L'Abri du Marin : A quoi servaient ces bâtiments roses à l'entrée des port bretons ?

Abri du Marin de Sainte Marine (29)

Les Abris du Marin sont à l'origine des constructions maritimes dédiées aux marins-pêcheurs dans les années 1900 et construites sur les quais. Retour sur l'histoire de ces lieux de vie alliant loisirs et projets sociaux qui ont même un musée à leur honneur à Combrit (29).

Sensibiliser aux conditions de vie difficiles des pêcheurs

En 1888, Jacques de Thézac (1862-1936), un rentier passionné de voile, s'installe à Sainte-Marine, charmant petit port finistérien. C'est en sillonnant les côtes qu'il découvre les dures conditions de vie des marins-pêcheurs, qui n'ont souvent d'autres choix que de s'abriter dans des tavernes lors de leurs escales. Il décide de leur offrir de meilleures conditions de vie, tout en luttant notamment contre l'alcoolisme.

Dans un premier temps, il diffuse au travers de l'Almanach du Marin Breton – dont le premier exemplaire parait en 1889 – des clichés de scènes de vie des pêcheurs et leur famille. Mais ces derniers n'ont pas suffisamment d'impact. Leur diffusion financera néanmoins en partie l'ouverture des futurs abris.

Construire des Abris pour protéger les pêcheurs

Il décide alors de lancer la construction "d'endroits sains, bien chauffés, confortablement aménagés." Ces bâtiments baptisés Abri du Marin s'inspirent des Sailor's home britanniques et des maisons de marins des grands ports de commerce.

Un abri "test" voit le jour en 1899 sur l'île de Sein et rencontre un succès immédiat. Une association est alors constituée en 1904, composée de professionnels du monde maritime (patrons, pêcheurs, conserveurs), d'amis artistes et d'hommes de lettres. Elle est reconnue d'utilité publique en 1920 et subventionnée par le ministère de la Marine et le conseil général du Finistère.

Le premier Abri du Marin voit le jour en mars 1900 au Guilvinec ; le dernier est construit à Saint-Guénolé en 1952. De 1900 à 1933, 12 abris sont créés – 11 dans le Finistère, principalement dans les ports très fréquentés de Cornouaille, 1 dans le Morbihan. En 1952, on dénombre 15 Abris du Marin depuis Roscoff (1910), au Nord, jusqu'à Palais (1901), l'Abri le plus au sud. 5 autres abris faillirent voir le jour (Le Conquet, Tréboul, Port-Manec'h, Locmiquelic et Etel) mais le projet fut abandonné.

Sainte-Marine en 1920 © Jacques de Thézac
Sainte-Marine en 1920 © Jacques de Thézac

Abri du marin, lieu de vie et centres de formation

Chaque établissement est géré localement par un comité d'environ 20 marins, élus par leurs camarades. Un patron-pêcheur – logé avec sa famille dans l'abri – est chargé de faire respecter le règlement intérieur et d'y faire régner une bonne ambiance.

Les Abris du Marin servent à de multiples activités. Véritables lieux de vie, ils servent aussi bien de refuge que de centres de soins (ils sont équipés de pharmacie dès 1906). Ils abritent des cabarets où l'on ne consomme que de l'eau et des tisanes, des salles de jeux décorées de cartes marines, de photographies de Jacques de Thézac ou encore de symboles chrétiens et patriotiques. On y trouve également une salle de lecture (livres pratiques et récits de voyages), une salle de conférence pour lutter contre l'alcoolisme, un centre d'apprentissage et de formation aux métiers de la pêche, un atelier de réparation du bateau et des voiles ou encore des lieux de pratique de la gymnastique (souvent le préau pour ces deux dernières activités).

Une forte activité après-guerre

Durant la Seconde Guerre mondiale, la société est reconnue comme "œuvre sociale de la Marine" et offre des soins aux blessés. Les Abris sont très fréquentés durant cette période, et après la guerre, ce sont trois nouveaux bâtiments qui sont construits : Port-Maria (Quiberon) en 1946, Houat en 1950 et Saint-Guénolé en 1952.

Cette même année, les œuvres sociales sont regroupées par le Comité central des Pêches, ce qui signe le déclin des Abris du Marin. Les conditions de vie des pêcheurs se sont améliorées et les établissements sont peu à peu désertés. En 1973, seuls trois établissements conservent une activité convenable : Sainte-Marine, Le Guilvinec et Poulgoazec.

Abri du Marin de l'île de Sein © Y.Venance
Abri du Marin de l'île de Sein © Y.Venance

Des constructions simples et assez similaires

Les Abris du Marin sont des constructions simples, dont l'architecture s'inspire, jusqu'en 1910, du premier abri construit au Guilvinec en 1900. Il s'agit d'un bâtiment allongé sur un seul niveau, l'étage étant composé de combles non aménagés, surplombé d'une lucarne-pignon sur la toiture de la façade principale et agrémenté d'un préau couvert sur la façade arrière. Les bâtiments sont construits en moellons enduits – les enclavements sont en granits - puis peints en rose pour être facilement repérés depuis le port. Aucun plan des différentes constructions n'a été conservé.

Abri du Marin de Lanriec, sur le plan classique (DR: Magali Renard)
Abri du Marin de Lanriec, sur le plan classique (DR: Magali Renard)

Deux abris se distinguent par leurs plans et leurs styles architecturaux néogothiques : Sainte-Marine et Douarnenez, tous deux reconnus monuments historiques en 2007 et construits aux débuts des années 1910. Il se peut qu'ils soient le fruit du même architecte. À partir de cette date, les façades des Abris du Marin se parent de citations évangéliques et de morales inscrites en français et en breton.

Tous les abris ont été vendus après la guerre, notamment à des particuliers. Seuls deux Abris – Poulgoazec (1933) et Saint-Guénolé (1952) ont conservé leur vocation maritime. Le premier est le lieu de réunion du Comité local des pêches et le second est le siège du Crédit Maritime. Les autres ont pour certains conservés leur vocation culturelle ou d'accueil comme Le Guilvinec, qui accueille aujourd'hui la médiathèque communale - le bâtiment ayant été surélevé en 1924 - ou  Lanriec qui est devenu une salle municipale.

Abri du Guilvinec © Claude Peron
Abri du Guilvinec © Claude Peron

Des Abris reconnus monuments historiques

Plusieurs anciens Abris du Marin ont été reconnus Monuments historiques en 2007. Ceux de l'île de Sein, mais aussi les deux bâtiments de Sainte-Marine et Douarnenez d'inspiration gothiques, dont l'architecture les différencie des autres.

L'Abri de Sein est construit en décembre 1900, sur le même modèle architectural que le premier du nom du Guilvinec (mars 1900). Situé sur la pointe de Men Brial, il accueille les pêcheurs venus du Cap-Sizun, de Douarnenez, de Camaret, voir de Paimpol, pour les crustacés dont la Chaussée de Sein regorge. Très fréquenté, il est rapidement trop petit. Un 2e bâtiment lui est alors adjoint en 1906, abritant deux grandes salles de jeux, un atelier de réparation et de traitement des voiles et un logement pour la famille du gardien. La première bâtisse est alors dédiée à la bibliothèque. Elle est d'ailleurs devenue aujourd'hui une habitation privée. Le bâtiment de 1906 – racheté par la commune en 1974 – est devenu le Musée des Sénans.

L'Abri de Sainte-Marine est inauguré le 23 octobre 1910. Il accueille les pêcheurs du port, qui se sont spécialisés dans le homard. Ce bâtiment est directement intégré au lieu de résidence de Jacques de Thézac, qualifié "d'abri modèle, original et coquet." Il se démarque des autres par son élégance architecturale et d'inspiration néogothique.

En 1900, Douarnenez est le port sardinier le plus important du secteur : 5 600 pêcheurs et 26 conserveries. L'Abri du Marin est construit sur la pointe de Rosmeur en 1912, mais immédiatement réquisitionné par l'armée pour servir de caserne. Les pêcheurs retrouvent leur bâtiment en 1917. Très fréquenté jusqu'après la Seconde Guerre mondiale, il est la construction la plus imposante de tous les Abris. Au niveau de l'architecture, il s'inspire de celui de Sainte-Marine.

Liste des Abris du Marins

  • Le Guilvinec (1900)
  • Sein (1900)
  • Audierne (1901)
  • Concarneau (1901)
  • Lanriec (1901)
  • Camaret (1903)
  • Sainte-Marine (1904)
  • Tréboul (1906)
  • Ile Tudy (1908)
  • Roscoff (1910)
  • Douarnenez (1914)
  • Poulgouzec (1933)
  • Port-Maria (1946)
  • Houat (1950)
  • Saint-Guénolé (1952)
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Jean claude Gouret
Jean claude Gouret
Lutte contre l'alcoolisme
Julien Marty
Julien Marty
Quid de celui de l'ile d'Yeu? Oubli ,ou indépendant des autres? Architecture pourtant ressemblante. Merci

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