Madeline : l'histoire d'un smack ressuscité par un malouin et labellisé BIP

Madeline, un smack datant de 1898 acquis par Jean Bertrand en 2018 à Saint-Malo pour la plaisance, serait le plus ancien bateau de pêche à battre pavillon français. En 2023, il a été labellisé BIP, Bateau d'Intérêt Patrimonial.

En 2018, Jean Bertrand, pilote de ligne, se lance dans une aventure inattendue en acquérant un bateau du nom de Madeline, sans vraiment mesurer sa valeur patrimoniale. Alors que la pandémie de Covid-19 paralyse le monde, Bertrand saisit l'occasion pour donner vie à son rêve de navigation en le retapant, un projet qui durera trois ans. Épaulé par ses frères, il redonne vie à Madeline, un petit Smack de l'Est de l'Angleterre, qui a bravé les eaux et les époques, titillant les hauts-fonds de la rivière Colne. Avec ses 125 ans au compteur, Madeline, labellisé BIP (Bateau d'Intérêt Patrimonial) en 2023, se démarquerait comme le plus ancien bateau de pêche à battre pavillon français.

Trouver bon preneur

Importée en France en 2003, Madeline passe par plusieurs propriétaires avant d'atterrir au chantier naval Étoile Marine à Saint-Malo où elle attend patiemment une nouvelle destinée, placée à l'abri au fond d'un hangar. En 2014, Stéphane De Marquette, séduit par les courbes de Madeline, en fait l'acquisition.

Madeline en 2018 sur un chantier à Saint-Malo
Madeline en 2018 sur un chantier à Saint-Malo

Après quelques rénovations, le voilier, réarmé, est enfin prêt à retrouver la mer. ''C'est à cette époque que Stéphane De Marquette m'a demandé de l'accompagner. Il connaissait ma passion pour ces gréements si particuliers. Madeline se montra agréable à la manœuvre et ces quelques sorties par petit-temps furent très agréables'' se remémore Jean, le nouveau propriétaire.

Madeline sous l'île de La lande à Cancale
Madeline sous l'île de La lande à Cancale

En 2018, Jean Bertrand reprend officiellement le flambeau. Après avoir engagé des recherches approfondies sur l'origine du bateau, il est déterminé à préserver l'âme et l'histoire de Madeline pour les générations à venir. Jean Bertrand a un objectif clair : faire labelliser Madeline BIP (Bateau d'Intérêt Patrimonial), afin de sécuriser son avenir et de garantir qu'elle continuera à naviguer au fil des ans.

Une enquête minutieuse

''Le premier défi a donc été de prouver que ce bateau gréé aurique était aussi ancien qu'on le prétendait'', explique Jean. L'OGA Boat Register Editor a été contacté et un important travail de recherches a été fourni. Une correspondance avec l'un des anciens propriétaires, John Hugget, qui avait acheté le bateau en 1984 à Woodbridge, a révélé que Madeline avait été construit dans les années 1890, probablement dans un chantier naval situé à Great Yarmouth, Lowestoft ou Norfolk Broads dans la région du comté de Norfolk, à l'est de l'Angleterre. Les modifications apportées par John Hugget, telles que l'ajout de pavois, ont été documentées, fournissant des indices sur l'évolution du bateau au fil du temps. Des archives du Gaffer's Log ont alors confirmé des références à Madeline, notamment sa participation à l'East Coast Race en 1987 et 1988, ce qui a permis de relier les différents enregistrements et de confirmer l'authenticité du voilier de Jean Bertrand.

Madeline vers 1970
Madeline vers 1970
Madeline vers 1975
Madeline vers 1975

Après consultation de l'avis de vente datant de 1977, il s'est avéré que Madeline avait été construite en 1898 par James Brightlingsea, dont le chantier naval, J.W James, était situé à l'embouchure de la rivière Colne dans le comté d'Essex, à l'est de l'Angleterre. Cette découverte a permis à Jean de comprendre l'importance des Smacks dans la région. La rivière Colne était un lieu emblématique pour ces bateaux, et dès les années 1970, des passionnés avaient fondé la Colne Smack Preservation Society pour préserver et célébrer cet héritage maritime.

Le Shipyard ou fut construite Madeline
Le Shipyard où fut construite Madeline
Madeline sous voile vers 1975 sur la rivière Colne
Madeline sous voile vers 1975 sur la rivière Colne

D'après les recherches menées sur le dernier propriétaire anglais, Hector John Barr, qui possédait la voilerie de Wivenhoe dans le Sussex où est actuellement abrité le Nottage Maritime Institute, aurait été en possession de Madeline pendant environ quinze ans, avant de la vendre en 1947. Des investigations approfondies menées aux archives du Nottage Institute ont révélé que Madeline avait été utilisée comme bateau de pêche pendant la Seconde Guerre mondiale et qu'elle avait reçu un permis de pêche. Cette découverte a été une véritable consécration, marquant un moment émouvant pour son propriétaire actuel.
En 2023, grâce à ce travail de recherche de plusieurs mois, Madeline a obtenu le label BIP, un honneur qui soulignerait son potentiel statut de plus ancien bateau de pêche à battre pavillon français. Datant de 1898, il accumule en 2024, 126 années de navigation.

Qu'est-ce qu'un Smack ?

Le terme "Smack" fait référence à un type de bateau qui a évolué au cours du temps et dont les origines remontent à la période de domination maritime hollandaise du 16e siècle. À cette époque, des avancées majeures dans la construction navale ont accompagné l'émergence du commerce maritime. Ces progrès ont été soutenus par la construction de canaux et l'expansion des terres gagnées sur la mer, stimulant ainsi le développement de nouveaux types de navires pour répondre aux besoins croissants du commerce. Les Smacks étaient parmi ces innovations.

L'architecture des Smacks était caractérisée par une coque robuste et une voilure spécifique, comprenant notamment la voile à livarde, qui permettait aux navires de mieux naviguer au vent. Le terme "smak" ou "schmack" désignait cette voile moderne, qui était positionnée à l'avant et à l'arrière du navire. Les premiers Smacks étaient des navires ouverts, sans pont, utilisés principalement pour la pêche et le transport de marchandises sur des fonds peu profonds le long des côtes de la mer du Nord et de la mer Baltique.

Petits Smack en pêche, 1906
Petits Smack en pêche, 1906

Au fil du temps, les Smacks ont évolué pour devenir des bateaux rapides, capables de naviguer par tous les temps. Leur conception les rendait également adaptés à la mise à l'abri de l'équipage en cas de mauvais temps. Par la suite les coques restaurées des Smacks ont été très recherchées par les amateurs de voiliers de plaisance. Ce type de bateau est désormais assimilé au cutter anglais. Pour être adapté à la plaisance, un cotre à gaffe doit présenter une coque équilibrée avec une quille de longueur suffisante. L'extrémité de l'étrave ne doit pas être trop courte, ce qui permet au bateau de manœuvrer efficacement tant face au vent que dans une houle, tout en maintenant un cap constant, sans nécessiter un effort excessif de la part du barreur.

La restauration de Madeline

En hiver 2018, une forte dépression d'ouest frappe Saint-Malo, causant de graves dommages au bateau. Confronté à l'ampleur des réparations nécessaires, Stéphane De Marquette propose à Jean de le reprendre. Après une expertise minutieuse, ce dernier finit par accepter l'offre. Trois années de travail ont ensuite été consacrées à la restauration de Madeline. Jean raconte : "J'avais déjà une certaine expérience des vieux gréements, notamment avec La Malouine, mais aussi avec le Lord Will Sutherland, que j'ai secondé pendant 4 ans. À la demande de son ancien propriétaire, j'ai navigué sur Madeline pour partager mon expérience des classiques peut-être 3 ou 4 fois avant. J'avais vu le potentiel de ce petit smack. Je sais faire naviguer ces bateaux, mais aucunement les réparer. Je ne suis pas charpentier de marine. Alors, j'ai appris les bases dans les livres comme Entretenir et restaurer les bateaux en bois, édition spéciale du Chasse-Marée. J'ai aussi beaucoup regardé de chaînes YouTube. Tips from a shipwright, Tally ho, The art of boat building… Quand j'ai commencé, l'ampleur du travail était écrasante. Et par où débuter ? À chaque fois qu'on retirait quelque chose de pourri, on retrouvait quelque chose de pourri derrière. Psychologiquement c'est assez dur. Mais il faut être patient et prendre ça avec philosophie. A un moment, on rentre dans une deuxième phase : la déconstruction d'hier laisse place à la reconstruction de demain. C'est très satisfaisant."

Enfin, en juin 2023, le navire est remis à l'eau pour enfin reprendre le large. De constat post-restauration, la coque du bateau construite en pitchpin semble désormais en excellent état. Avec ses 15 bordées de 20 mm de chaque côté ainsi qu'une préceinte légèrement plus épaisse (25 mm), elle a été restaurée entre 2020 et 2022.

L'étrave est droite, la râblure correcte et le tableau arrière ajouré. Un calfatage en étoupe de chanvre a remplacé entièrement le calfatage en coton sur la coque bâbord, et seulement les œuvres vives à tribord.

Le pont, quant à lui, est composé de contreplaqué marine de 12 mm. La partie avant du roof est neuve. Les listons ont été entièrement remplacés par un liston en sapelli, rehaussé de 5 mm par rapport à l'original pour être affleurant du pont, évitant ainsi la stagnation d'eau.

Le pont repose sur un ensemble de barrots et de barrotins en chêne, dont 2 barrots structurels de la cale de mât ont été changés en cœur de frêne.

Le gréement est de type aurique, avec un mât en épicéa lamellé-collé datant de 1984. Tous les espars (bout-dehors, pic et bôme) sont en spruce. La barre en lamellé-collé a été remplacée par une barre en iroko massif, légèrement plus fine et plus basse pour préserver la ligne du bateau. Les cadènes sont constituées de 3 lames extérieures en bronze, boulonnées en inox traversant le plat-bord, la préceinte-serre bauquière, ainsi que les 3 premières bordées. Des cales intérieures de cadène ont été réalisées en cœur de frêne. L'étai, la moustache et la sous-barde sont en inox. Les bastaques sont reprises à l'aide d'un palan à 2 réas sur une cadène extérieure en bronze à 5 points de fixation. L'épontille de mât est neuve, reprise en tenon mortaise sur varangue. Jean dit avoir légèrement enfreint les règles ici en utilisant un lamellé-collé en CP Marine, une méthode qui n'est pas conforme à la tradition. Néanmoins, du point de vue de la résistance à la compression, cela était nécessaire. Les voiles quant à elles comprennent une grand-voile des années 90 en dacron de 82 m², un foc de 6 m² et une trinquette de 5 m² en coton, ainsi qu'un foc ballon de 18 m² en nylon. Le moteur Yanmar YS8 de 8 CV, datant des années 80, équipe le bateau et a été revu.

Jean est reconnaissant envers chacun de ses amis pour leur soutien et leur participation aux travaux. À la mise à l'eau, il explique qu'un mince filet d'eau s'est infiltré à bord : ''Tout à fait normal, le temps que le bois gonfle. Madeline avait quand même passé 4 ans à terre. J'avais prévu 4 pompes en cas de besoin qui n'ont pas servi... Même les gars du chantier étaient surpris''.

En 2024, Jean et sa copine ont formé l'association "Voiles Traditionnelles Bretonnes". Leurs efforts conjoints permettent d'organiser des sorties régulières pour les membres, tout en assurant l'entretien de Madeline.

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