S'il a mis la première fois les pieds sur un IMOCA ce 4 avril 2022, Guirec Soudée a déjà de nombreux milles à son compteur. 670 jours de mer en solitaire, près de 60 000 milles passés à parcourir le monde à la voile ou à la rame, voilà le bagage dont peut se targuer l'un des bizuths du Vendée Globe 2024.
À l'origine, un tour du monde de 5 ans
À 22 ans, Guirec Soudée quitte sa Bretagne natale à bord d'Yvinec – le bateau qui porte le nom de son village – un dériveur lesté de 11,80 m. En escale aux Canaries, il fait la rencontre de Monique, la poule rousse qui partagera ses 5 années d'aventure.
"Monique me tenait compagnie et me permettait d'avoir des œufs frais, on sait que la nourriture est problématique en mer", déclare le marin.
Il traverse l'Atlantique sans moyens de communication avant de rejoindre le Groenland où il hivernera pendant 130 jours, figé dans la glace.
"Sans moyens de communication, on est coupé de tout contact avec la terre. J'aime cette osmose, cette harmonie avec la nature. On est obligé de se débrouiller par soi-même."
Cette première partie du voyage entraine de nombreuses avaries qu'il faut gérer par une température ressentie de – 60 °C, et sans la possibilité de se remplir le ventre en pêchant.
Il franchit ensuite le passage du Nord-Ouest à 24 ans – il est d'ailleurs le plus jeune navigateur à avoir réalisé l'exploit, même si ce n'était pas un objectif en soi. Il se débrouille comme il peut pour rejoindre le Pacifique, sans cartographie précise, en naviguant à travers les glaçons. Au programme, 33 jours de traversée rythmée par des talonnages, des ralentissements, une grosse fatigue et même des hallucinations !
Finalement, Guirec rejoint l'Alaska, le Canada puis San Francisco. Il souhaite traverser le Pacifique en passant par la Polynésie, mais Monique est persona non grata dans les îles françaises. Reste la solution de Panama, mais ce choix s'avère trop "facile" pour le jeune navigateur. Il décide donc de partir plein sud, direction le Cap Horn.
"Après le passage de l'Équateur, on arrive dans les 40e Rugissants, les 50e Hurlants et 60e Déferlants. Il y a de grosses dépressions. Mon bateau a été couché. En arrivant au Cap Horn, j'ai voulu faire escale à Ushuaia, mais des problèmes techniques m'ont obligé à me dérouter vers l'Antarctique. Tout était gelé. Il y avait de la glace partout. Tu te dis que tu ne vas jamais y arriver, mais on finit par franchir les échelons petit à petit."
Sur la remontée de l'Atlantique, alors qu'il navigue au large de la Géorgie, une grosse vague vient encore coucher son bateau, qui finit finalement par se redresser. Une avarie l'oblige à nouveau à se dérouter vers l'Afrique du Sud.
"Après 130 jours de mer seul, on est heureux de retrouver la civilisation. Quand on a vécu de tels moments, se retrouver face à la vraie vie, ce n'est pas toujours évident néanmoins. J'aime les grands espaces, me retrouver seul."
Il finit néanmoins par retrouver sa Bretagne natale au terme d'une remontée de l'Atlantique et boucle son voyage après 45 000 milles parcourus et 5 années de voyage.
"Je suis parti à 21 ans et je suis revenu à 26 ans."
Cette histoire a donné vie à plusieurs livres – un livre pour enfant, un livre de photos et un récit – pour partager cette aventure "assez personnelle".
"De vivre en famille à Yvinec, ma petite île bretonne a forgé mon caractère. Elle m'a fabriqué. À 7 ans, j'ai eu mon premier bateau. J'étais très autonome, mes parents me laissaient beaucoup de liberté. Je partais en mer le matin et je revenais le soir. J'ai été mature très vite. Quand on vit comme ça, c'est difficile de se retrouver par la suite sur une chaise devant un bureau. Il fallait que je trace ma voie."
Un nouveau défi, à la rame cette fois-ci !
En février 2021, Guirec Soudée se lance un nouveau défi : traverser l'Atlantique à la rame dans le sens est-ouest depuis les Canaries.
"Après mon tour du monde, j'ai fait beaucoup d'interventions pour raconter mon périple. Mais j'avais envie de repartir à l'aventure. Le Covid a mis un stop à mes projets. J'ai eu l'opportunité d'acheter un rameur (NDLR : rameur monotype océanique de 8 m de long pour 1,6 m de large dessiné par Jean Claude Viant et construit en contreplaqué) et deux mois plus tard je me lançais dans une transat à la rame entre les Canaries et les Caraïbes en suivant les alizés. Ce n'était pas le plus compliqué."
Pendant son trajet, il lit le livre de Gérard d'Aboville, l'Atlantique à bout de bras qui lui donne l'envie de continuer son périple.
"J'avais le temps de continuer, j'avais compris comment fonctionnait mon bateau. Il fallait le faire maintenant, quand on repousse les choses, c'est difficile d'y revenir après."
Trois mois plus tard, le voilà reparti depuis Cape Cod, dans le Massachusetts (US) pour rejoindre la Bretagne. Le trajet s'annonce compliqué, le marin ne sait pas trop à quoi s'attendre.
"Il y avait des vagues et j'avais le vent face à moi, mais suffisamment de provisions donc ça allait."
Mais après avoir récupéré le Gulf Stream – courant chaud le long des États-Unis – il affronte sa première tempête tropicale. Son rameur se retourne et l'eau commence à s'infiltrer par le hublot qu'il a malheureusement laissé ouvert pour avoir de l'air.
"L'eau rentrait dans le bateau et je n'avais plus d'air. J'étais encore dans la cabine. J'ai dû sortir de mon bateau. À cheval sur la coque retournée, je me suis vu "partir". Redresser le bateau rempli d'eau paraissait impossible. Mais grâce à une ancre flottante et après 6 h de travail acharné, il s'est remis à l'endroit. Je l'ai vidé avec un seau et j'ai pu me remettre dans une position de sécurité. Mais je n'avais plus aucun moyen de communication. Impossible de rassurer mes proches ou d'avoir la météo. Je me suis dit : je suis en vie, je continue, mais je ne peux plus donner de nouvelles. Je me suis imaginé mon enterrement en Bretagne et ce qu'il adviendrait quand je débarquerais quelques mois plus tard."
Pourtant, encore une fois le marin vit bien cette coupure avec le monde. Il est presque content de couper avec la terre ferme, les contraintes…
Alors qu'il navigue "à l'ancienne", il réussit à sauver une VHF portative avec laquelle il contacte les cargos qu'il croise sur son chemin.
"Je leur expliquais la situation et ils me proposaient de me récupérer. Ce n'était pas évident, mais j'y suis arrivé."
Pourtant, 10 jours avant son arrivée, un vent d'est le fait reculer pendant 24 jours. Les provisions s'amenuisent, il est obligé de pomper l'eau en permanence et il n'a plus de gaz pour se préparer à manger.
"C'était dur, mais j'ai fini par rentrer en Bretagne après une traversée de 107 jours. L'aventure s'est bien terminée. J'ai eu beaucoup de chance et j'ai surtout une bonne étoile."