-midi le Domaine avec mon tracteur cité en préambule…

Plus d'articles sur le thème
Pour aller plus loin
Réagir à cet article
Ajouter un commentaire...