Cauchemar : "J'ai vu mon voilier taper pendant 5 jours dans le cailloux...!"

Jean-François nous partage l'échouage catastrophe de son voilier Fram IX en Italie à l'été 2023. De la rupture du génois jusqu'au chantier de refit en cours, ce récit technique retrace les enchaînements d'avaries, les décisions en navigation, le rôle des secours, et les solutions retenues pour sauver cette belle goélette de 18 mètres construite en 1980.

En 2021, Jean-François, dont l'expérience de navigation se résume à la pratique du dériveur et du catamaran autour de l'île de Ré, se lance dans une incroyable histoire d'amour. Il tombe amoureux du Fram IX, un Southern Ocean 60, une goélette construite en 1980 par le chantier naval Southern Ocean à Poole, au Royaume-Uni qui mesure 60 pieds (18,29 m) !

2 ans de navigation sans souci

Pour cet ancien pilote d'avion qui a pratiqué plusieurs métiers dans sa vie et qui est maintenant acteur de la station SNSM de Golf-Juan, c'est une nouvelle vie qui commence. Le voilier trouve sa place au port d'Imperia, dans le golfe de Gênes en Italie. Pendant deux ans, Jean-François va naviguer au départ de ce port pour des navigations courtes de 2 à 3 jours. Tout va bien se passer jusqu'à ce jour de juin 2023 où la loi de Murphy s'enclenche : "Tout ce qui est susceptible d'aller mal, ira mal."

Un génois sans écoute

Partis ce jour-là avec son amie pour rejoindre Portofino avec une météo calme (10 nœuds de vent d'Est), une avarie sur le point d'écoute du génois arrive. Elle case au niveau du point d'écoute. Le génois livré à lui-même bat violemment et même en l'enroulant, il reste un triangle de toile difficile à maîtriser et à atteindre depuis le pont. Finalement, Jean-François parvient à le bloquer. Mais avec ce vent d'Est, la route demande à faire du près. Pas facile quand on n'a plus de voile d'avant. Jean-François, prudent, décide donc de faire demi-tour.

Mêmes maux sur la grand-voile

Quelque temps après, le point d'écoute de la grand-voile qui est elle aussi sur un enrouleur lâche. Comme le génois ! Visiblement, le travail de révision des voiles, confié à une voilerie italienne n'a pas été correctement effectué. Jean-François décide alors de se rapprocher de la côte pour aller mouiller. Il se trouve alors devant la marina San Lorenzo. Le moteur démarre bien, mais l'hélice ne tourne pas. Une écoute de génois s'est prise dedans…

Juste devant le port

Par 7 m de fond, Jean-François décide de mouiller l'ancre. Il largue 40 m de chaine, mais cela ne suffit pas a retenir les 20 tonnes du voilier. Inexorablement le vent les pousse à la côte. Rapidement Jean-François téléphone à la capitainerie, qui se trouve quasiment à porter de voix, juste derrière la digue, pour demander assistance. Mais ceux-ci répondent qu'ils n'ont pas le droit de sortir du port. Finalement ce seront les secours d'Imperia qui seront contactés, mais après plus d'une heure, un bateau vient bien à proximité du Fram avant de repartir sans intervenir !

Échouage !

À 11h30, le voilier s'échoue sur les cailloux. Jean-François et son amie peuvent débarquer pour voir l'agonie du bateau. Jean-François se démène alors pour trouver un remorqueur, qui lui répond en fin d'après-midi : "il est trop tard, on ferme !". Le lendemain matin, il lui refuse son payement d'acompte de 2500 € et ne viendra jamais. La solution d'installer une grue sur la digue est même envisagée, mais la solidité du remblai n'est pas suffisante pour supporter les 20 tonnes du voilier.

Durant tout ce temps, la Guarda Civil, la police locale, met la pression à Jean-François sur les risques de pollution. Chaque jour, ils viennent prendre des photos pour constater, tout cela au lieu d'aider à trouver une solution de renflouement. De peur, Jean-François va même jusqu'à acheter des barrages antipollution flottant pour entourer le bateau.

Sauvé par une barge

C'est finalement au terme de 5 jours d'attente qu'une barge avec une grue arrive de Savone. Le voilier git alors, posé au fond avec tout l'avant du pont englouti. Heureusement aucune pollution n'est à déplorer. Mais l'état de la coque fait craindre à son propriétaire et au grutier que le voilier se casse en deux au moment de le lever. Mais l'Ocean 60 est une construction solide. Et c'est suspendu sous la grue qu'il sera déposé sur la remorque de manutention du chantier présent dans la marina.

Assuré au tiers, le renflouement du voilier est pris en charge par l'assurance. Mais que faire maintenant du Fram IX qui est resté sous l'eau pendant 5 jours ? Jean-François s'interroge, mais pas longtemps. Il veut sauver son bateau !

La coque percée en 3 endroits

Le constat est triste. La coque est détruite en plusieurs endroits sur tribord. Le safran et l'arbre d'hélice sont arrachés. Tout l'intérieur est resté 5 jours dans l'eau de mer. Jean-François commence par vider le bateau, tout rincer, et notamment le moteur qui pourra être sauvé. Puis viennent 6 mois de séchage. Un ingénieur naval commandité par le chantier naval vient faire une expertise de la coque pour savoir si elle est réparable. Des mesures aux ultrasons sont réalisées partout et notamment autour des brèches pour savoir jusqu'où elles sont délaminées.

Un chantier titanesque

Depuis 1 an, le voilier est en travaux dans le chantier. Celui-ci va reconstruire des moules par l'extérieur et stratifier par l'intérieur pour retrouver la forme de la coque. Pour ce travail, rénovation de la coque et peinture, en plus de la reconstruction du safran et de la venue de l'expert, il demande 200 000 € à Jean-François. C'est beaucoup et c'est peu, en tout cas moins que des devis demandés en France. En plus le bateau est déjà sur place dans le chantier. Surtout les ouvriers ont tous pu voir le malheur de Jean-François dont le voilier est venu s'échouer sur la digue au pied du chantier. Pour eux, devant le manque de motivation de tous, le voilier a été "sacrifié" par les autorités. Aujourd'hui, tous travaillent avec passion et empathie pour ce refit incroyable.

Refit de l'intérieur

Si la coque va être "neuve", Jean-François, faute de moyens supplémentaires, doit réaliser lui-même le refit des aménagements. Dans le même temps que la rénovation de la coque, il entame un démontage des aménagements, pour remplacer tout ce qui est pourri. Ainsi tout le matériel embarqué (pompe, chauffe-eau…) est renouvelé. Les cloisons sont toutes poncées. Les pièces de mobilier détruites sont remplacées…

Dans cette reconstruction à neuf, Jean-François s'emploie a garder l'âme traditionnelle de cet intérieur bois. Il va tout de même en profiter pour modifier un peu la cuisine, trop petite à l'origine en empiétant un peu sur la banquette du carré. Il profite aussi de l'occasion pour refaire la console de barre et modifier la position de la manette des gaz. Ce sera aussi l'occasion d'installer 2 cuves à eaux noires absentes jusqu'à ce jour.

2 jours par semaine, 8 h par jour

Toujours en activité, Jean-François dispose de 2 jours par semaine pour aller sur le chantier. Il bénéficie de l'accès à la menuiserie et ses machines pour travailler. Son objectif : finir en même temps que la rénovation de la coque, soit à la sortie de l'été 2025. Il lui reste encore à refaire toute la partie électrique et la plomberie. De nouveaux instruments électroniques sont aussi approvisionnés. Fram IX va repartir comme neuf, 2 ans après son naufrage.

La SNSM vraiment efficace en France

Si Jean-François devait tirer une leçon de cette mésaventure, c'est d'éviter de se rapprocher de la côte en cas de problème, mais plutôt de gagner le large. Il reconnait cette erreur du bout dans l'hélice qui a entrainé la suite de la catastrophe. Avec un moteur valide, il aurait pour regagner un port et remettre en place ses voiles.

Et lui qui est acteur de la SNSM en France note aussi que le service disponible en France est vraiment exceptionnel par rapport à ce qu'il a pu trouver en Italie. Il se rappelle d'un échouage d'un voilier aux îles de Lérins sur lequel il est intervenu avec la vedette de Golfe-Juan, où il avait fallu tirer sur une drisse avec un semi-rigide pour débloquer le voilier avant de le remorquer jusqu'à Cannes. Une opération qui avait été facturée 450 € au plaisancier… Bien loin du service qu'il a vécu en Italie.

    Jean-François tient à remercier le chantier à San Lorenzo al Mare qui a fait un travail remarquable :
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Ocean 60 La fiche technique
18.28 mLongueur hors-tout
4.70 mLargeur - Bau
19 300 kgDéplacement lège
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