Interview / Le Lys Noir : un yawl aurique centenaire toujours sous voiles

© Lys Noir

Construit au début du XXe siècle (1914) et classé Bateau d'Intérêt Patrimonial depuis 2009, le Lys Noir a traversé un siècle d'histoires et de navigations. À sa barre de ce yawl de 24 m hors tout, son capitaine Yoann Pageaud nous conte les aventures de ce vieux gréement pour mieux comprendre l'importance de sa préservation.

Le Lys Noir, yawl aurique centenaire, continue de naviguer sur les eaux françaises comme un témoin emblématique de l'histoire nautique. Depuis 2009, ce vieux gréement, labellisé Bateau d'Intérêt Patrimonial et mouillé en France au port d'Arradon (56), séduit les passionnés de plaisance et les curieux avec ses sorties en mer dans le Golfe du Morbihan.

Rencontre avec Yoann Pageaud, le capitaine, qui nous fait découvrir ce patrimoine naviguant.

Quelle est l'histoire du Lys Noir, anciennement baptisé Océanic ?

Brièvement, l'histoire commence en 1913. C'était un Suisse allemand qui avait commandé le bateau dans un chantier renommé de l'époque, basé sur les bords du bassin d'Arcachon. Ce Suisse avait commandé ce bateau, un yacht classique, pour faire de la course, de la régate et de la plaisance. Mais malheureusement, la Première Guerre mondiale éclate, et comme cet homme est plus allemand que Suisse à mon avis, son bateau est saisi comme dommage de guerre par l'État français. On peut dire qu'il s'est fait "sucrer" !

Le bateau reste en chantier jusqu'en 1924. C'est à ce moment qu'une famille bourgeoise de Bordeaux, les Baronnet, en devient les premiers propriétaires. Le chantier en question, c'était le chantier Barrière, aussi basé sur les bords du bassin d'Arcachon. Il a fermé dans les années 60 et n'existe plus aujourd'hui. Il était très réputé pour construire des petites unités monotypées en bois, et aussi de plus grosses comme les bateaux-pilotes de l'estuaire de la Gironde. Le Lys Noir s'inspire de la construction des ces bateaux, en étant beaucoup plus long. Là où les bateaux-pilotes faisaient environ 14 mètres, le Lys Noir mesure 18 mètres de coque 24 mètres hors tout.

Oceanic en baie de Royan, 1934
Oceanic en baie de Royan, 1934

Le bateau, à l'époque, était pas blanc comme tous les yachts. Inscrit au Yacht Club de France, il était immatriculé à Bordeaux et régatait entre Royan et Belle-Île. En saison, il y avait 3 marins bretons qui vivaient à l'avant et il participait aux grandes régates de l'époque dans les années 1920-1930. Après la Seconde Guerre mondiale, le bateau est abandonné à Bordeaux. C'est un normand qui, en le voyant dans une vasière, tombe littéralement amoureux du bateau et l'achète. Il renomme alors "Océanic" en "Lys Noir" car il juge ce nom plus adapté à son projet de charter en Méditerranée et invente même une légende autour de ce nouveau nom.

Dans les années 1960, il fait du charter entre Saint-Tropez, l'Italie et la Corse mais à la fin des années 1970, il remonte à Granville. Là, le bateau est à nouveau abandonné, il commence à pourrir. Un garçon de café parisien ayant hérité d'une petite somme l'achète et commence à le restaurer. Malheureusement, l'héritage passe entièrement dans la restauration, qui reste inachevée et le bateau est saisi par la banque. Il est alors abandonné sur le terre-plein, un quart de la rénovation étant alors effectuée. Plusieurs années passent quand dans les années 1990, Alain Lainé et sa compagne Claire Vaillant en tombent amoureux et l'inscrivent au concours du Chasse-Marée. Il est accepté et sera rénové entièrement au chantier Anfray à Granville pendant 2 ans. Le gréement d'origine sera alors rétabli.

Peux-tu nous parler de ta première rencontre avec Lys Noir. Que ressens-t-on en naviguant sur un Bateau d'Intérêt Patrimonial ?

J'ai rencontré le Lys Noir à Granville. Je faisais pas mal de convoyages, mais après la naissance de mon fils, j'ai dû m'adapter à des jobs plus saisonniers. C'est là que j'ai travaillé 6 mois sur le Lys Noir. Le bateau était la propriété de Pascal Blanchet, l'armateur des vedettes Jolie France qui font la liaison Granville-Chausey. Il avait l'acheté pour sa belle-fille. Le premier jour, il m'a dit : "Tu vois le bateau qui est au port, là-bas, tu le prends. Et tu l'amènes juste sur la zone à côté". Il m'a filé les clés et puis j'ai compris que je devais me débrouiller. Là, c'était le stress total parce que je me suis rendu compte que le bateau était au niveau d'un cul-de-sac dans le port et qu'en marche arrière, il ne répondait pas du tout. J'ai dû appeler la capitainerie pour qu'ils viennent nous prêter main-forte. Je ne connaissais pas trop ce genre de bateau avec une quille longue, mais tout s'est bien passé. Après, j'ai fait 6 mois en saison. Quelques semaines après avoir commencé, j'ai dû amener le bateau à Vannes, dans le golfe du Morbihan, pour la Semaine du Golfe. J'ai alors fait 48 heures de navigation non-stop pour l'amener. Pour me faire la main, c'était parfait. Et là, je me suis dit que le bateau était quand même super sympa, pas trop exigeant.

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Dès que j'ai commencé à naviguer sur ce vieux gréement, c'était pour moi un véritable voyage dans le temps, quelque chose que j'adore. J'ai fait pas mal de Mini. Ça se rejoint, il y a des bouts partout, des réglages dans tous les sens. Ce qui me plaît le plus, c'est la beauté sur l'eau ; c'est d'offrir ce spectacle aux autres. Et je sais que tant que les vieux bateaux naviguent, ils continuent à vivre, à traverser le temps.

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Comment le Lys Noir contribue-t-il à la préservation du patrimoine maritime, et quelles sont les initiatives mises en place pour sensibiliser le public à cette mission ?

Avant que j'achète le bateau, il était en chantier à Granville. Yann Mauffret, directeur du chantier du Guip à Brest, est venu gracieusement l'examiner. Il m'a dit que dans l'état où il était, je pouvais déjà commencer à gagner de l'argent avec pour rembourser mon crédit. Son conseil principal, c'était de naviguer le plus possible, de montrer le bateau au public pour que les gens puisse se l'accaparer et en tomber amoureux. Il y a des pièces structurelles d'origine qui ont plus de 110 ans et un jour, il faudra les changer. Si j'arrive à toucher le cœur des gens, ce sera plus facile de trouver des fonds pour le restaurer.

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Quelles ont été les activités proposées par Lys Noir pour la saison estivale ?

Je fais du charter, des sorties à la journée dans le golfe du Morbihan et à l'île d'Houat, comme je le faisais avant sur des catamarans de 60 pieds ; donc je connais l'endroit. Environ 5 000 personnes découvrent le bateau chaque année. Ils participent à la vie du bateau en montant à bord, et bien sûr, nous les faisons participer aux manœuvres. Même si on pourrait tout faire avec Guillaume, mon second, on aime impliquer les passagers, et ceux qui veulent peuvent tirer sur les bouts sont les bienvenus !

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Pour ceux qui n'ont jamais vécu une croisière à bord du Lys Noir, comment décrirais-tu cette expérience en mer ?

Ah ! Je vois ça comme une expérience, un véritable voyage dans le temps. C'est la sensation que j'ai eue la première fois que j'ai navigué dessus. J'avais l'impression d'être 100 ans en arrière. J'aime bien cette idée.

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C'est vrai que j'avais fait beaucoup de bateau de course donc c'était un grand changement pour moi. Ici, c'est une expérience de navigation à l'ancienne. Ce que je trouve sympa, c'est que, contrairement aux bateaux modernes, c'est un pont ouvert, totalement plat. On peut se balader de l'avant à l'arrière, ce qui n'est pas vraiment possible sur les bateaux modernes avec leurs passavants.

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Y a-t-il un profil typique de passagers à bord du Lys Noir ?

Il y a des gens de tous âges. Ça va faire ma 4e saison. Ce que je remarque en 4 ans, c'est que le public se rajeunit d'année en année. Au début, j'avais presque uniquement des retraités. Aujourd'hui, par exemple, je vais à Houat et il y a encore beaucoup de personnes nées dans les années 50-60. En revanche, en plein été, la moyenne d'âge tourne plutôt autour de 30-35 ans, ce qui n'était pas du tout le cas au départ. On attire plus de jeunes. En même temps, on fait vraiment de la voile. Même avec 6-7 nœuds de vent, le bateau marche à 4-5 nœuds. On est toujours en train de régler les voiles, de les ajuster. Je pense que ça plaît aux jeunes contrairement à des bateaux plus lourds, comme les anciens bateaux de charge sans gîte, qui attirent davantage un public plus âgé.

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Tu nous parlais d'une légende qui circulait autour du Lys Noir. Peux-tu nous en préciser l'origine ?

C'est une légende inventée par le 2e propriétaire, monsieur Redy. Il disait que le bateau avait été commandé par une princesse austro-hongroise qui avait gagné le jackpot au casino de Royan. Elle aurait utilisé cet argent pour commander un yacht. Malheureusement, la princesse n'a pas été du côté des vainqueurs lors de la Première Guerre mondiale. Le bateau aurait dû s'appeler "Lys Noir", en référence à l'armoirie de sa famille royale, selon certaines recherches qui m'ont été rapportées. Cependant, cette histoire est totalement fausse. Il n'y a pas de princesse austro-hongroise, et encore moins de "Lys Noir". Monsieur Redy avait prévu que le bateau s'appelle "Lys Noir" dès le départ. Après avoir acheté le bateau, il a simplement rétabli le nom initialement prévu. Pourtant, cette légende a perduré et certains à Granville y croient encore. Tout le monde racontait cette histoire. Mais Alain Lainé, qui a rénové le bateau dans les années 90, m'a confirmé que c'était complètement faux. C'était simplement de la propagande touristique qui a bien marché et qui marche toujours ; une histoire plutôt rigolote à entendre.

Le Lys Noir continue-t-il de naviguer en hiver ? As-tu d'autres projets futurs pour faire naviguer ce bateau ?

Chaque année, on essaie de rompre un peu la routine de nos sorties journalières. On est invités un peu partout, donc on choisit. Cette année, on est allés à Brest. On a aussi visité Pont-Aven pendant la fête de la Belle Angèle. L'année prochaine, à priori, on prévoit de retourner sur le lieu de naissance du bateau, dans le bassin d'Arcachon. Chaque année, en avril, il y a un salon de plaisance là-bas. On a échangé avec eux et le Lys Noir sera le bateau d'honneur pour ses 111 ans ! On va en profiter pour monter un dossier afin de demander le classement du bateau comme Monument Historique. Cela nous permettra de collecter un maximum d'informations sur le Lys Noir pendant notre séjour à Arcachon. Il y a très peu de photos d'époque. Il y en a peut-être un peu plus dans les archives locales. On va donc lancer un appel pour obtenir des informations, photos et tout document concernant le Lys Noir à l'époque. Un autre projet qu'on aimerait beaucoup réaliser est de participer à la Hoalen Brest Douarnenez Classic. On espère pouvoir trouver des fonds l'année prochaine pour pouvoir y participer !

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