Une idée de génie
Lucien Rosengart est un industriel français, et un inventeur de génie qui a créé entre autres le baby-foot, et se passionne pour les voitures autant que pour les bateaux. En 1925, alors qu'il est président de la chambre syndicale des industries nautiques (l'ancêtre de la FIN), il lance la division maritime des moteurs Peugeot et il monte dans la foulée la première édition du Salon nautique de Paris : elle se tient du 7 au 17 octobre 1926, sur les quais de Seine, entre les ponts de la Concorde et des Invalides, et transforme le fleuve en une vaste exposition flottante, tandis que le Cours-la-Reine abrite des stands à terre. Au même moment, le Grand Palais ouvre ses portes au Salon de l'automobile, offrant aux visiteurs une immersion complète dans les innovations de transport de l'époque.
Nos confrères du Figaro décrivent alors : "Le pavillon qui abrite les stands a la forme d'un gigantesque navire, hérissé de mâts et de vergues, auxquels claquent, soufflés par un vent violent, des milliers de petits pavillons multicolores". Dans le Paris des années 20, la fête devait être belle…
Des vedettes sur la Seine
Le salon propose une vraie diversité d'exposants : on peut y voir entre autres les yachts luxueux des Chantiers de la Loire, des hydroglisseurs rapides construits à La Rochelle et très à la mode au début du siècle, des canots à moteur exposés par Peugeot Maritime, et des canots de sauvetage présentés par la Société centrale des naufragés qui deviendra ensuite la SNSM.
Les visiteurs peuvent assister à des essais de records de vitesse sur la Seine et découvrir des activités émergentes comme le "surf riding", où un nageur tente de se maintenir debout sur une planche de surf tractée par un canot, suscitant l'émerveillement du public de l'époque. On trouve également une "section des arts" où l'on peut admirer des peintures marines et des maquettes de célèbres navires de guerre.
Dans ces années-là, certains bateaux et équipements sont fabriqués à Paris même : les chantiers de Peugeot sont à Levallois Perret, et Lucien Rosengart dirige également une usine de moteurs qui se situe rue du Ranelagh dans le seizième arrondissement de la capitale. L'inventeur du baby-foot joue à domicile, et il est au four et au moulin : il fabrique des bateaux, les réglemente et les distribue grâce à une formidable vitrine qu'il a créée de toutes pièces.
Le sens de la fête
La réussite de cette première édition est indéniable car elle attire une foule nombreuse, tant française qu'étrangère. La clôture du salon est célébrée par une parade nautique éclatante, avec un défilé de yachts pavoisés et un feu d'artifice illuminant la Seine.
Au fil des années, le salon attire des personnalités comme le roi d'Espagne Alfonso XIII, et les différents présidents de la république française s'y promènent comme Paul Doumer ou Raymond Poincaré.
Ce premier salon nautique joue un rôle crucial pour relancer le tourisme fluvial en France, quelque peu délaissé suite à l'invention de la voiture et du train. Quelques jours avant la première édition de 1926, pour l'aventure et la bonne publicité, Lucien Rosengart organise une flotille de Canots Peugeot qui remontent la scène avant de s'amarrer aux quais parisiens. Il met en lumière les 15 000 kilomètres de voies navigables du pays, souvent méconnues, et encourage le public à redécouvrir ces "routes magnifiques" traversant les plus beaux paysages français. L'écrivain Roland Dorgelès, dans un plaidoyer passionné, fait écho à Rosengart en exhortant les Français à s'approprier ces voies d'eau, soulignant leur potentiel pour un tourisme nouveau et enrichissant, qu'il pense être mort, depuis l'apparition des routes goudronnées et des voies ferrées.
Suite et fin de la grand-messe du nautisme
De 1926 à 1939, Le salon se tient chaque année entre l'automne et l'hiver, pendant 10 à 15 jours, et s'étend jusqu'au Grand Palais jusque-là réservé à l'automobile. Les grosses cylindrées laissent place à de beaux voiliers classiques petits ou grands, qui s'exposent dans un joyeux bazar sous l'imposante verrière du monument.
L'événement devient un rendez-vous annuel, où se croisent passionnés, industriels, et figures politiques. Au début de la Seconde Guerre mondiale en 1939, le salon est suspendu. Il ressort les voiles en 1946 et symbolise alors la reconstruction de la France et le retour des loisirs nautiques. Toutefois, les éditions d'après-guerre restent modestes, l'industrie nautique française ayant souffert des conséquences économiques et matérielles du conflit.
Sous l'impulsion de figures comme Jean-Pierre Jouët et Bernard Godefroy, le Salon nautique connaît une relance majeure en 1962. Désormais installé au CNIT de La Défense, il gagne en modernité et attire de nouveaux publics. Cette nouvelle édition marque le début d'une ère de professionnalisation et d'expansion du salon, qui devient un rendez-vous incontournable pour l'industrie nautique française et européenne. Afin d'accueillir un public toujours plus large, il déménage en 1988 et s'ancre au Parc des Expositions de la Porte de Versailles.
Juste avant la crise sanitaire en 2020, le salon montre quelques signes de faiblesse et on entend dans les allées les vieux de loup de mer nostalgiques répéter que "c'était mieux avant", quand ils retrouvaient dans les stands du Nautic, une véritable ambiance de pontons.
La Covid-19 et la guerre en Ukraine ont définitivement fragilisé le marché et ont signé l'arrêt de mort de cette fête, qui, au cœur de l'hiver, donnait malgré tout du rythme et de la chaleur à tous les amoureux des bateaux.
En 2026, cela fera 100 ans que la première édition du salon nautique de Paris aura été inaugurée. Peut-être l'occasion pour le Phoenix, de renaître de ses cendres ?