Jean-Charles est né en 1936. Son adolescence se passe à Toulouse où son cousin Éclaireur de France l'embarque pour découvrir la voile sur la Garonne. Au départ de l'ile du Ramier, il va s'essayer sur un Argonaute, un quillard de 3,80 m dessiné par Jean Jacques Herbulot. Rapidement il adhère.
Une "croisière" en requin pour découvrir
Il rencontre à cette époque un ami dont le père a un Requin. Ce sera sa première approche de la "croisière" puisqu'à 4 copains, ils quittent Sète direction les Baléares. Le Requin n'est pas reconnu comme confortable en croisière : "Je dormais sur le mouillage !", nous raconte Jean-Charles. Le retour aurait pu mal finir quand ils ont dû se mettre à l'abri, près de Rosas, ne réussissant pas à franchir le cap Creus. "Le matin, on s'est réveillé au mouillage avec plein de cerfs-volants de toutes les formes et de toutes les couleurs. On a appris ensuite que nous étions devant la maison de Dali".
Le 5o5 à Hossegor
Passant ses temps libres passés sur la côte à Hossegor, il découvre sur le lac une communauté de navigateurs qui ne jure que par le 5o5. Sa (future) femme en possède d'ailleurs un (le n°406). Après leur mariage, c'est derrière la voiture familiale, avec leurs deux enfants, qu'ils vont écumer les plans d'eau des régates de l'époque. Jean-Charles au réglage et sa femme à la barre. "J'ai eu la chance d'avoir une femme qui était passionnée par la voile. Elle était toujours partante, ne rechignait jamais. Un équipage mixte était rare à l'époque. Du coup ce sont les femmes de nos concurrents qui gardaient nos enfants à terre pendant les régates".
Le tour des régates en Europe
Ainsi ce seront des navigations à Saint-Féréol (lac), Bandol, puis Sète pour la Méditerranée, mais aussi l'Italie, la Suisse, la Belgique, sans oublier la Semaine de La Rochelle. Ce seront 10 ans de compétitions au plus haut niveau de l'époque, et toujours en couple : "Ma femme était très fine tacticienne. Ça nous a sortis de nombreuses situations. Pour l'avoir pratiqué très jeune, elle connaissait le Lac d'Hossegor et tous ses trous d'eau par cœur. Elle n'hésitait à passer dans des coins où nos poursuivants se plantaient", s'amuse à raconter Jean-Charles les yeux pétillant de souvenirs.
Virage vers la croisière
Après 10 ans de compétition et l'époque 5o5, la famille passe à la croisière. Par manque de gros moyen, Jean-Charles se met en quête d'un voilier en kit qui pourrait satisfaire à sa femme et ses deux enfants. "J'ai trouvé à Dunkerque, le Primaat, un plan Van de Stadt de 7,10 m. Le bateau est arrivé par le train sur un wagon totalement à plat avec la quille à côté. Nous l'avons construit en un hiver avec ma femme." Ce premier croiseur de la famille qui prend le nom de Scylla sera mis à l'eau en 1967 sur la cale de Capbreton.
Le premier voilier du port
Le port n'existait pas et Jean-Charles a dû bricoler des béquilles pour le tenir en place à marée basse. "Mais régulièrement, on m'appelait pour me dire que mon bateau était couché !". A cette époque, ce qui est aujourd'hui le port de Capbreton avec ses 900 places n'existait pas. Il s'agissait d'un plan d'eau protégé dans lequel se vidaient deux rivières. "Je peux dire que j'ai été le premier plaisancier à voile du port", rigole Jean-Charles, "À part quelques vedettes et surtout les pêcheurs, nous n'étions pas nombreux à sortir en mer."
"C'est amusant, car en dériveur, c'est ma femme qui faisait la barre et la tactique. Je n'avais pas mon mot à dire. Mais en croisière, elle me laissait faire toute la navigation. En revanche, elle ne quittait pas facilement la barre. La nuit, elle faisait souvent plusieurs quarts d'affilée, omettant de nous réveiller, juste pour le plaisir de barrer."
Un gros hors-bord pour les passes
Les passes de Capbreton ont mauvaise réputation. A l'époque encore plus, car les digues n'existaient pas et les bancs de sable créaient de fort courants. "J'ai installé dès l'origine un gros moteur, un hors-bord puissant, pour pouvoir entrer et sortir du port. Mais parfois c'était un peu juste. Les gens nous prenaient pour des fous. Nous comptions les vagues avant de nous élancer…"
Des croisières toujours plus lointaines
Les croisières se déroulent alors vers la côte Nord de l'Espagne ou jusqu'à la Bretagne Sud. "Dès que l'on quittait le port, on savait qu'on en avait pour 36h de navigation. Quelle que soit la direction, il fallait passer par une nuit en mer avant d'atteindre des côtes plus agréables".
Convoyage en camion
L'envie d'aller en Méditerranée arrive alors. Jean-Charles va acheter un camion bétaillère, supprimer la carrosserie pour greffer un ber dessus. Ainsi, le Scylla peut désormais emprunter la route. "Je menais une carrière de commerciale dans tous les pays d'Europe, toujours sur la route", explique Jean-Charles, "du coup ma femme a passé le permis poids lourd et c'est elle qui faisait les trajets avec le bateau, et les enfants dans la cabine. Le camion n'avait pas de direction assistée et les enfants l'aidaient à tourner le volant !" Après avoir visité durant 4 saisons les îles du bassin méditerranéen (Baléares, Corse, Sardaigne) le couple se lasse de la Méditerranée et décide de changer de braqué en achetant un voilier plus grand.
Un Scylla II de 10 m
Encore en kit, le Scylla II est cette fois en polyester. C'est un sloop de 10 m fabriqué par un chantier de Bézier qui ne produit que ce modèle, son autre activité est la construction de chalutier. Cette fois la coque arrive nue, mais pontée. Jean-Charles et sa femme commencent par remplir la quille en plaçant le lest au fond. Puis ce sera les aménagements de ce voilier qui apportent un peu de confort : "Nous avions même des WC à bord", souligne Jean-Charles. Ce voilier aussi il va le surmotoriser "avec 30 ch in board" toujours pour la sécurité dans les passes du port de Capbreton.
Cap au Nord
Ce Scylla II va leur permettre de réaliser leur rêve de naviguer dans les pays nordiques. Pas question de camion cette fois, on prend la mer. Cette croisière, qui se déroule sur 4 ans avec chaque fois un hivernage sur place, va voir le voilier quitter Capbreton, direction la Hollande puis la Mer Baltique. De là ce sera la Finlande et la Suède, et enfin le Danemark et la Norvège pour gagner le Cap Nord. "Pour la navigation, nous n'avions pas toujours des cartes ou des instructions nautiques, je me souviens d'un soir ou ma femme a décalqué une carte d'un bateau voisin pour continuer. Mais il est vrai que nous allions souvent au hasard…"
Découverte de l'Optimist
Pendant la croisière en Baltique, à Kiel, le couple croise de drôles de petits bateaux qui semblent idéaux pour les enfants. Cette caisse à savon se nomme l'Optimist. Jean-Charles va commander les plans pour en fabriquer pour sa famille. Mais il n'en fait pas un seul, mais 7 pour ses fils et tous leurs cousins ! "Nous les avons construits, toujours avec ma femme, dans le couloir de la maison. Nous leur avons donné le nom des 7 nains de Blanche Neige." Le baptême et la mise à l'eau se sont faits comme il se doit sur la cale de Capbreton.
Plus de 50 ans de passion voile
Des anecdotes, Jean-Charles n'en est pas avare. Il peut en raconter beaucoup, se plonger dans les albums de famille lui fait remonter les souvenirs. "J'ai fait 5 millions de kilomètres en voiture pour mon métier de commercial", finit-il par dire, "Mon dos en a souffert, m'obligeant à arrêter mes deux passions : le ski et la voile. Alors j'ai raccroché, mais il est vrai que j'avais alors 75 ans…"