Interview / Les surfeurs bretons bientôt sur des planches imprimées en 3D à partir d'algues vertes ?

© Paradoxal Surfboards

Il y a trois ans, le Douarneniste Jérémy Lucas lançait l'idée d'une planche de surf imprimée en 3D à partir d'algues vertes. Un projet original, dernièrement récompensé par le premier prix d'un concours international, l'Ocean Pitch Challenge 2023, qui semble plus que jamais sur le point d'aboutir. La commercialisation est prévue d'ici peu.

Derrière l'image idyllique du surfeur écolo se cache une réalité bien moins glamour : près de 95 % des matériaux constituant une planche de surf proviennent de l'industrie pétrochimique. Cette production a un impact environnemental significatif en termes d'empreinte carbone. Le projet de Paradoxal Surfboards, récemment récompensé par l'Ocean Pitch Challenge 2023, offre une alternative novatrice et écologique en proposant des surfs 100 % biosourcés, imprimés en 3D à partir d'algues vertes et brunes. Jérémy Lucas, entrepreneur breton, nous décrit son implication.

© Paradoxal Surfboards
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Pouvez-vous nous donner un aperçu de la genèse de votre projet ? D'autres acteurs vous accompagnent-t-ils ?

L'origine du projet découle de trois circonstances conjoncturelles :

  • En 2020, en tant que co-président de l'association YSTOPIA à Douarnenez, j'étais impliqué dans la mise en lumière d'initiatives agissant en faveur de la préservation de la biodiversité et de l'océan. Parallèlement, en tant que co-directeur d'un bureau d'études en conception mécanique, nous utilisions l'impression 3D pour créer divers objets, qu'ils soient décoratifs, pour le modélisme ou pour remplacer des pièces rares. Rentabiliser cette partie de notre activité s'est avéré complexe, en raison de la nature chronophage du sur-mesure. À l'époque, mon objectif était de recentrer notre activité exclusivement sur des objets dont nous maîtrisions la conception en amont.
  • Un jour, lors de la livraison d'une commande à l'une de nos clientes, celle-ci m'a interrogé sur le matériau utilisé dans nos impressions 3D. J'ai expliqué qu'il s'agissait d'un plastique végétal, dépourvu de pétrole, fabriqué à partir d'amidon de maïs (PLA). Possédant une connaissance approfondie du sujet, elle a souligné que le PLA utilisé provenait des États-Unis, le plus grand producteur mondial, qu'il était génétiquement modifié, causait des dommages aux zones de biodiversité et que la culture du maïs nécessitait une quantité importante d'eau... en résumé, un matériau peu écologique ! C'est ainsi que l'idée de créer localement notre propre matériau éco-conçu pour l'impression 3D a émergé.
  • Quelques jours plus tard, lors d'une session de surf à la plage du Ris à Douarnenez, j'ai remarqué que la baignade était momentanément interdite en raison de la prolifération d'algues vertes et des risques sanitaires associés, un problème récurrent à Douarnenez. Malgré la présence abondante d'algues, j'ai décidé de surfer sur ce spot, mais cela m'a laissé mal en point, cloué au lit pendant deux jours. Cet épisode a provoqué en moi une prise de conscience environnementale, et m'a incité à agir à mon échelle face au problème des algues vertes échouées.
© Paradoxal Surfboards
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Et puis, eurêka ! L'idée a émergé : utiliser les algues vertes échouées pour créer un matériau thermoformable en impression 3D, en vue de fabriquer un objet avec une conception préalablement maîtrisée : un surf en algues ! C'est ainsi que le projet Paradoxal Surfboards a vu le jour.

Depuis, Paradoxal Surfboards est devenu membre du cluster maritime français et adhère à Respect Ocean. Il a bénéficié d'un triple accompagnement : à l'incubateur Finistère Mer Vent, à la Technopole de Quimper, et au Blue Living Lab.

Expliquez-nous en détail la conception technique de vos surfs. Pourquoi cette forme alvéolée ?

© Paradoxal Surfboards
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La réalisation de ce projet repose sur une recette à la fois simple une fois établie, mais qui s'avère relativement complexe à mettre en œuvre, exigeant une polycompétence. Trois éléments clés étaient indispensables :

  • Conception de la planche - Dessin industriel et CAO/DAO :

Concevoir une planche de surf imprimable en 3D à partir de zéro représente un défi de taille. Il a fallu trouver un équilibre entre un design novateur, optimisant la quantité de matériau utilisé pour réduire les coûts de production, respectant les délais de production, tout en garantissant la performance de la planche, son poids final, et une répartition équilibrée des charges avec un minimum de post-production. Le succès du modèle économique en dépend.

  • Impression 3D et développement du nouveau matériau

Une fois la planche conçue, son impression a requis l'utilisation d'une imprimante 3D grand volume. Pour le premier prototype, le cœur de la planche, remplaçant les pains de mousse traditionnels, a été imprimé en deux parties, puis assemblé par thermo-clipsage. La configuration des paramètres d'impression s'est avérée complexe, nécessitant plusieurs itérations pour parvenir à un produit final hautement performant. Bien que le PLA ait été utilisé pour ce prototype, un nouveau matériau thermoformable à base de poudre d'algues vertes d'échouages et de Dyneema recyclé, provenant de bateaux de course au large, est actuellement en cours de développement pour les futures versions.

Bobine réalisée à partir d'algues vertes © Paradoxal Surfboards
Bobine réalisée à partir d'algues vertes © Paradoxal Surfboards
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  • L'expertise du shapeur dans la stratification

Après l'impression de la structure interne, l'étape cruciale de la stratification était nécessaire pour rendre la planche étanche. Cela impliquait de recouvrir la planche d'une couche de fibres et de l'imprégner de résine. Cette phase de stratification était particulièrement délicate, surtout en raison des alvéoles structurelles relativement larges. Pour relever ce défi, une approche de stratification inversée a été adoptée, avec l'usinage de moules en CNC , des formes négatives de la planche pour intégrer la structure avant d'appliquer la stratification. Cette étape complexe a exigé une collaboration fructueuse avec des ingénieurs et des techniciens spécialisés dans les matériaux composites en Bretagne.

© Paradoxal Surfboards
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L'impression 3D permet à Paradoxal Surfboards de présenter des planches de surf aux designs uniques et translucides, grâce à une structure alvéolaire. Étant donné que la vocation de l'entreprise est d'imprimer en 3D des planches de surf à partir d'algues d'échouage, nous avons trouvé naturel de nous inspirer du vivant, en particulier d'une algue, pour concevoir la structure interne de nos planches. Après avoir visionné de nombreuses conférences sur le biomimétisme, nous sommes tombés sur une photo de diatomée, une algue présente à travers le monde. À l'échelle microscopique, elle a exactement la même forme qu'une planche de surf avec des alvéoles circulaires. Nous avons donc décidé de partir de ce constat pour concevoir le cœur des planches Paradoxal Surfboards.

Diatomée © Paradoxal Surfboards
Diatomée © Paradoxal Surfboards

Avez-vous rencontré des défis techniques lors de la réalisation du prototype de la planche de surf à base d'amidon de maïs ?

Nous avons dû relever plusieurs défis techniques, notamment en ce qui concerne le design biomimétique pour assurer la résistance mécanique, le poids optimal de la structure, la quantité de matière utilisée, le temps d'impression, ainsi que les coûts associés. L'optimisation des trajectoires était également cruciale.

Le matériau final semble désormais abouti. Vous reste-t-il des mises au point à faire avant production ?

Actuellement, nous travaillons sur l'optimisation du système global pour la fabrication des surfs, intégrant le matériau final. Des ajustements potentiels sont en cours pour garantir une production efficace et optimale.

Quelle quantité d'algues est-il nécessaire de récolter pour la réalisation d'une seule planche ? 

Pour une planche, nous utilisons environ 2 kg d'algues brutes pour la structure interne, qui, après nettoyage, séchage, broyage et extrusion, se réduit à 1 kg. Cette approche contribue significativement à réduire l'empreinte carbone.

© Paradoxal Surfboards
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Qu'en est-il des performances des planches fabriquées à partir d'algues vertes et brunes ?

Les performances des planches sont remarquables grâce au design interne innovant. La fibre sur les cercles offre un amorti au clapot, et le flex du matériau en sargasse procure un rebond et une réactivité comparables à celles du PU. L'emplacement et l'angle de pincement des dérives jouent également un rôle essentiel dans la manœuvrabilité des planches.

Pour quand est prévu le lancement ? Avez-vous d'autres projets d'impression au-delà des surfs ?

Les préventes démarrent en début d'année prochaine. Aussi, nous envisageons d'explorer d'autres sports aquatiques tels que le paddle, le kayak, les planches à voiles, le wing foil... Nous sommes ouverts à de nouvelles possibilités d'impression 3D pour des applications diverses.

© Paradoxal Surfboards
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La commercialisation à venir de ces planches biosourcées promet un changement significatif dans l'industrie du surf, encourageant les surfeurs à s'engager dans une pratique plus respectueuse de l'environnement. Paradoxal Surfboards se positionne ainsi comme une marque avant-gardiste participant à une transition économique plus verte, tout en proposant des surfs éco-performants.

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Arnaud Lecat
Arnaud Lecat
J'adore ce sujet! bravo a cette équipe qui innove en préservant notre planète Hâte de voir une de ces planches a Plouharnel
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