Alors que leur Fantasia de 8 m flotte en détresse au large de Guernesey des suites d'une avarie de safran, l'équipage du Corto, parti plus tôt de Cherbourg, est confronté à une situation critique le 25 avril 2023. Dans ce moment crucial, leur destin se lie à celui du majestueux Götheborg, un trois-mâts carré suédois de 47 mètres, réplique d'un bateau historique du 18e siècle et considéré comme l'un des plus grands voiliers en bois du monde, qui a entendu leur appel sur la VHF. David Moeneclaey, l'un des copropriétaires du Corto, nous relate la suite des événements.
La Main tendue du Götheborg
Le Götheborg s'approche dangereusement de notre voilier et tente de nous lancer une touline, un premier cordage fin qui nous servira ensuite à tirer un cordage plus gros pour la remorque. La manœuvre s'avère plus périlleuse que prévu. Il est sous notre vent, mais notre bateau dérive trop rapidement, risquant de se heurter contre cette imposante coque en bois qui s'élève et descend au gré des vagues. Le majestueux trois-mâts continue à manœuvrer autour de nous, effectuant plusieurs tentatives pour nous lancer la touline. Après plusieurs essais infructueux, nous réussissons finalement à la réceptionner. De notre côté, nous avons préparé des amarres à l'avant de notre bateau, prêtes à être attachées à ce solide cordage au parfum de chanvre.
Un remorquage périlleux
Nos destins sont désormais liés pour de longues heures. L'amarrage s'est enfin terminé, scellant notre destin commun pour de longues heures. Nous partageons la même fréquence radio pour communiquer entre nous. L'équipage du Götheborg fait preuve d'un grand professionnalisme et d'une gentillesse remarquable à notre égard. Le navire commence à avancer, nous entraînant doucement à sa suite. Il ajuste sa vitesse en fonction de la taille de notre modeste embarcation et des conditions météorologiques.
Nous sommes accompagnés par des marins aguerris, qui nous inspirent confiance. Chaque heure, l'officier de quart du Götheborg nous appelle pour s'assurer que tout se déroule sans encombre. Le remorquage se révèle plus complexe qu'il n'y paraît. Étant donné que notre bateau n'est plus équipé de son safran, il ne suit pas une trajectoire rectiligne, mais oscille en zigzag, provoquant à chaque changement de direction un choc qui risque d'endommager nos modestes amarres fixées au puissant cordage de remorquage.
Les amarres ne tiennent pas le coup
Après une heure, nous constatons avec désarroi que nos deux amarres mises à l'avant du bateau sont complètement cisaillées à cause du frottement contre les ferrures d'étrave. Ces amarres ne vont plus tenir très longtemps. Il faut trouver rapidement une solution. Nous doublons les amarres, mais cette fois-ci, il nous faut les protéger du cisaillement. D'une part, nous protégeons les amarres en les entourant de plusieurs couches de tissu découpé dans une housse, le tout étant fixé à l'aide de bande autocollante et serflex. D'autre part, j'évite le contact entre cordage et ferrure d'étrave en insérant la ferrure dans un pare-battage, préalablement éventré au couteau. Et ça marche !
Savoir réagir et intervenir
Cette fois-ci, les amarres sont bien protégées du frottement. Afin de réduire les mouvements d'oscillation du bateau, nous ajoutons également à l'arrière du bateau une traîne en utilisant tous les cordages dont nous disposons à bord. Alors que nous glissons à travers les eaux de la Manche, les heures s'égrènent, la lumière s'adoucit, nous plongeant dans une aventure singulière. Les vagues dansent autour de notre coque, tandis que les derniers rayons du soleil couchant se reflètent sur la surface étincelante de la mer. Nous pourrions presque nous croire plongés dans une aventure digne des récits de Corto Maltese, voguant au large de la mer de Chine.
Être remorqué par un majestueux navire d'une autre époque constitue une expérience unique et mémorable. Cependant, revenons à la réalité : le remorquage va durer très longtemps, près de 21 heures. Nous passerons la nuit ensemble, assurant une vigie constante, échangeant régulièrement par radio et profitant de quelques brefs instants de repos.
Paimpol plutôt que Guernesey
On peut se poser la question du choix de Paimpol plutôt que Guernesey, qui était plus proche. La proposition de Paimpol a été directement faite par le Gotheborg. La région de Guernesey et des anglo-normandes est beaucoup plus difficile d'accès, avec une côte assez dangereuse et des courants très forts. De plus, nous aurions dû naviguer contre le vent, ce qui aurait compliqué les choses, surtout avec notre progression relativement lente. En revanche, la zone de Paimpol offre une certaine tranquillité et s'inscrit mieux dans le plan de route du Gotheborg, qui devait se rendre à Jersey le lendemain. Étant donné sa grande taille, il est impossible au Gotheborg de pénétrer dans le port de Paimpol. Notre objectif est donc de nous approcher au plus près de la côte, puis demander à un autre bateau de nous remorquer jusqu'au port.
Terre en vue !
Le lendemain, alors que nous approchons des côtes françaises, le service de sécurité du Cross Corsen prend le relais. Afin de faciliter notre entrée dans le port, il lance un nouvel appel radio à tous les navires pour solliciter l'assistance d'un autre bateau. Malheureusement, aucune réponse positive ne nous parvient.
Dès que nous avons retrouvé la connexion réseau, je contacte également mon courtier en assurance maritime pour l'informer de notre mésaventure. Le premier échange avec le courtier est surprenant. Il m'annonce d'emblée que ma franchise d'assurance est passée de 250 euros à 2 500 euros. La raison invoquée est que notre port d'amarrage est maintenant en France. Je suis stupéfait par cette information soudaine qui semble surgir de nulle part. Mais pour le moment, nous sommes toujours en pleine mer et nous avons bien d'autres préoccupations que cette question de franchise.
Arrivée de la vedette de la SNSM Paimpol
Aux alentours de midi, le Götheborg s'approche au plus près de la côte, jusqu'à ce que la Société Nationale de Sauvetage en Mer (SNSM) arrive. Une fois les manœuvres de changement de remorque terminées, nous exprimons notre profonde gratitude à l'équipage du Götheborg par de grands gestes, et ils nous répondent de la même manière. Le moment est rempli d'émotion alors que nos chemins prennent désormais des directions différentes. Le bateau de la SNSM est relativement rapide. Nous franchissons l'écluse du port et nous voilà enfin arrivés sains et saufs à Paimpol.
En signe de gratitude, nous offrons quelques bières belges à l'équipage de la vedette de la SNSM.
Chaleureusement accueilli par des gens de mer
Nous sommes chaleureusement accueillis par les agents du port qui nous remorquent jusqu'au pied du Chantier Dauphin. Très rapidement, nous faisons la connaissance de Pierre-Yves Dauphin, le propriétaire du chantier naval le plus important de Paimpol. Le bateau est sorti de l'eau et examiné par l'équipe de professionnels expérimentés du chantier. Ils sont perplexes face à la situation, n'ayant jamais observé de ferrures en inox solides se déchirer de cette manière sans aucune raison apparente. Selon les experts, il est certain que le safran a touché quelque chose, il s'est sans doute pris dans un cordage ou un filet de pêche à la dérive. Un devis est établi dans la journée et les réparations seront effectuées par leur équipe qualifiée dans la semaine, avec l'accord de notre assureur.
Un épilogue qui se finit bien
La question de l'assurance nous revient fréquemment, étant donné que le bateau est couvert par une assurance tous risques. La conclusion de notre assureur maritime est sans équivoque : pour eux, il s'agit d'un accident attribuable à l'usure due à l'âge du bateau. Ceci clôt les discussions sur le montant de la franchise qui aurait été applicable. Ils ne prennent en charge que le remorquage effectué par la SNSM sur les derniers milles nautiques. Quant au Götheborg, il ne nous a jamais demandé quoi que ce soit pour ce long remorquage de près de 50 milles nautiques et 21h de navigation.
L'importance de l'appel de détresse en anglais
Par la suite, nous avons pris contact avec l'équipage du Götheborg pour les remercier, et quelques jours plus tard, nous avons été invités à bord lors de leur escale à Rotterdam. Ce fut une occasion privilégiée de les remercier chaleureusement et de découvrir leur remarquable navire. Lors de cette rencontre, ils nous ont partagé un détail important : notre appel initial à la radio VHF avait été effectué en anglais et ensuite relayé en français par le Cross Jobourg. Si nous n'avions pas fait cet appel en anglais, l'officier de quart du Götheborg n'aurait rien compris et n'aurait donc pas pu réagir. Ce voyage restera à jamais gravé dans notre mémoire, non seulement en raison de cette rencontre exceptionnelle, mais aussi grâce à la solidarité des marins que nous avons eu la chance de croiser, ainsi qu'à tous les professionnels qui nous ont apporté leur aide tout au long de cette aventure.
Retour sur l'histoire du Götheborg
Le Götheborg est un trois-mâts carré suédois de 47 m de long, construit entre 1992 et 2005, réplique d'un indiaman du 18e siècle. C'est le plus grand bateau en bois toujours en activité. Le navire original a été construit en 1738 aux docks Terra Nova de Stockholm pour la Compagnie suédoise des Indes orientales. Il a coulé dans le port de Göteborg le 12 septembre 1745 en revenant de Chine, après avoir heurté une falaise près de Älvsborg. Le navire transportait du thé, une grande quantité de porcelaine et six tonnes d'argent métal. Une partie de la cargaison fut récupérée en 1745 sur l'épave. L'épave a été redécouverte en 1984.
Il est aujourd'hui basé au port de Göteborg où il est souvent visible. Il participe également à des rassemblements maritimes. Il embarque des produits issus du transport équitable pour la société TOWT (TransOceanic Wind Transport) créée en 2009.