L'ADER : une histoire d'artisanat et de passion pour faire revivre la navigation en doris

Jean-Pierre Lassauce, Jean-Yves Leport et Yves Roussel, membres de l'ADER

Au port des Bas Sablons, à Saint-Malo, nous avons rencontré les membres de l'Association Doris Emeraude Rance (ADER). Profondément investis, ils s'engagent depuis 1992 dans la sauvegarde des doris, ces embarcations emblématiques des ports morutiers français du 19e siècle essentielles à la grande pêche aux bancs de Terre-Neuve.

Fondée en 1992 par des amateurs de bateaux en bois, l'Association Doris Emeraude Rance (ADER) à Saint-Malo se consacre à maintenir vivante la tradition de ces embarcations, autrefois essentielles à la pêche sur les bancs de Terre-Neuve.

Conserver l'authenticité d'un bateau traditionnel

Le doris se présente comme une embarcation en bois caractérisée par un fond plat, des bords à clins, une coque bien tonturée avec une sole plate remontant aux deux extrémités d'une dizaine de centimètres, une étrave élancée et un tableau en écusson à l'arrière. Propulsé à l'aviron et très stable en mer, il mesure entre 5 et 6 mètres de long et pèse environ 180 kg.

©ADER
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Ces bateaux étaient construits par des charpentiers de marine habitant sur le littoral, principalement le long de la Rance, pour le port de Saint-Malo. François Lemarchant, du chantier de la Landriais près du Minihic-sur-Rance, fut l'un des premiers à imiter et améliorer le doris américain. Entre 1890 et 1930, de mai à septembre, ce chantier produisait chaque année 200 doris.

©ADER
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À présent, l'association ADER perpétue cette tradition d'utilisation des doris dans leur forme originelle en entretenant une flotte de 8 doris avec ses adhérents. Ensemble, ils s'occupent de la réparation, de la remise en peinture et de la construction de nouveaux doris au fur et à mesure que les anciens sont retirés.

Henri-Pierre Lequement et sa toile représentant l'atelier de l'association
Henri-Pierre Le Quement et sa toile représentant l'atelier de l'association

Yves Roussel, qui s'attache à transmettre sa passion pour ces constructions en bois au sein de l'association, nous livre son expertise :

"C'est une embarcation de construction très modeste, mais remarquablement intelligente, car elle se fabrique aisément. Il est facile d'utiliser des procédés semi-industriels. Les planches de la sole sont juste rabotées. Il n'y a pas d'autre travail à faire qu'un léger biseau côté extérieur pour réaliser l'étanchéité par matage d'une tresse coton. L'assemblage se fait en serrant les planches de la sole avec des serre-joints fabriqués à partir de chevrons. En utilisant un gabarit, vous dessinez le contour de la sole et assemblez les planches avec des varangues. Une fois celles-ci posées conformément au plan, vous pouvez vous libérer des chevrons et découper la sole."

Ensuite, il faut mettre les membrures : 7 sur ce bateau, qui ont la même angulation entre le fond et le bord du bateau avec un angle d'environ 120 degrés. Toutes ces parties des membrures peuvent être découpées en série. Un charpentier professionnel met environ 70 heures à construire un doris. Sur les bordées de côté, la seule chose à faire est de réaliser un clin, c'est-à-dire un léger biseau.

Les clins sont cerclés en rouge
Les clins sont cerclés en rouge

Vous assemblez ces planches sur les membrures, clin sur clin. Ces clins sont fixés avec des rivets en cuivre et l'étanchéité est simplement assurée grâce à la pression exercée par le gonflement du bois lors de la mise à l'eau.

"La seule partie du bateau qui demande un travail de calfatage est celle du fond du bateau. Le sapin du nord utilisé aujourd'hui est de qualité inférieure à celui d'autrefois, ce qui nécessite un travail relativement important de correction des défauts du bois, en particulier pour effectuer des remaillés afin d'éliminer les noeuds. Il nous arrive d'utiliser de vieux outils d'époque pour le fun, mais en atelier, les outils modernes sont priorisés pour faciliter notre travail".

Navigation, découverte et convivialité

Afin de perpétuer l'héritage du doris, l'association ADER organise tous les week-ends des sorties récréatives axées sur la pratique sportive, les promenades en mer ou les sessions de pêche, ouvertes à tous ses membres tout au long de l'année.

"Les doris sont immatriculés et on leur donne des noms mythiques des bancs de Terre-Neuve (Grand Banc, Bonnet Flamand, Banquereau...). On a gardé l'authenticité de ces bateaux pour perpétuer le patrimoine local de la région", explique Jean-Yves Leport, trésorier de l'association, avant de poursuivre : "Sur chaque doris nous sommes 2 ou 3, chacun est muni d'une paire d'avirons et de ses tolets. Au gré du vent et du courant, nous choisissons un parcours : la pointe de la Varde, la Conchée, Cézembre, Harbour, la pointe du Décollé, la baie de Dinard, Cancale... Il y a également possibilité de réaliser des sorties en semaine. Une fois, nous nous sommes lancés dans la remontée de la Vilaine : 150 km sur environ 6 jours. Je peux vous dire qu'il fallait tenir le rythme !". Plusieurs autres manifestations sont prévues pour l'été 2024 : une sortie en baie avec les Gabariers de la Rance le premier week-end de juillet, une initiation à l'aviron en doris le 15 août aux Bas-Sablons, ou encore le Branle-Bas de doris qui se tiendra les 21 et 22 septembre.

© IGN, SHOM La baie devant Saint-Malo
© IGN, SHOM La baie devant Saint-Malo

©ADER
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Quoi qu'il en soit, ces embarcations traditionnelles n'attendent que de nouveaux découvreurs, peu importe leur âge. "Vous savez, à la retraite, il faut bien s'occuper. C'est pour ça qu'on a trouvé des bateaux aussi vieux que nous", plaisante Yves. "Mais il y a aussi les jeunes générations qui prennent plaisir à venir passer un moment à bord, en couple ou entre amis", ajoute-t-il.

Une activité qui permet certes de garder la forme physique, mais qui offre également l'occasion de se mesurer à la cadence des autres équipiers, ou tout simplement de profiter des paysages offerts par la tranquillité d'une navigation à l'aviron. À bord, un dernier conseil prodigué par Yves Roussel : "Le dos bien droit, détendre ses épaules et tendre ses bras avant d'engager la traction à la rame. Le mouvement doit être à la fois souple et contrôlé. Ensuite, il n'y a plus qu'à tester votre endurance !"

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