Écoutez cet article
Lorsque l'Utile sombre en 1761, une soixantaine d'esclaves malgaches et cent vingt-deux hommes d'équipage français parvinrent à regagner le rivage, s'organisant pour construire une embarcation de sauvetage. Abandonnés sur l'atoll de Sable avec la promesse qu'un navire viendrait bientôt les rechercher, les Malgaches s'unirent face à l'adversité. Les promesses brisées et les défis de la survie sculptèrent leur destin extraordinaire. 15 ans plus tard, en 1776, une corvette récupéra finalement des survivants : sept femmes et un nouveau-né de huit mois. Que s'est-il passé entre-temps ? Comment ces Malgaches, à 500 km de toute terre, ont-ils fait pour échapper à la mort sur cet îlot désert, hostile et balayé par les vents ? Le travail sur place des archéologues Max Guérout et Thomas Romon nous éclaire sur la manière dont ils ont survécu.
Des fouilles minutieuses
Après le départ des naufragés, le sable blanc s'accumule et le site de Tromelin est recouvert d'une couche de 30 centimètres d'épaisseur, sorte de scellée préservant tout ce qui se trouve en-dessous. Après quatre campagnes de fouilles menées sur place entre 2006 et 2013 et autorisées par les TAAF, les archéologues Max Guérout, fondateur du GRAN, et Thomas Romon, archéologue à l'Inrap, ainsi que leur équipe ont mis au jour la manière dont les Malgaches ont réussis à survivre sur l'île de Sable.
Utilisation des moyens disponibles sur l'île
Sur place, des milliers d'objets et de restes d'animaux consommés, notamment des tortues vertes, des poissons et des sternes, ont été découverts. Des analyses en laboratoire ont permis de comprendre les pratiques des survivants, notamment l'utilisation d'ailes de sternes pour fabriquer des pagnes et des couvertures, après les avoir plumés. Ensuite, ils rôtissaient ces oiseaux marins pour les consommer. Des traces de brûlures ont été observées sur les os. Le feu était entretenu sous l'abri des bâtiments grâce à des briquets, des silex et du bois provenant de l'Utile, ainsi que du bois flotté récupéré sur la plage.
Les survivants ont recouru au "beachrock", un ciment naturel résultant de la combinaison de poudre de corail, d'eau et de soleil, pour édifier leur habitat. Ils ont employé des plaques de 6 à 7 centimètres d'épaisseur pour les murs, en les disposant d'abord verticalement puis horizontalement. Ils ont ainsi érigé un hameau, en rupture avec la tradition malgache, privilégiant la solidarité comme valeur prédominante. L'agencement de leurs habitations était stratégique, avec des ouvertures positionnées à l'abri du vent pour faire face aux aléas climatiques de l'île. En effet, l'île de Sable se trouve sur la trajectoire des cyclones de l'océan Indien. Malgré cette menace, les naufragés ont répondu en construisant un mur de protection, mettant ainsi en avant leur capacité à s'adapter à leur environnement. En 1954, une station météorologique a d'ailleurs été érigée sur l'île dans le but d'alerter Madagascar face à ces phénomènes météorologiques.
Une cuisine a été mise au jour, où les ustensiles étaient soigneusement rangés. Parmi ces objets, on trouvait des coquilles de triton transformées en louches, des récipients confectionnés à partir de matériaux récupérés de l'épave de L'Utile, notamment des gamelles en cuivre et des bassines en plomb utilisées pour le stockage de l'eau, ainsi que des cuillères et des fourchettes improvisées, équipées de pics.
Un sauvetage en plusieurs étapes
Du côté des Français, on sait que le remord pèse toujours après 11 ans. Le premier lieutenant, Castellan, souhaite se battre à nouveau pour honorer sa promesse. Il s'adresse au Ministre de la Marine pour vérifier si des rescapés sont toujours présents sur l'île. Celui-ci va finalement accepter de considérer l'affaire.
Une fois sur place, à leur grande surprise, les Français constatent que l'île est toujours occupée. À 3 reprises, des bateaux essayent de sauver les survivants, ce qui se solde par un échec. L'un des marins tombe à l'eau et se retrouve sur l'île. On décide d'y retourner en novembre, car les conditions météorologiques sont plus favorables. En 1776, La Dauphine, corvette de la Marine Royale, commandée par Jacques Marie de Tromelin, qui va donner son nom à l'île, réussit le sauvetage : 7 femmes et un nouveau-né de 8 mois sont retrouvés et ramenés à l'île de France. Ils sont décrits comme extrêmement maigres et décharnés.
Sur le bateau, l'une des rescapées dira :
''Pendant 12 ans nous étions 13 puis, le marin blanc est arrivé et nous étions 14. 7 mois après l'arrivée du marin blanc, nous étions 15. 5 mois ce sont passé encore et 3 hommes et 3 femmes sont partis sur un radeau avec le marin blanc. On ne les a plus jamais revus. C'était il y a 15 semaines à votre arrivée. Nous n'étions plus que 8.''
Le travail acharné des archéologues a permis de préserver la mémoire de ces Malgaches qui, après avoir été achetés comme de vulgaires marchandises puis abandonnés à leur propre sort, ont lutté pour reconstruire une société et survivre dans une totale isolation par rapport au reste du monde. L'histoire de ce naufrage nous révèle comment, au fil du temps, ces individus ont développé une détermination inébranlable pour surmonter toutes les épreuves. Elle témoigne de la résilience et de la capacité humaine à s'adapter et à prospérer, même dans les conditions les plus difficiles.
DIACRITIQUES: La mémoire retrouvée des esclaves de Tromelin