Pour Alan, habitant des bords de Meuse, en Belgique, construire des bateaux ne tient pas du défi ou de la performance. C'est plutôt qu'il est poussé par une curiosité insatiable. Et le choix de ne faire que ce qu'il a envie de faire. Nous avons interrogé cet oiseau rare.
Comment vous est venue l'idée de construire des bateaux ?
A 14 ans, lors de stages de voile à l'ADEPS (Administration générale du Sport en Belgique francophone), j'ai eu le coup de foudre pour la voile et particulièrement pour l'objet "bateau". Le temps que je ne passais pas sur l'eau, je le passais à l'atelier avec Mr Antoine à la réparation et l'entretien des Vauriens et des Caravelles en bois. La rencontre de la voile, la rencontre de l'atelier et du travail du bois sur les bateaux furent des rencontres fondamentales.
Quels sont les bateaux que vous avez construits ?
Adolescent, j'ai commencé par des restaurations de dériveurs. A 21 ans, j'ai acheté un Micro-Challenger polyester en kit dont j'ai réalisé l'assemblage et les aménagements. A 25 ans, j'ai construit un bateau de 36 pieds en acier sur plan Caroff avec l'aide d'un chantier pour la soudure de la coque pontée. J'en ai réalisé les aménagements intérieurs, le gréement, la motorisation. En parallèle, j'ai construit un premier Optimist en mpx acajou pour servir d'annexe à mon voilier. Pendant quelques années, j'ai travaillé pour un chantier naval à Bruxelles à faire des aménagements de voiliers : ponts en teck, restauration de charpente, …
Après, avec ces expériences, j'ai perfectionné mes connaissances dans le travail du bois et me suis orienté vers la construction de petites embarcations plus sophistiquées. J'ai construit un Aber (4,6 m), plan de François Vivier, construction en petites lattes. Ensuite, un canoë, "Chestnut prospector" en cèdre et stratification époxy. Puis, deux "Mouse pram" (2.4 m), plan de Iain Oughtred en mpx en acajou. A 35 ans, j'ai organisé et animé deux stages de construction de "Mouse Pram" où les stagiaires construisaient leur propre bateau complet en deux semaines. Un peu avant 40 ans, pour moi-même, j'ai restauré et refondu un "Colibri" (5, 5 m), petit voilier en bois moulé. Et dans la foulée, j'ai restauré un Trintella de 28 pieds, mât, roof, pont en bois.
Cet hiver, je construirai un bateau d'aviron de 18 pieds en mpx.
Qu'auriez-vous souhaité savoir ou savoir faire avant de vous lancer ?
Je n'ai eu besoin de rien pour commencer à part un peu (beaucoup ?) d'imagination. Les connaissances sont venues au fur et à mesure de mes besoins. Bien sûr, je n'ai jamais cessé de m'informer. Les revues Chasse-Marée sont toujours à portée de main. J'ai hanté des salons pour petites embarcations en bois comme Greenwich, des fêtes nautiques à Brest ou le chantier du Guip sur l'île aux Moines. L'apprentissage par essais et erreurs fait partie du plaisir. Par exemple, je n'essaie plus de faire des membrures en chêne, je les fais en frêne parce que le chêne se laisse mal étuver.
Quels conseils donneriez-vous à celui qui veut se lancer ?
D'être têtu et "amoureux".
Mais encore ?
Têtu parce que c'est long et qu'il faut tenir le coup jusqu'au bout. Pour éviter le désespoir et l'abandon, je conseille de bien s'interroger d'abord sur la finalité de son projet avant de commencer. Construire un bateau pour naviguer ou construire pour construire ? Ensuite, il s'agit de bien jauger la dimension de son projet. Quels sont vos moyens, vos capacités réelles ? Est-on déjà bricoleur ? Ou pas du tout ? Dans ce cas, il vaut mieux ne pas viser trop haut. Votre question me fait penser à la visite d'un jeune qui voulait devenir luthier. C'était il y a quelques années. J'ai passé pas mal de temps avec lui dans mon atelier à montrer les différents types d'assemblages, l'avantage et les inconvénients de différentes essences de bois, etc. Puis à la fin de l'entretien, je me suis rendu compte qu'il n'avait jamais touché une scie ou tenu un rabot ! Il savait à peine ce qu'était un copeau. C'est évidemment partir de très très loin pour devenir luthier…
Puis, une fois que c'est parti, il faut ne penser qu'à l'achèvement du projet, à sa toute bonne fin et ne pas se laisser distraire par autre chose. Sinon, c'est le découragement, l'allongement des délais, le chantier permanent avec la poussière et le désordre, les récriminations familiales, l'amertume et l'abandon.
Qu'est-ce qui est spécifique à la construction d'un bateau par rapport à la restauration ou la construction d'un meuble ?
Si vous me demandiez si je pourrais m'arrêter de construire des bateaux, je vous répondrais par la négative. Tandis que construire des meubles rentre plutôt dans la catégorie des activités pratiques, utilitaires, alimentaires pour tout dire.
La construction de bateaux est pour moi une fin en soi alors que mon intention n'est pas vraiment de naviguer. Je suis plus marin d'atelier que bouffeur d'écoutes. La construction d'un bateau ne sert à rien, hors proposer de la beauté. C'est essentiel. La fabrication d'un meuble peut aussi faire rêver, mais c'est moins fréquent.
Pensez-vous que votre bateau est mieux construit que s'il sortait d'un atelier professionnel ?
Pas particulièrement. Je pense que la construction amateur manque quelques fois de pragmatisme et j'ai vu bien des projets s'enliser dans le marasme des hésitations . La morale "Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?" trouve parfois à s'appliquer.
Dans quel endroit avez-vous construit vos bateaux ?
Garage, atelier, jardin. A l'abri de la pluie, c'est impératif.
Pour conclure, quelles sont les réactions de votre entourage ?
Rien de notable. Les réactions viennent plus des badauds sur les quais. Mon entourage est un peu blasé.