Le monde de la plaisance repose sur la confiance : celle que l'on accorde à son bateau, mais aussi à l'expert qui le jauge. Jean-Claude Frantz, spécialiste en expertise maritime et de plaisance fluviale, revient sur son parcours marqué par une exigence technique forte et une quête d'indépendance revendiquée. Ce professionnel aguerri partage ici sa vision du métier, les compétences essentielles à son exercice, et les enjeux futurs qui guettent la profession.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours, de vos premières années jusqu'à votre spécialisation dans l'expertise maritime ?
La mer a toujours exercé son pouvoir d'attraction et influencé mes choix. Après mes études techniques poussées, une longue période d'activité professionnelle en Afrique a suivi, en grande partie au bord de l'océan, avec des vacances en France sous la forme de belles croisières sur mon voilier.
Retour au pays, installation au bord de la Méditerranée dans un grand port de plaisance et à proximité immédiate du canal du Midi, avec reprise d'un cabinet de courtage de bateaux d'occasion. Celui-ci s'est transformé, au fil des années et de ma montée en compétences, en cabinet d'expertise maritime et de plaisance fluviale. Depuis maintenant plusieurs années, je me consacre exclusivement à l'expertise civile et judiciaire et à la transmission de l'expérience acquise.
Qu'est-ce qui, selon vous, définit un bon expert maritime ?
Le métier d'expert maritime est facile d'accès mais difficile dans la pratique. Aucun diplôme n'est requis, pas de réglementation contraignante, pas de formation spécifique obligatoire. Il est nécessaire d'avoir de solides connaissances techniques très diversifiées, des méthodes de travail modernes et adaptées, de la curiosité, de l'humilité, de la rigueur, un sens de l'organisation avancé, le goût du contact humain, de l'honnêteté intellectuelle, une conception du temps de travail très ouverte, le goût du travail en solo et de l'absence de hiérarchie.
Un expert sera tout d'abord un amoureux de la mer à laquelle il s'est confronté, d'une manière ou d'une autre, un admirateur d'élégantes carènes posées sur un ber quelque part ou d'une belle unité amarrée dans un port. C'est un bon début… On ne devient pas expert maritime uniquement pour exercer un métier mais surtout pour se fondre dans un milieu magnifique qui sera présent dans notre existence tous les jours et qui devra permettre de vivre pleinement ses choix.
Pourquoi avoir choisi de ne pas être rattaché à une compagnie d'assurances ?
La question s'est posée dès le début en ces termes : agir dans le "technique" avec objectivité ou dans le "sinistre" en partenariat avec des compagnies d'assurance. Mon choix s'est très rapidement porté naturellement vers le "technique", ce qui m'a permis en plus, au bout d'un certain temps, d'accéder librement à l'expertise judiciaire.
Je n'ai jamais regretté de rester libre de mes choix dans mon travail. Depuis plusieurs années maintenant, je choisis mes missions en fonction de leur compatibilité avec mes compétences, mes préférences, des contraintes de la mission, ce qui ne m'empêche pas de temps en temps de traiter des expertises amiables contradictoires pour le compte de clients ou d'assureurs, mais cela représente une faible partie de mon activité.
Quels types d'embarcations expertisez-vous le plus souvent ? Y a-t-il une différence notable entre expertiser un voilier classique et un multicoque moderne ?
L'activité d'expertise correspond plus ou moins au marché de la plaisance et ce marché a évolué depuis de nombreuses années. Les voiliers ou bateaux à moteur, sont de plus en plus grands et volumineux, plus confortables, beaucoup plus équipés en matériel de confort, en aides à la navigation, en motorisations modernes, en tout… Le cœur du marché aujourd'hui est, selon moi, le bateau qui permet de faire des petites croisières tranquillement et de vivre confortablement au port, comme dans une résidence secondaire. Le bateau d'occasion de taille intermédiaire, à voiles ou à moteur, constitue aujourd'hui l'essentiel de mon activité, dans ma région ou ailleurs. C'est de l'expertise classique sur et avec du matériel standard bien connu la plupart du temps et quelques surprises parfois, bonnes et mauvaises. Le multicoque moderne appartient à un monde un peu différent avec des architectures et des conceptions particulières, des matériaux autres et des acheteurs différents avec des projets d'envergure, ce qui ne change pas grand-chose au protocole d'investigations, à condition de bien connaître ces bateaux. Les "multi", en ce qui me concerne, représentent une faible proportion de mes activités en pré-transactionnel.
Quels sont, selon vous, les grands enjeux à venir pour les experts maritimes ?
Sécuriser les compétences sur trois plans : technique, juridique et objectivité. Avec l'évolution des technologies qui accélère, les méthodes de fabrication qui évoluent et la production qui se mondialise, le travail de l'expert maritime risque de devenir de plus en plus spécialisé et nécessitera des mises à niveau de plus en plus complexes. Déjà, se développent des formations spécifiques sur les nouveaux modes de propulsion, l'énergie électrique de bord, les aides à la navigation, les "nouveaux" risques… Il en va de même pour les outils de traitement de l'information avec les portables, les tablettes, les logiciels spécifiques générateurs de rapports automatiques, les choix par case à cocher, les phrases préformatées. L'ubérisation de la fonction expertale avance à grands pas. Il reste à espérer que l'expert "humain" restera le dernier maillon décisionnaire dans la fonction expertale, mais l'exercice de son art deviendra de plus en plus complexe. Il sera en effet difficile de l'imaginer exercer sans formation permanente, qu'elle soit technique ou juridique, sans tutorat en civil ou en judiciaire, sans participer à des expertises avec des "anciens", sans assistance, sans conseil.