Un 1er Lagoon construit par JTA, aux Herbiers
Début 1983, le chantier Jeanneau vient de créer un petit département "compétition", baptisé Jeanneau Techniques Avancées ou JTA. La genèse de cet atelier est étroitement liée aux relations cordiales qu'entretiennent Yves Gonnort, le patron de Fleury Michon et Michel Richard, celui de Jeanneau, ainsi que la complicité entre le déjà grand champion Philippe Poupon et le constructeur Jean-François de Prémorel.
Le secteur compétition voile se porte bien. Les projets de construction de voiliers de course sont nombreux. C'est le début de la Formule 40 et l'IOR génère encore plusieurs compétitions de monocoques qui drainent le gratin mondial, à l'image des "Ton Cup" ou de la Withbread.
Jean-François de Prémorel, l'étoile montante de la production de bateaux de course
Ce n'est pas par hasard que "Prémo", le surnom de Jean-François de Prémorel, se retrouve propulsé directeur de département. Il a déjà supervisé la fabrication du foiler "Gérard Lambert" sur plans VPLP et Fleury Michon 7, catamaran de 26 mètres signé Michel Joubert et Bernard Nivelt. Ce multicoque a malheureusement terminé sa carrière prématurément pour cause de dislocation… mais ce sont des choses qui arrivent dans le monde de la compétition.
Chez JTA, ça marche fort. Dès sa mise en service, le nouvel atelier jouit d'un carnet de commandes complet pour de nombreux mois : 3 "Formule 40" et un trimaran de 26 mètres sur plans Nigel Irens qui seront bientôt suivis par une deuxième série de F40, 2 One Ton signés Daniel Andrieu et un monocoque de type Imoca conçu par Philippe Briand. Sans oublier les racers à moteur pour le pilote "maison", Michel Rousse. Tout le monde retrousse ses manches et les bateaux sortent. Il a tout de même fallu faire appel à Charlie Capelle et Thierry Elluère pour renforcer l'équipe de maitrise.
Une diversification nécessaire
Les victoires s'enchainent, la notoriété s'envole et Prémo reçoit de nombreuses sollicitations qu'il étudie et traite avec soin. Tout ça est passionnant, mais les meilleures choses ont une fin et voici que le secteur de la compétition voile aborde une crise passagère. JTA va manquer de charge. Ce serait dommage de devoir réduire une équipe aussi performante.
C'est à ce moment que Florence Cathiard, la personne qui est à l'origine de Lagoon, entre en scène. Elle sollicite Prémo pour que JTA lui construise un beau catamaran de croisière performant sur plans VPLP et apporte avec elle un deuxième client. La direction accepte et confie le projet à un de ses chefs d'atelier, votre serviteur.
Le bâtiment qui abrite JTA n'est pas vraiment adapté à la fabrication de catamaran, mais on se débrouille. Le plafond est très bas, et il faudra sortir le pont du catamaran dans la cour, un samedi, afin de ne pas perturber le fonctionnement quotidien du chantier Jeanneau.
Les moules de pont et de fond de nacelle sont fabriqués en bois pour des raisons de coût et de délai. Ils ont vocation à faire deux bateaux, pas plus (ils en feront 7 au final...). C'est une grue routière qui procèdera au retournement du pont, ouvrant la voie au pontage du bateau. Quelques semaines plus tard, le premier Lagoon 55 de l'histoire sort du petit atelier JTA. Il est peint, structuré et motorisé, mais vide.
Convoyage du premier Lagoon 55 par la route
Le premier voyage du Lagoon 55 n° 1 a lieu en camion. Le bateau est vide, car ses emménagements ont été confiés au chantier "La Griffe Marine", un sous-traitant situé à Trentemoult. Il y est transporté par la toute nouvelle remorque basculante conçue et mise au point par Étienne Multrier, une grande première ! Une épopée épique, avec démontage de guirlandes de Noël et d'un abribus… Puis, mise à l'eau par une grue portuaire et convoyage au moteur jusqu'au slipway de la Griffe Marine !
Lagoon : un nom de baptême légué à la série
Lagoon est le nom du voilier de Madame Cathiard. Elle l'a appelé ainsi, car c'est le nom qu'elle avait choisi pour ses précédents bateaux.
Il est à noter que ce catamaran ainsi que le suivant font l'objet d'une commande ponctuelle. La motivation première est simplement de combler une baisse de charge momentanée de JTA et il n'est nullement question de créer une série. D'autant que le directeur de Jeanneau ne croit nullement en l'avenir du multicoque de croisière, qu'il considère comme un "marché de niche" (sic).
Pourtant, ce qui était prévisible se produit, ce catamaran plait beaucoup. Sitôt que Lagoon commence à exhiber sur les flots (1988), son élégance raffinée et ses performances sympathiques, de nombreux prétendants se révèlent intéressés à acquérir un sistership. Leur quantité et leur empressement seront tels qu'une unité spécifique de production est bientôt créée.
Naissance de la marque Lagoon Catamarans
Les évènements se succèdent à un rythme soutenu. Le chef de projet qui a mené les deux premières constructions a quitté Jeanneau suite à une sérieuse divergence de vues avec sa direction. Mais il a pris soin de laisser tout de même derrière lui un petit fascicule mode d'emploi intitulé "Comment qu'on fait un Lagoon". Puis Jeanneau a connu un dépôt de bilan, Beneteau a eu les faveurs du tribunal de commerce.
Annette Roux devient alors la patronne de Lagoon. D'une autre trempe que l'ancien patron de Jeanneau, elle comprend tout de suite le potentiel de Lagoon et lui donne les moyens de se développer. Comme Florence Cathiard, elle aime bien ce nom, " Lagoon", à la notoriété déjà réelle. Mais ceci n'est pas du goût de Madame Cathiard et il faudra passer devant les tribunaux qui trancheront en faveur d'Annette Roux. Le futur champion du monde du catamaran de croisière vient de naitre…
