Épaves nautiques : le CERES entre mission de préservation et maîtrise du renflouement

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À la croisée de la recherche scientifique et de la préservation du patrimoine nautique, le CERES se positionne en avant-garde de l'exploration sous-marine. Sa mission : repérer, renflouer et préserver les épaves maritimes.

Terribles témoignages de routes suspendues et de drames humains, ou objets de quêtes passionnées de cargaisons fabuleuses, les épaves sont des lieux de plongée sans pareil. Dans cet écosystème englouti, le Centre d'Études, de Recherche et d'Expertise Sous-marines (CERES), fondé par Bertrand Sciboz, dévoile un visage singulier de l'exploration sous-marine. Regard sur les défis d'une entreprise missionnée pour la localisation, le renflouement, et la préservation des épaves.

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Création d'une banque de données

Repérer des épaves, pour en assurer la mémoire et la survie, résonne comme un credo depuis bien des années pour Bertrand Sciboz, plongeur scaphandrier et expert en recherches sous-marines. Porté par son engagement, il revient sur la genèse de son entreprise : ''J'ai créé deux bases de données. L'une, géographique, que j'ai vendue à la plupart des pêcheurs français et européens dans le début des années 2000, ces derniers recherchant les épaves pour le poisson qu'elles contenaient. L'autre, élaborée sous un format Microsoft Access, s'apparenterait de nos jours à une donnée internet. Cette dernière devait être utilisée par les services de l'État et m'a, en quelque sorte, été réquisitionnée par le ministère de la Culture. J'en ai par la suite donné l'autorisation d'utilisation et d'exploitation à plusieurs associations amateurs de recherche d'épaves.''

Au cours de ses activités liées à la pêche à Saint-Vast-La-Hougue en Normandie, Bertrand Sciboz crée une entreprise spécialisée dans les travaux sous-marins. En remontant les chaluts accrochés au fond marin, à la demande des patrons pêcheurs, il identifie non seulement ses propres sites d'épaves, mais en découvre également de nouveaux. Son approche consiste à esquisser à main levée sur des cartes étendues les points d'épaves connues, ainsi que les coordonnées des crochets confiées par d'autres pêcheurs. Cette base de données embryonnaire, initialement basée sur des échanges informels entre marins, évolue avec l'abandon du papier et l'essor des logiciels de navigation au milieu des années 90. Cap Info naît.

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La société réoriente alors ses objectifs vers des démarches d'inventaires raisonnés et de protection patrimoniale. D'abord enracinée dans la baie de Seine, la base de données étend rapidement son empreinte à tout le littoral occidental français, du nord de l'Espagne à la Belgique, mais aussi aux mers d'Irlande et d'Écosse, à la Baltique et à la Méditerranée.

En incitant les navigateurs contemporains à évoluer en toute sécurité, ces bases de données s'imposent comme des acteurs cruciaux tant sur le plan économique que préventif.

Des épaves gênant la navigation

Les épaves ne se résument pas à des zones de pêche abondantes, mais constituent également des pièges redoutables pour les filets des pêcheurs. Combien de navires de pêche ont sombré en raison d'une croche qui a retenu leur chalut ? La déclaration d'une épave par un pêcheur est souvent synonyme de la perte de son équipement, une réalité bien connue des Affaires Maritimes et du DRASSM, le Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines.

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Les épaves contemporaines, en raison de leurs dimensions et de l'utilisation de matériaux métalliques, créent des obstacles sous-marins d'une envergure bien différente par rapport aux modestes tumulus des épaves en bois, enfouis sous le sable et la vase. Tandis que les campagnes menées par le SHOM - Service hydrographique et océanographique de la marine - se concentrent principalement sur la localisation des épaves gênant la navigation, Cap Info prend en compte, dès son lancement, chaque point de croche, procédant à une identification systématique. Cela permet la découverte d'anciennes épaves en bois du 20e siècle, facilitant ainsi l'étude et la préservation de ces précieux éléments du patrimoine nautique.

L'utilisation de matériels de pointe

Créé en 1994, Cap Info évolue rapidement pour devenir le CERES, Centre d'Études, de Recherche et d'Expertise Sous-marines. Spécialisée dans les domaines du "survey" et du "salvage", la société s'engage dans un large éventail d'activités, notamment la recherche d'objets immergés, la détection d'explosifs, les enquêtes sous-marines, ainsi que le renflouement et le démantèlement des épaves, incluant le tri et l'évacuation des déchets.

Établi à Montfarville en Normandie, le CERES privilégie dès ses débuts l'utilisation de sondeurs multi-faisceaux et investit dans un système de sonar Edgetech à balayage latéral bi-fréquence. Ce dispositif opère dans une plage de 300 à 600 kHz, à une vitesse de 8 nœuds, avec une portée de 500 mètres de chaque côté. En parallèle, le CERES acquiert également un sonar de très haute fréquence (1250 kHz), permettant une identification directe.

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L'imagerie acoustique obtenue, permet une représentation de la réflectivité du fond le long de la fauchée et surtout de la présence d'irrégularités ou de petits obstacles qui sont vus par le signal.

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En France, Bertrand Sciboz et son équipe travaillent à bord d'un catamaran habitable spécialement conçu et adapté pour ce type de mission. La vedette CERES offre la possibilité d'interventions rapides et ponctuelles sur site, ainsi que la réalisation d'opérations plus complexes et de longue durée. Cette particularité devient essentielle dans des zones soumises à la houle et aux vents, où la réactivité joue un rôle crucial. Il est en effet impératif d'optimiser l'utilisation des fenêtres météorologiques, notamment lors des études géophysiques et géotechniques, dont la qualité des résultats dépend directement des conditions de la mer.

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En complément, le Pioner Multi est un bateau utilitaire permettant à l'équipe du CERES de répondre à des missions où la hauteur d'eau, la proximité du littoral et l'espace de la zone de travail ne permettent pas de mobiliser le catamaran. Particulièrement stable, le Sirius II, permet ainsi de réaliser toutes sortes de campagnes océanographiques, mais aussi de mobiliser des plongeurs facilement grâce à l'installation d'une rampe avant.

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Des méthodes adaptées aux types d'épave

Lorsqu'il s'agit de renflouer des navires, l'approche adoptée dépend étroitement de la nature spécifique des épaves en question. Trois stratégies distinctes sont mises en œuvre pour mener à bien cette tâche complexe. Dans un premier cas, l'utilisation de ballons se présente comme une méthode ingénieuse, offrant une solution de flottaison efficace pour remonter le navire à la surface des eaux tumultueuses. Une autre alternative consiste à recourir à un grab spécialement équipé de caméras et de projecteurs, agissant comme une pince à sucre géante. Cette technique était à l'origine destinée à extraire des valeurs telles que des lingots ou des barres de métaux des cales d'épaves. Une troisième stratégie s'articule autour de l'utilisation d'une imposante barge équipée d'une grue. Cette dernière approche permet d'aborder les opérations de renflouement avec puissance et précision, garantissant une intervention efficace dans des conditions souvent complexes.

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Lors d'une virée en mer le 5 septembre 2015 aux environs des îles Saint Marcouf en Normandie, le cotre Marie Madeleine s'échoue. Le 20 septembre 2015, l'équipe de Bertrand Sciboz organise une opération de renflouement qui permet à ce voilier, classé monument historique depuis 1984, d'être mis en cale sèche afin d'évaluer l'ampleur des dégâts.

Renflouage d'épaves, mais pas que...

Parmi les richesses des récifs coralliens de la Nouvelle-Calédonie, dont une grande partie est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, se cachent des centaines de mines oubliées...

En 2008, Bertrand Sciboz, expert auprès de la cour d'appel de Caen, publie un rapport troublant stipulant qu'en 1942, les Américains, craignant une nouvelle attaque japonaise, ont mandaté les navires britanniques, principalement australiens, pour miner les différents accès aux atolls et îles du Pacifique, considérés comme bases avancées potentielles pour l'ennemi. Grâce au matériel de très haute technologie dont il dispose, le CERES est alors missionné dans le lagon de Nouméa pour rechercher ces vestiges de mines antisous-marines restées là depuis la Seconde Guerre mondiale.

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En 2009, une opération internationale de déminage concerne ainsi 1 600 mines. Bien que la plupart de leurs systèmes de mise à feu électriques soient considérés comme inopérants, chacune renferme néanmoins 300 kg de TNT, avec amorces et détonateurs. Dans certains secteurs du lagon où l'eau est moins oxygénée et les courants moins violents, les mines sont particulièrement bien conservées, laissant supposer un mécanisme quasiment intact à l'intérieur.

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Gestion des risques environnementaux

Bertrand Sciboz rappelle l'existence de deux principaux risques environnementaux associés aux opérations de renflouement. Le premier concerne les carburants présents dans l'épave, tandis que le second est lié aux explosifs potentiels présents dans de nombreuses épaves et artefacts sous-marins, souvent hérités de conflits, comme observé lors des opérations en Nouvelle-Calédonie.

À l'origine de la création du CERES, l'objectif premier était la recherche d'épaves, qu'elles soient contemporaines ou anciennes. Progressivement, la société a élargi ses activités pour inclure la partie hydrographie, englobant la dépollution des océans, la cartographie, et le suivi de la nature des fonds marins.

Un exemple significatif de l'implication de CERES dans la gestion environnementale est illustré par le naufrage de l'Erika, un pétrolier transportant 31 000 tonnes de fuel qui a provoqué l'une des plus grandes marées noires de l'histoire française en 1999, au large de la Bretagne. Dans ce contexte, le CERES a fourni une cartographie détaillée de la zone pour faciliter l'intervention des bateaux de pompage, en collaboration avec le BEA, Bureau Enquêtes et Accidents en mer.

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Chasseur de trésors

Au cours de ses missions à la recherche d'épaves à forte valeur ajoutée, Bertrand Sciboz confie avoir mis au jour des cargaisons de métaux non ferreux dans des épaves telles que le trois-mâts barque Eugene Pergeline au sud de l'Irlande ou encore le cargo trois-mâts Barsac dans la Manche, renfermant toutes deux du nickel. Des chargements de cuivre, d'étain, de plomb, ainsi que d'argent et d'or, ont également été extraits au cours d'expéditions spécifiques.

"Les motivations sous-jacentes sont purement pragmatiques et mercantiles en termes de finalité", explique Bertrand Sciboz. "Bien que beaucoup se réfèrent à l'archéologie et à l'Histoire, la réalité réside essentiellement dans la quête de trésors de valeur financière''.

Le Barsac au Havre en 1911 © Wormsetcie
Le Barsac au Havre en 1911 © Wormsetcie
L'Eugène Pergeline
L'Eugène Pergeline

Entre patrimoine et pragmatisme

Bertrand Sciboz se révèle critique sur la perspective de renflouement de certaines épaves. ''De mon point de vue, il est peu judicieux de chercher à préserver des épaves condamnées à disparaître tôt ou tard'', affirme-t-il. Prenant l'exemple des épaves du débarquement, fréquentées par quelques plongeurs, il remet en question les efforts déployés pour leur protection, les jugeant disproportionnés par rapport à leur utilité potentielle. ''De plus, il faut bien prendre en compte qu'il existe des centaines d'épaves construites avec des matériaux différents, constituant également d'importantes réserves de poissons. En conséquence, les pêcheurs contribuent à leur arasement en allant taper dedans.''

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