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Acheminer en France un obélisque de 250 tonnes et 23 mètres de hauteur, au dix-neuvième siècle, relève du défi technique et humain. Six années furent nécessaires pour concevoir et réaliser cet exploit. Pour cela, un navire, appelé Louxor, fut construit spécialement pour ce transport exceptionnel.
Un cahier des charges exigeant
Le cahier des charges pour la construction du Louxor comporte beaucoup d'exigences. Le navire doit en effet être suffisamment grand pour accueillir l'obélisque couchée et suffisamment robuste pour transporter ses 250 tonnes de granit.
De plus, il doit être capable de naviguer sur la mer Méditerranée, sur l'océan Atlantique, mais également sur le Nil et la Seine. Son tirant d'eau doit donc être très réduit et son tirant d'air de la même manière, pour passer sous les ponts entre Rouen et Paris.
Une architecture navale spécifique
Les ingénieurs du Génie maritime, Jean Tupinier et Apollinaire Lebas, conçoivent une allège, sorte de chaland à fond plat, de neuf mètres de large pour passer entre les piles des ponts et de 43 mètres de longueur.
Par ailleurs, pour supporter le poids de l'obélisque, l'ensemble de la structure est renforcée. Dans son ouvrage, L'obélisque de Luxor, histoire de sa translation à Paris, Apollinaire Lebas indique "ainsi il lui fallut armer le navire de cinq quilles, pour se créer des soutiens de chaque côté de la quille principale, et, par ce moyen, répartir la pression exercée par le fardeau sur un plus grand nombre de points. Ainsi, il lui fallut consolider les murailles par des porques obliques, et multiplier les liaisons longitudinales afin de rendre le système solidaire."
Enfin, le Louxor dispose de trois mâts sur des emplantures surélevées, afin de conserver un maximum d'espace dans la cale pour l'obélisque.
Un long et périlleux voyage
Une fois construit, le Louxor quitte Toulon au printemps 1831 à destination de l'Egypte. Apollinaire Lebas, qui supervise toutes les opérations de transport de l'obélisque, est à son bord. Il raconte "depuis notre départ, nous naviguions vent largue ou vent arrière ; sous ses deux allures, le bâtiment se comporta très bien et fila jusqu'à huit nœuds. Il n'en fut pas de même lorsque, les vents ayant passé à l'est, on fut obligé de louvoyer. Le Luxor manquait des qualités nécessaires à ce genre de navigation ; il dérivait beaucoup, inconvénient prévu, mais inévitable résultat de sa conformation forcée."
Le navire atteint Louxor au mois d'août 1831. Il faut encore compter quatre mois pour abattre l'obélisque et la charger dans le bateau. Pour ce faire, la proue du Louxor est découpée au niveau du coltis, le couple le plus en avant du bateau. Ce système est le précurseur des car-ferries actuels, où l'avant du bateau s'ouvre pour laisser descendre les voitures, par exemple.
Une fois l'obélisque chargée, le Louxor descend le Nil pour aller à la rencontre du Sphinx, navire à vapeur français chargé de le prendre en remorque. En effet, le Louxor n'est pas assez puissant pour naviguer seul jusqu'à l'embouchure de la Seine. Il n'y arrive qu'en septembre 1833, soit deux ans après son départ de Toulon.
L'arrivée à Paris
Enfin, à Rouen, le Louxor est démâté et rasé afin de pouvoir passer sous les ponts. Il est ensuite halé par des chevaux jusqu'à Paris, où il entre le 23 décembre 1833. Toutefois, ce ne fut que le 25 octobre 1836 que l'obélisque fut dressée sur la place de la Concorde en grande pompe.
Pour cette opération, d'ingénieuses machines élévatrices avec de gigantesques cabestans furent construites par Apollinaire Lebas. Depuis ce jour, l'obélisque de Louxor se dresse fièrement dans Paris, grâce aux trésors d'ingénierie et d'architecture navale déployés pour l'amener jusque là.