Écoutez cet article
Une épave du Moyen-Âge dédiée au transport de marchandises
C'est une découverte majeure que viennent de mettre au jour une équipe d'archéologues de l'Inrap. Cette fouille, commandée et financée par l'état/DRAC de Nouvelle-Aquitaine a permis de découvrir une épave enfouie dans les sédiments humides de l'Estey du Lugan, un ruisseau de Villenave-d'Ornon, en bordure de la Garonne. Il s'agit d'un bateau robuste, certainement de transport de marchandises, dont les datations radiocarbones situent la construction entre la fin du VIe et le début du VIIIe siècle, soit le haut Moyen-Âge. De la céramique datant du Moyen-Âge et retrouvée à l'intérieur confirme bien la datation du bateau. Des dendrologues vont également dater certaines pièces de bois.
Les restes consistent en un fond de coque avec membrures de 12 m de long et la quille. La longueur totale du bateau pourrait être de 15 m puisqu'il manque toute la partie arrière.
"Au vu du nombre de membrures, très serrées avec des allonges nombreuses et denses, la capacité de charge du bateau devait être très importante. Le vaigrage latéral et de fond offre la possibilité de transporter du vrac. On a également retrouvé des céréales et des plantes cultivées qui pourraient avoir été des marchandises transportées. Il faut déterminer si elles sont arrivées après ou si elles étaient présentes dans le bateau" nous explique Laurent Grimbert, responsable de la fouille.
Ce voilier de charge devait être capable de naviguer sur la Garonne, mais aussi de faire du cabotage sur la façade atlantique. L'épave est en bon état de conservation et plusieurs essences de bois ont pu être détectées, le chêne et des résineux.
Il y a peu d'indices sur le gréement, bien que l'empreinte du mât dans le plancher et le vaigrage devraient permettre de restituer la hauteur. Le gréement devrait être reconstitué pendant la phase d'analyse de l'épave.
Si la poupe de l'épave est manquante – sans doute emportée par la marée et d'une longueur estimée à 2 ou 3 m – il n'y a pas de trace de perforation sur le reste de la coque. Le bateau a donc tout simplement dû être abandonné ou ne plus être entretenu, avant de prendre l'eau et de couler.
Analyser la méthode de construction des bateaux du Moyen-Âge
L'épave va être entièrement dégagée et documentée grâce à des photos, restitution 3D, topographie et les différentes pièces de bois enregistrées. Ce démontage intégral va permettre d'analyser la construction dans le détail et de déterminer la tradition architecturale dans laquelle elle s'inscrit. Les fouilles devraient également permettre de comprendre son environnement et les raisons de sa présence en ce lieu. Un petit port près de l'embouchure d'un cours d'eau latéral à la Garonne, dans une zone marécageuse exploitée dès l'Antiquité et durant toute l'époque médiévale prouve que la zone était exploitée pour ses ressources.
Si les données sur la navigation et les modes de construction des années gallo-romaines sont assez nombreuses, cette période médiévale reste méconnue.
"En France et pour ce type de voilier de charge, et cette époque-là, c'est une découverte rare. Une deuxième épave subaquatique avait été découverte en Charente, l'épave de Port Berteau. Elle était à l'envers dans la rivière, mais la quille n'avait pas été conservée" détaille Laurent Grimbert.
Qu'adviendra-t-il de l'épave ?
"Nous sommes uniquement chargés de démonter l'épave et de procéder aux analyses archéologiques. C'est un vestige majeur. Toutefois, certaines pistes sont à l'étude pour l'avenir de l'épave" continue Laurent Grimbert.
Trois solutions sont à l'étude, de la moins couteuse à la plus onéreuse. Une fois démontée, l'épave pourra être réenfouie. Une deuxième solution consiste à la mettre en bassin à l'extérieur pour un jour la présenter. Enfin, elle pourrait être stockée, tout ou partie, en bassin avant d'être lyophilisée et exposée dans un musée. Cette dernière solution est la plus onéreuse, car conserver une épave de cette taille coute très cher. Seulement certaines parties seront conservées et le reste reconstruit en fac-similé.
En attendant, la fouille, qui devrait durer jusqu'en septembre 2022, est une sorte de course contre la montre puisque laissée en plein air, l'épave se dégrade fortement.
"Si on la laisse 3 jours sans l'arroser, elle va se dégrader et l'on va perdre beaucoup d'éléments. On la laisse beaucoup hors d'eau pour pouvoir travailler et on l'arrose régulièrement pour l'humidifier et éviter les dégâts. C'est une course contre la montre", conclut le responsable des fouilles.