L'AJD, l'Association du Jeudi Dimanche
L'Association du Jeudi Dimanche est une association à but non lucratif créée en 1951 par le Père Jaouen qui avait le souhait de reinserer de jeunes délinquants grâce à la navigation.
En réalité, si le Père Jaouen avait foi en Dieu, il avait également foi dans le pouvoir transformateur de la vie en mer et des valeurs humaines apprises lorsque l'on est confronté aux humeurs des éléments. Il croyait dans le "vivre ensemble" et ce, peu importe les origines de chacun. L'important, c'est l'effet thérapeutique des milles passés sous la quille, du dépaysement, de la mixité et des émotions qui vont avec.
Le Père Jaouen étant né sur l'île d'Ouessant, c'est naturellement à L'Aber Wrac'h, dans d'anciens baraquements datant de la reconstruction de Brest après guerre (une symbolique forte), que s'installe l'association. Un chantier est alors nécessaire pour réparer les bateaux donnés à l'association et permettant aux jeunes de naviguer.
Depuis, une antenne a été créée à Marseille et aujourd'hui, ce sont surtout des jeunes alternatifs, pas scolaires ou en réinsertion qui intègrent la formation.
Une formation qui initie à tous les metiers du nautisme, mais pas seulement...
Dorian, comme beaucoup d'autres jeunes de la formation n'est pas scolaire. Après avoir passé un CAP de palfrenier soigneur dans le milieu équestre, il découvre l'AJD par le bouche à oreille. Le programme est simple : s'initier "en faisant" à tous les metiers autour du nautisme.
C'est dans l'immense chantier en pierre lové dans un bras de l'Aber Wrac'h et en pleine forêt que la magie opère.Dorian nous raconte son parcours :
"Le Rara Avis et le Bel Espoir, bateaux appartenant à l'asso, sont amarrés juste en face du chantier. A l'intérieur du batiment, c'est propre et bien organisé. Il y a l'atelier bois pour la menuiserie et la charpente marine. Ensuite il y a les espaces soudure, mécanique, peinture, voilerie et sellerie. On nous apprend à utiliser les machines avec toutes les règles de sécurité, à ranger chaque chose à sa place en étant guidé par un professionnnel pour chaque discipline. Au début, c'est de l'initiation à tout, puis on se découvre davantage d'intérêt pour une ou plusieurs activités".
Dorian aime se concentrer sur un cordon de soudure a réaliser, même s'il préfère le travail du bois : "Voir directement le résultat de notre travail sur le bateau que l'on répare, équipe et ré-arme, jour après jour pour les futures navigations, c'est du concret. Et je trouve ça à la fois satisfaisant et valorisant. Il n'y a pas ce rapport du professeur à son élève, les formateurs nous transmettent leur savoir, chacun à sa manière, sans pression ni risque de sanction et les résultats sont là".
Intendance et organisation font également parties de la formation. Le midi, ce sont les jeunes qui préparent le repas pour environ une trentaine de personnes ou plus : "On prépare les repas à tour de rôle, en équipe de 3 ou 4 stagiaires. On apprend donc à cuisiner, organiser une grande tablée, servir, desservir veiller à ce que rien ne manque. La vaisselle est faite à la main, on trie nos déchets et le compost nourri directement les poules élévées sur le site de l'association".
Les Formateurs et les jeunes mais également l'équipe administrative, tous partagent ce moment pendant lequel ils peuvent échanger sur leurs difficultés mais aussi leurs réussites et leurs projets : "Ici, pas de hierarchie, juste du respect les uns pour les autres".
Apprendre à naviguer pour aller au bout de soi et au bout de ses rêves
Plusieurs bateaux sont gérés par l'association. Ils sont issus soit de la récupération de vieilles coques à retaper soit de dons. Dans tous les cas, cette jolie flotte est le terrain d'apprentissage des stagiaires aussi bien pour la maintenance nautique que pour la navigation.
"Deux semaines après mon arrivée au sein de l'association, on est parti naviguer en Manche à bord du White Dolphin", un élégant ketch de 22 mètres de long, appartenant à l'association qui l'a entièrement rénové en 2019. Si Dorian avait déjà navigué avant, il a du tout réapprendre à bord d'un bateau différent. C'était mi octobre, juste avant l'arrivée des premiers coups de vent. Il n'était pas bien équipé et l'inconfort d'avoir aux pieds des chaussettes mouillées pendant une semaine lui a appris, à ses dépends, à mieux s'organiser. "A bord, chacun est responsable de lui même, de ses tâches, de ses quarts. On nous responsabilise tout en nous épaulant, c'est une véritable école de la vie".
A la fin du mois de janvier 2024, après 4 mois de formation au chantier, Dorian a travaillé sur le chantier du le Bel Espoir 2 qui participera aux festivités de Brest et Douarnenez 2024, et également à la préparation du Rara Avis à bord duquel il appareille bientôt, cap sur les Antilles.
Le 26 janvier 2024, une quinzaine de jeunes issus de la formation ainsi qu'une petite vingtaine de stagiaires (civils), un capitaine et son second, quittent le port de l'Aber Wrac'h en fin de journée pour traverser l'Atlantique.
Une dizaine de jours plus tard, ils mettent pieds à terre, sur l'île de Madère, puis direction l'archipel des Canaries. "Nous sommes arrivés sur l'île de la Palma en pleine période du carnaval, c'était ouf ! Ensuite, nous sommes allés sur les îles de La Gomera et Ténérife. Une petite semaine après, nous arrivions au Cap Vert, avec un dépaysement total. Là bas il y a de la pauvreté, mais les gens sont adorables. Ensuite, c'était le grand saut pour la Transatlantique".
Les quarts tournent indéfiniment, un microcosme et un espace temps à part se créé. Aucune communication avec l'extérieur, pas d'actualités à part celles du bord, pas de réseaux sociaux. Juste les besoins vitaux, le quotidien et la météo du jour comptent. Le bleu profond de l'océan, le bleu clair du ciel et la ligne d'horizon pour tout décor. La pêche fait varier les menus et les mammifères marins observés deviennent l'évènement d'une journée.
Et puis un beau jour, la terre est en vue. L'ancre du Rara Avis s'abîme dans l'eau cristaline d'une plage de Marie Galante.
"Tous ensemble, on a traversé l'Atlantique !"
Quelque chose d'à la fois subtile et concret s'est accompli. Certains contactent tout de suite famille et amis et d'autres, au contraire, retiennent un peu ce moment. Dans les deux cas, la fierté d'avoir accompli quelque chose de fort, d'avoir mené sa barque (comme on mène sa vie) de l'autre côté de l'océan malgré les épreuves et les doutes. "On est arrivé au paradis !". Le Père Jaouen aurait souri.
Quelques jours plus tard, Les passagers débarquent, le capitaine aussi, tandis qu'un autre prend la relève pour les prochains stages de navigation dans l'arc antillais et un retour en France prévu à la fin du printemps.
Dorian a terminé sa formation, elle aura durée 6 mois. "Après 5 jours passés entre Marie Galante et la Guadeloupe, nous sommes deux à débarquer sur le quai avec notre sac, nos souvenirs et notre expérience. Ca fait un peu un choc, après tout ce temps passé avec des personnes devenues un peu comme une seconde famille".
Il n'y a pas de rentrée scolaire à l'AJD, quand un stagiaire a terminé sa formation au bout de 6 mois, un autre arrive et ainsi de suite. Dorian souhaite profiter un peu des Antilles, il y trouve un job en entretien nautique à bord d'un autre bateau pour trois semaines. Il prend conscience de l'expérience et l'aventure extraordinaire qu'il vient de vivre.
Il rentre en métropole avec des envies, des projets et des rêves plein la tête : passer son CMP (Certificat Matelot Pont) afin d'intégrer la marine marchande. Il espère un jour travailler sur un navire océanographique, retraverser l'Atlantique sur son propre voilier et peut-être devenir charpentier de marine. Déjà tout un programme...