Reconstitué d'après une tablette sumérienne datant de l'âge du bronze, conservée au British Museum, le bateau Magan a pris la mer le 9 juillet 2024 au large des côtes d'Abu Dhabi grâce aux efforts conjoints du Zayed National Museum, de l'Université de New York Abu Dhabi et de l'Université Zayed. Cette prouesse archéologique et technique a permis de mieux comprendre le rôle crucial de ces bateaux dans les échanges entre les anciennes civilisations de la Mésopotamie et la vallée de l'Indus.
Reproduire des techniques de construction nautiques de plus de 4000 ans
Les récentes découvertes archéologiques sur l'île d'Umm an-Nar, située au large de la ville d'Abou Dhabi, ont révélé l'importance de la région dans le commerce maritime il y a 4000 ans, durant l'âge du bronze.
Le bateau ''Magan'', nommé en référence à l'ancienne région correspondant aujourd'hui aux Émirats Arabes Unis et à Oman, a été construit à partir de matières premières décrites sur une ancienne tablette d'argile sumérienne trouvée à Tello en actuelle Irak et en utilisant des techniques datant de 2100 avant J.-C. ''Ce fut un long et passionnant voyage depuis la découverte des fragments anciens de bateaux Magan jusqu'au moment où la voile en poil de chèvre a été hissée pour sa première navigation depuis la côte d'Abu Dhabi'', relate le Dr. Peter Magee, directeur du Zayed National Museum.
Pour mener à bien ce projet, une équipe internationale multidisciplinaire a été formée, regroupant conservateurs, professeurs, archéologues et artisans de cinq pays. Des charpentiers spécialisés dans les répliques historiques ont également collaboré avec les chercheurs en utilisant des matières premières et des outils manuels traditionnels pour construire ce bateau long de 18 mètres, d'un poids de 19 tonnes.
La coque extérieure du bateau a ainsi été fabriquée à partir de 15 tonnes de roseaux locaux, qui ont été traités en les trempant, en enlevant leurs feuilles, en les écrasant et en les attachant en longs fagots à l'aide de cordes en fibre de palmier dattier. Ces fagots de roseaux ont ensuite été fixés à une structure interne de cadres en bois et enduits de bitume, une technique d'étanchéité utilisée par les anciens constructeurs navals de la région. ''Le projet a été une formidable occasion d'élargir nos connaissances sur les bateaux à roseaux et sur la technologie de construction de l'âge du bronze'', note Alessandro, consultant en conception et responsable du site de restauration.
Des tests en conditions réelles
''La mise à l'eau du bateau Magan a été un moment emblématique. C'était un véritable honneur de voir ce navire reprendre vie'', partage Ayesha Almansoori, chercheuse impliquée dans le projet.
Lors de ses essais en mer dans le golfe Arabo-Persique, le bateau, sous le commandement de marins émiratis et assisté par une équipe de charpentiers navals locaux, a navigué sur une distance de 50 milles nautiques. Malgré sa construction en roseaux et en bois, sans aucun métal, le bateau a atteint des vitesses allant jusqu'à 5,6 nœuds, sous une voile en poil de chèvre. ''Voir le Magan Boat naviguer sur l'eau pour la première fois m'a vraiment coupé le souffle et m'a fait pleurer'', confie Tayla Clelland, chef de projet.
La forme du navire s'inspire d'illustrations anciennes de bateaux et la reconstruction s'appuie sur une capacité équivalente à 36 tonnes. La longueur, la largeur et la profondeur ont été déterminées par un ingénieur naval à l'aide d'une analyse hydrostatique pour fournir des dimensions qui permettraient au bateau de flotter une fois le poids estimé de la cargaison, du bateau et de l'équipage ajouté. Pendant les essais, plus de 20 personnes ont été nécessaires pour manœuvrer la voile et le gréement, faute de poulies qui n'existaient pas à l'âge du bronze. Le champion de voile émirati Marwan Abdullah Al-Marzouqi, l'un des deux capitaines qui ont dirigé le Magan Boat pendant ses deux jours d'essais en mer, témoigne : ''Lorsque nous avons remorqué le bateau pour la première fois depuis le quai, nous avons été très prudents. Je savais qu'il était fait uniquement de roseaux, de cordes et de bois (il n'y avait pas de clous, pas de vis, pas de métal du tout) et j'avais peur de l'abîmer. Mais en partant, j'ai vite réalisé que c'était un bateau solide. J'ai été surpris de voir à quel point ce grand bateau, alourdi par un lest lourd, pouvait se déplacer en douceur sur la mer''.
Zayed National Museum : une fenêtre sur le passé nautique
Le bateau Magan sera exposé au Zayed National Museum et offrira aux visiteurs une immersion dans l'histoire nautique des Émirats Arabes Unis. Ce musée, moteur de la recherche archéologique et patrimoniale, continuera à préserver et à célébrer le riche héritage culturel de la région. ''Naviguer à bord du bateau Magan a été un voyage dans le temps. Cela m'a fait prendre conscience des progrès incroyables que nous avons réalisés en matière de navigation maritime'', déclare Abdallah Alremaithi, l'un des capitaines du bateau, avant d'ajouter : ''L'effort nécessaire pour que les marins de l'âge du bronze voyagent et fassent du commerce a dû être énorme. Réussir dans ces entreprises dans des conditions aussi difficiles est une inspiration pour les marins d'aujourd'hui partout dans le monde''.
La renaissance du bateau Magan explore ainsi des liens anciens qui ont façonné les Émirats Arabes Unis, et leur rôle dans le commerce maritime il y a plus de 4 000 ans avec des communautés aussi éloignées que la Mésopotamie et l'Asie du Sud.