Écrivain prolifique et navigateur avide d'aventures, Jules Verne a combiné son amour de la mer avec son besoin de création littéraire. Ses 3 bateaux, tous 3 appelés "Saint-Michel", ont été le théâtre de croisières variées et de moments de réflexion intenses qui ont influencé ses ouvrages. Entre navigation et écriture, la mer a été pour Verne bien plus qu'une toile de fond, elle est devenue une source d'inspiration majeure.
La mer, berceau créatif de Jules Verne
En 1874, Jules Verne est admis au Yacht Club de France. Propriétaire du Saint-Michel I, un voilier de 9 mètres gréé en bourcet-malet et basé au port du Crotoy, il y trouve un espace propice à la réflexion et à l'écriture de Vingt Mille Lieues Sous Les Mers. Les plans de ce bateau, établis par le marin Paul Bos, ont été modifiés sur le chantier Asselin : la cale à poisson a été transformée en une petite cabine d'environ 3 mètres de long sur 1,70 mètre de large avec deux couchettes et un caisson pour les cartes et les livres.
Jules Verne se fait alors conduire par des amis marins du Crotoy, Alexandre Delong en tant que capitaine et Alfred Bulot comme second. Il voyage ainsi dans la Manche jusqu'à Douvres, Londres et Ostende. En mai 1870, il entreprend une traversée jusqu'au Havre et remonte la Seine jusqu'à Paris. Bien que modeste, Saint-Michel I joue un rôle crucial dans la conception de l'un des personnages les plus célèbres de Jules Verne, le capitaine Nemo. Dans une lettre à son éditeur Pierre-Jules Hetzel, Verne confie ses réflexions sur Nemo, cet homme qui choisit de fuir le monde de la surface et la société pour ne dépendre que de la mer : "Je travaille avec rage. Il m'est venu une bonne idée qui naît bien du sujet. Il faut que cet inconnu n'ait plus aucun rapport avec l'humanité dont il s'est séparé. Il n'est plus sur terre, il se passe de la terre. La mer lui suffit, mais il faut que la mer lui fournisse tout, vêtement et nourriture. Jamais il ne met le pied sur un continent. Les continents et les îles viendraient à disparaître sous un nouveau déluge, qu'il vivrait tout comme, et je vous prie de croire que son arche sera un peu mieux installée que celle de Noé. Je crois que cette situation "absolue" donnera beaucoup de relief à l'ouvrage. Ah ! mon cher Hetzel, si je ratais ce livre-là, je ne m'en consolerais pas. Je n'ai jamais eu un plus beau sujet entre les mains." Ce personnage, à travers ses choix radicaux, incarne l'exil volontaire et l'autosuffisance marine, des thèmes chers à Verne.
Cependant, son admission au sein du prestigieux club maritime l'incite à voir plus grand et à envisager la construction d'un nouveau bateau, plus imposant et digne de ses ambitions. Cherchant à concilier sa passion pour la navigation et son désir d'un espace confortable pour écrire, il décide de commander Saint-Michel II, un yacht de plaisance au gréement simple, mais robuste, suffisamment spacieux pour accueillir des passagers et se transformer en cabinet de travail flottant.
Saint-Michel II : confort et maniabilité au service de l'aventure
En 1876, Saint-Michel II est lancé aux chantiers Abel Lemarchand du Havre. Inspiré des plans des "Hirondelles de la Manche", des cotres réputés pour leur solidité et leurs qualités marines, le nouveau yacht de 13 mètres allie robustesse et raffinement, tout en répondant aux attentes précises de Verne : maniabilité, confort et espace pour recevoir ses invités. Saint-Michel II ne se distingue ainsi pas uniquement par ses performances en mer, mais aussi par son intérieur élégant. Un salon aménagé en bois de cyprès et d'acajou, des canapés confortables, une chambre à coucher privée et des installations fonctionnelles pour l'équipage en font un véritable cocon de luxe.
Dès ses premiers voyages, Saint-Michel II sillonne la Manche et longe les côtes anglaises. Pendant près de 18 mois, Jules Verne savoure la vitesse et les commodités de ce navire lors de ses expéditions nautiques. Mais rapidement, l'envie d'aller plus loin et d'explorer de nouveaux horizons se fait sentir. C'est cette soif d'aventure qui pousse l'écrivain à rêver d'un bateau encore plus ambitieux.
Saint-Michel III : le yacht des grandes expéditions
En 1877, Jules Verne fait l'acquisition du Saint-Michel III, un yacht à vapeur de 31 mètres, acheté pour la somme de 55 000 francs aux chantiers Jollet Babin qui deviendront plus tard Les Chantiers de la Loire. Doté d'un gréement de goélette et d'une machine à double cylindre, ce bateau est bien plus imposant que ses prédécesseurs et compte un équipage de 9 hommes.
Verne, passionné par ce nouveau bateau, ne tarde pas à embarquer pour des croisières longues et aventureuses. Le Saint-Michel III devient dès lors le théâtre de ses plus grandes navigations, de la Manche jusqu'à la Méditerranée. Lors de ses voyages, Verne écrit, prend des notes et laisse libre cours à son imagination fertile. Il exprime son besoin irrépressible de la mer en déclarant : "Dieu, que j'ai besoin de rouler et tanguer fortement pendant quelques semaines…"
Cependant, après plusieurs années de service, les contraintes financières et familiales poussent l'écrivain à se séparer de ce yacht en 1886. Vendu pour 26 000 francs, bien en dessous de sa valeur, le bateau finit entre les mains du prince de Monténégro.
Si Jules Verne est mondialement connu pour ses récits d'aventures extraordinaires, sa passion pour la mer et les bateaux a, en conséquence, laissé une trace dans le monde du nautisme. Ses 3 yachts, les "Saint-Michel", ont été plus que des moyens de transport puisqu'ils ont servi à la de refuges créatifs, mais aussi de symboles de liberté et d'exploration. Aujourd'hui, l'héritage de Verne est immortalisé à travers le Trophée Jules-Verne, un challenge nautique qui récompense le tour du monde à la voile le plus rapide en équipage, sans escale et sans assistance sur une distance orthodromique de 21760 milles. Initié par Yves Le Cornec en référence au Tour du monde en 80 jours, ce trophée témoigne de l'influence durable de l'écrivain sur le monde nautique.