En France, le secteur nautique fait face à un défi environnemental de taille : le manque d'aires de carénage conformes aux normes écologiques. Le carénage, indispensable pour l'entretien des coques de bateaux, engendre une pollution significative due aux peintures et aux résidus toxiques libérés. Ces pratiques, si elles ne sont pas encadrées par des installations adéquates, peuvent gravement endommager les écosystèmes marins. C'est pourquoi il est interdit aujourd'hui de caréner sur une cale. Il faut obligatoirement être dans une zone qui récupère les eaux usées.
Au port des Sablons à Saint-Malo, Bretagne Plaisance est engagée dans une démarche environnementale vertueuse, certifiée Ports Propres. Depuis 2014, une initiative a ainsi été mise en place avec l'installation d'une aire de carénage submersible visant à réduire l'impact écologique sur les écosystèmes marins. Un modèle qui pourrait servir pour d'autres ports français. Dominique Bonnel, directrice adjointe de la Société Bretagne Plaisance, et Stéphane Horvais, responsable technique du port des Sablons à Saint-Malo, nous parlent de son fonctionnement.
Une cale de carénage submersive
Couvrant une superficie de 20 hectares, le port des Sablons, situé au sud-ouest de la ville de Saint-Malo, à proximité de l'embouchure de la Rance, est en capacité d'accueillir 1200 bateaux. En plus de sa vocation de marina, il constitue également une zone économique intégrant divers espaces techniques : parmi eux, figure à la fois une zone technique terrestre ainsi qu'une cale de carénage submersible. Cette dernière, établie en 2014 avec le soutien de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, constitue une réponse innovante pour répondre aux besoins des plaisanciers.
''La thématique du carénage est essentielle pour les ports de plaisance : on ne peut pas caréner n'importe où. Il existe des espaces dédiés'', rappelle Dominique Bonnel, directrice adjointe de la société publique locale Bretagne Plaisance qui exploite le port depuis janvier 2024. En effet, le carénage des bateaux est une étape incontournable pour leur maintenance, mais elle peut aussi être source de problèmes environnementaux si elle n'est pas réalisée de manière appropriée. C'est là qu'interviennent des initiatives comme celle mise en place au port des Sablons avec pour objectif de limiter les pollutions liées aux peintures sous-marines des bateaux tant professionnels que de plaisance.
"Tous les ports sont dans des démarches vertueuses, notamment des certifications environnementales. Aux Sablons, nous avons la thématique Port Propre actif en biodiversité. Dans les sujets abordés par la certification délivrée par l'AFNOR, la thématique du carénage est essentielle, car il s'agit d'une source majeure de pollution s'il n'y a pas d'espaces dédiés au carénage", ajoute-t-elle. Malgré ces avancées, un écart persiste entre le nombre de bateaux nécessitant un carénage et le nombre d'opérations effectivement réalisées. Comprendre les pratiques de carénage, ainsi que les besoins et les attentes des usagers, reste donc un enjeu important pour les ports de plaisance.
Fonctionnement de la cale submersible de carénage
Le principe de l'aire submersible de carénage est ingénieux, mais simple. Les bateaux arrivent à marée haute et s'échouent contre le quai ou contre l'esplanade.
Le processus démarre lorsque la mer se retire. Stéphane Horvais, responsable technique du port des Sablons, nous le décrit en détail : ''On a deux parties sur la cale, la haute et la basse qui sont identiques, séparées par un caniveau. Au fur et à mesure que la marée descend, dans un premier temps, on va vider, via un système de pompage, les caniveaux et la chambre de relevage qui sont logiquement pleins d'eau de mer. On ne mélange pas l'eau de mer avec tout ce qui est eau douce et effluents de carénage. Une fois que toute l'eau de mer est pompée, une alarme va retentir pour ouvrir la possibilité de caréner. L'idée est que le plaisancier ne puisse absolument pas démarrer une opération de carénage tant que les conditions ne sont pas réunies afin de ne pas polluer. Un automate va alors déclencher l'activation des nettoyeurs haute pression qui sont à dispositions des plaisanciers pour caréner. Absolument tous les rejets vont être récupérés au niveau des caniveaux arrivants dans la chambre de relevage. C'es eaux usées sont retraitées par une unité de retraitement qui est identique pour la cale et la zone technique. Cette eau retraitées sera utilisée en fin de cycle. Quand la marée remonte, avant qu'elle n'atteigne la cale de carénage, une deuxième sonnerie retentit et les nettoyeurs haute pression sont coupés. Il est alors interdit de continuer à caréner.''
Dernière étape indispensable de ce circuit fermé : les bouches de rinçage vont terminer de rincer la cale avec l'eau retraitée, qui sera à son tour renvoyée dans les cuves de traitement. Lorsque la marée revient, la cale est propre et débarrassée des polluants.
Un accès gratuit sans réservation
Dominique Bonnel ajoute l'importance d'avoir rendu le système accessible à tous pour des raisons environnementales. Ainsi, l'aire submersible est gratuite et en libre-service. Seule l'utilisation des nettoyeurs haute pression est payante.
Une approche qui les différencie des autres ports qui facturent l'échouage. Aux Sablons, une évaluation a été menée, révélant en moyenne 1000 carénages par an. Des plaisanciers, pour ainsi dire convaincus, qui sont nombreux à fréquenter la cale.
En conséquence, Stéphane raconte leur difficulté, l'an dernier, de trouver le bon moment pour effectuer le grand nettoyage nécessaire de la cale submersible, car des mousses et des sédiments s'y accumulent : "Tout l'été 2023, jusqu'à mi-septembre, nous avons eu une affluence importante de carénage, alors que d'habitude, l'aire fonctionne de mai jusqu'à fin juin".
Se moderniser en s'inspirer d'autres initiatives
Le succès de l'aire submersible de carénage au port des Sablons démontre qu'il est possible de conjuguer entretien des bateaux et respect de l'environnement. Cependant, la directrice adjointe de Bretagne Plaisance rappelle : "Nous devons réfléchir à la modernisation et à l'extension de notre port de plaisance pour avoir un équipement plus écoresponsable. Les technologies doivent être de plus en plus vertueuses en termes de consommation d'eau."
Une prise de conscience qui répond a des installations datant de quelques années déjà au port des Sablons, en cours d'être dépassées sur le marché. ''Au niveau budget, cela coûte plusieurs milliers d'euros. Ce système est ce qu'il se faisait de mieux il y a dix ans. En 2024, les choses ont évoluées. Tout se fait en circuit fermé, c'est-à-dire qu'il y a de grandes cuves de récupération d'eau et tout fonctionne avec l'eau de pluie et de retraitement de l'eau. À Port-la-Forêt, ils devraient par exemple commencer à utiliser un tel système sous peu'', précise Stéphane.
Si l'aire submersible de carénage des Bas Sablons à Saint-Malo fonctionne en circuit fermé, il faut comprendre qu'en réalité, elle ne l'est pas totalement puisqu'elle utilise l'eau potable du réseau collectif pour l'utilisation des nettoyeurs haute pression. ''Un réel gâchis'', s'accordent à dire Dominique et Stéphane, même si une fois que cette eau est souillée, elle est traitée en local pour le rinçage de la cale. Les restrictions d'eau, quant à elles, suivent à juste titre lors des arrêtés de sécheresse. L'activité n'est effectivement pas vitale, mais cela constitue un réel problème pour les besoins des plaisanciers. "Un système tel que celui envisagé par Port-la-Forêt avec un recyclage de l'eau est donc idéal", mentionne Stéphane, soulignant ainsi une solution prometteuse, bien qu'exigeante en termes d'infrastructures.
Dominique insiste : ''C'est un enjeu des ports de demain, ou plutôt même déjà d'aujourd'hui. C'est pourquoi nous sommes sur une réflexion sur la modernisation et l'extension de notre port de plaisance. Comment pourrait-on arriver à avoir, prochainement, un équipement plus écoresponsable ? De quelle manière peut-on inciter les plaisanciers à ne pas opter pour les carénages sauvages interdits par la réglementation ? Tant que celui-ci utilisera des antifoulings pour caréner ou des produits chimiques pour protéger sa coque de bateau, le sujet sera toujours d'actualité. L'autre piste reste de travailler sur des pratiques alternatives. Même si cela est lourd en budget pour d'autres chantiers, ils doivent se mettre aux normes.''