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Les pieds dans l'eau depuis l'enfance
Les cheveux grisés par le sel et les yeux plissés par le soleil, à le voir on sait que Fred Duthil a passé du temps en mer. Et pour cause, depuis son enfance, il vit avec. Né en Normandie proche de la mer, et passant ses vacances en Bretagne, autant dire que les embruns ne sont jamais bien loin.
"J'ai été bercé par ce milieu" raconte-t-il.
Son père l'initie à la voile au travers de croisières sur son bateau. A 6 ans, il a son propre Optimist et navigue déjà en solitaire.
Pourtant, autour de l'âge de 10 ans, entraîné par son grand frère, il délaisse les coques pour se prendre de passion pour la planche à voile – sport en plein essor et en pleine évolution à l'époque. "Je naviguais sur une planche bricolée par mon père. Avec un mat coupé et une voile un peu ratiboisée."
A 14 ans, il prend le départ de ses premières régates à Ouistreham. A l'époque c'est le petit jeune, pourtant rapidement, il est remarqué. "J'ai rapidement fait des bons résultats, ce qui m'a permis d'être sélectionné pour les championnats de France jeune et les championnats du monde jeune. J'ai fini par intégrer l'équipe de France de planche à voile olympique à mes 19 ans, en 1993 juste après les Jeux de Barcelone." C'est ainsi qu'il va enchaîner 8 années d'un cursus de voile Olympique assidu, pour les jeux d'Atlanta puis de Sydney, sans être sélectionné ni pour l'un ni pour l'autre. La dure loi de l'Olympisme fixe un seul sélectionné par nation.
"A 26 ans, j'avais déjà passé pas mal d'années de ma vie à ça. J'ai décidé de mettre un terme à ma carrière de sportif de haut niveau pour me faire embaucher par un cabinet d'expertise en assurance, qui m'a recruté avant tout pour mon profil de sportif." Mais tout passionné le sait : chassez le naturel, il revient au galop. Il lui a fallu 2 ans pour que l'appel de la mer et l'envie d'être sur l'eau soit trop fort, comme il l'explique : "En 2002, je suis allé voir mon patron en lui disant "écoute Paul, j'aimerais bien continuer de travailler, mais si je pouvais faire la Mini à coté ça serait sympa.""
En 2002-2003, il gagne quasiment toutes les courses d'avant saison, mais malgré son statut de favori, la transat ne se passe pas super bien, puisqu'il démâte sur la deuxième étape.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là : ces deux années de Mini lui ont permis de remettre le pied sur un bateau. Suite à son démâtage, son partenaire accepte tout de même de le suivre en Figaro. "J'ai fait dix éditions de suite !" Avec pas moins de 8 podiums et 4 victoires d'étapes, en gardant toujours cette philosophie de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Pendant toutes ces années, il a toujours conservé un emploi : "Je débarquais sur mon bateau en costard cravate" raconte-t-il "J'ai gardé ce stress de l'époque où j'étais en équipe de France et où j'avais tout misé dessus, sans avoir fait d'études, à me demander ce qui va se passer après. Je ne voulais pas le revivre. Cette capacité à garder mon boulot à coté m'a permis de garder l'esprit tranquille."
Mais en 2013, il devient difficile de tout concilier : vie sportive, vie professionnelle, et, la vie avançant, la famille qui se construit autour.
2016 : il reprend la voilerie Technique Voile. "Par la force des choses, quand on tient une voilerie, il faut naviguer, être au niveau et passer beaucoup de temps avec ses client, et dans des séries comme la Figaro pour mettre les voiles au point." Et pour être au niveau, rien de tel que de … repartir pour une saison. C'est ainsi qu'en 2020, il reprend la barre du tout nouveau Figaro 3, sorti en 2019, et termine 2ème derrière Armel Le Cléac'h. "En 2019, avec la voilerie, on s'était décidé à mettre de l'énergie dans ce nouveau support pour pouvoir sortir un jeu de voile qui marche. On a travaillé avec Alexis Loison, Pierre Leboucher qui étaient les leaders de la série. Les voiles de régate qu'on fait aujourd'hui crédibilisent notre savoir-faire auprès des plaisanciers, qui vont venir nous voir parce qu'ils savent qu'ils vont avoir un produit de qualité."
Flash back sur ses début dans le monde des figaristes
La première fois que Fred monte à bord d'un Figaro, les plus grands noms de la course au large s'affrontent sur ce support : Yann Eliès, Michel Desjoyaux, Alain Gauthier, Armel Le Cleac'h, Charles Caudrelier, Sébastien Josse … le plateau est impressionnant ! Et c'est d'ailleurs Sébastien Josse qui va lui mettre le pied à l'étrier, en l'invitant pour une course de 24h sur son Figaro 1. "Il m'avait invité parce que c'était aussi un passionné de planche. Je n'ai jamais fait la Solitaire sur le Figaro 1, par contre sur le Figaro 2, j'y ai bien usé mes fond de culottes. C'est un bateau que je connais par cœur !"
Pourtant, ses débuts sur le support ne lui ont pas forcément souri. Remporter une étape de la Solitaire se mérite, et nécessite des compétences qui requièrent plusieurs années d'expérience : il faut gérer le délicat équilibre entre être au taquet et savoir se reposer pour ne pas arriver épuisé à l'étape. Car si la Solitaire se court par étape, le temps d'escale n'est pas toujours suffisant pour repartir à 100% de sa forme. "Je me souviens avoir passé la bouée de dégagement en tête devant Charles Caudrelier à l'ile de Wright, j'étais comme un dingue. C'était ma première année de bizuth. J'avais l'impression d'avoir un bon niveau, mais je me suis pris les pieds dans le tapis en faisant 22ème. J'étais un peu dégoûté du résultat, mais le Figaro c'est du haut niveau, c'est dur !"
Mais comme beaucoup, quelques jours plus tard, il se met d'accord avec son partenaire pour y retourner.
Années après années, Fred progresse, cumule des podiums et se forge des souvenirs et de l'expérience. "Le souvenir le plus marquant de toutes les éditions que j'ai faites, c'est cette étape que je gagne aux Sables d'Olonne en 2007. On traverse le golfe de Gascogne dans 35-45 nœuds de vent : une étape raide physiquement qui a marqué tout le monde. Gagner devant Mich' Dej' [NDLR : Michel Desjoyaux], c'était incroyable. J'avais réussi à amener le bateau jusqu'au bout - alors qu'un Figaro s'était retourné. On avait eu des conditions très très rudes. Une étape qui par sa dureté marque, mais la gagner … j'en garde des supers souvenirs." Malgré tout, un problème d'énergie lui fera rater sa troisième étape et il finira derrière Michel Desjoyaux au classement général. Car gagner la Figaro demande aussi une partie de chance … ou de réussite.
Parmi les autres souvenirs qui l'ont marqué, on pourra aussi évoquer cette fois, lors de l'édition 2006, où il est passé par-dessus bord lors d'une manœuvre de spi. "Je ne sais pas comment, je m'accroche sur le balcon à l'arrière et je réussis à me remettre sur le bateau tant bien que mal. Toute le nuit, j'étais mort de peur, incapable de faire quoique ce soit. Cette aventure, je la garde en mémoire. Désormais, lorsque je vais à l'avant, je suis plus à 4 pattes que debout."
Quel avenir pour ce marin ?
Selon ses dires, l'édition 2022 sera la dernière. C'était une opportunité qu'il a su saisir. Mais, depuis le rachat de Technique Voile par le groupe Incidence, il pense avoir moins de temps pour naviguer.
Mais méfions nous des promesse des marins, car le passé nous a bien montré que l'appel de la mer peut souvent être plus forte que les promesses. "On passe d'état de stress à des états de fatigue qui sont très intenses. Il y a des moments où c'est plutôt sympa, mais globalement on est tout le temps dans le dur. Ce qui est fou, c'est qu'en mettant les pieds sur le ponton à l'arrivée, quelques heures plus tard, on a juste envie d'y retourner. C'est un peu addictif. C'est pour ça qu'elle me plaît cette course là."