Paradoxalement, l'histoire de Jonas Gerckens, originaire de Liège en Belgique, s'est toujours déroulée sur les flots. A deux ans, ses parents l'emmènent pour un tour d'Europe sur un bateau de voyage - un plan Caroff - dont la coque en acier avait été construite par son père. "Nous sommes arrivés par le chemin des canaux jusqu'au Grau-du-Roi où on a fini les préparatifs du bateau, avant de partir en cabotage autour de la Méditerranée, notamment en Espagne et aux Baléares. Je n'ai pas pris goût à la navigation mais j'ai appris à marcher sur un bateau" se souvient Jonas. A l'issue de ce périple qui dura quatre ans, la famille se pose à Saint-Malo. Le petit Jonas est inscrit à l'école du Grand Bé à une encablure de la plage du Môle où sont alignés des Optimist attendant sagement la sortie des élèves pour être mis à l'eau...
Saint-Malo, là où tout débute
En fait, la cité malouine n'était pas une escale choisie au hasard. Les parents de Jonas avaient le projet de construire un nouvelle coque de bateau pour un projet de tour du monde en famille. Mais la coque a été mal fabriquée et le chantier a fait faillite. "Curieusement, alors que mes parents étaient dans les ennuis, je vivais mes plus belles années de jeunesse car c'est à Saint-Malo pour la première fois que j'ai approché des bateaux de course et notamment ceux qui participaient à la Route du Rhum. Et moi avec mes yeux de gamin, ça m'a fait rêver !" raconte-t-il.
Le sport, une affaire de famille
Chez les Gerckens, le sport est une véritable institution ! Le grand-père pratiquait le rugby à un très bon niveau. Le père, Jean-Benoît, était un espoir belge de l'athlétisme et s'entraînait avec Ivo Van Damme et Jacques Borlée, le papa des frères Borlée. Multiple champion de Belgique, sa carrière fut écourtée pour blessure alors qu'il préparait les Jeux Olympiques de Montréal en 1972. Ce que l'on sait moins, c'est que son fils, Jonas, avant de se lancer dans la voile à un haut niveau, était un fan d'arts martiaux. "J'avais 10 ans et j'ai pratiqué le karaté et le judo pendant 10 ans" explique-t-il. "Une période assez longue où j'ai nettement moins fait de voile, mais au cours de laquelle l'environnement familial a inscrit dans mon ADN cet esprit de compétition."
Une page se tourne
Un jour, lors d'une discussion avec sa coach de judo, Jonas lui demande s'il a des chances de participer aux prochains JO. Elle lui dit : "Tu atteindras un bon niveau si tu continues en Belgique. Pas plus". Cette réponse, Jonas la reçoit 5 sur 5. "C'est le déclic que j'attendais. Tout cela m'a conforté dans l'idée que c'était une page qui se tournait". Et Jonas de revenir alors à ses premières amours et se relancer à corps perdu dans la pratique de la voile.
La suite s'inscrit dans une certaine logique. "J'ai suivi aux Glénans une formation d'objection de conscience en tant que bénévole au pair. J'étais basé à Paimpol comme moniteur attitré avec quelques permanents. Même si cette école n'est pas vraiment branchée compétition, on apprend à être un bon marin, à bien assimiler les règles de sécurité, à récupérer un homme à la mer, etc. J'ai fait ça pendant deux ans" conclut-il.
Suivent alors pour lui une série d'années que "l'on ne peut qualifier de longue croisière tranquille". Sur conseil de son professeur d'éducation physique, il monte un projet de Mini-Transat, sans réellement réussir à le concrétiser. "J'ai fait quelques piges sur des Mini d'amis puis je suis devenu préparateur au chantier Artech où j'ai rencontré Elie Canivenc, devenu bras droit de Thomas Coville".
A cette époque, Jonas participe à cinq éditions du Tour de France à la voile avec l'équipage de Bruxelles-Capitale, le tout sous la houlette dynamique de Mady et Henri Fobert. "Ca rapportait beaucoup en expérience mais peu sur le plan pécuniaire. En été, j'étais moniteur de voile et en hiver je gérais un chalet à la montagne."
Le projet Mini-Transat reprend cependant du poil de la bête le jour où il rencontre au chantier CDK, Vincent Riou et surtout Michel Desjoyeaux qui lui apporte ses conseils. "C'était en 2007", précise Jonas, "mes moyens étaient limités. J'ai fini la première étape puis abandonné dans la deuxième aux Canaries, essentiellement sur des avaries dues à la vétusté du matériel. Une sacrée leçon !"
La Mini-Transat encore et toujours !
Après cette édition malheureuse, Jonas reste dans le circuit Mini pendant 10 ans. Comme tant d'autres skippers, sa principale difficulté est de trouver des sponsors. La gestion de son temps alterne entre petits boulots et entraînements. Mais, insensiblement, le vent adonne. En 2011, il fait un podium sur la Transgascogne et obtient au passage un sponsor. Il se classe deuxième dans Les Sables-Les Açores en 2012. Il participe à la Mini-Transat en 2013, une édition particulièrement mouvementée au niveau météo, puis remporte Les Sables-Les Açores en 2014.
En mars 2016, alors qu'il s'apprête "à raccrocher son ciré au clou", il reçoit un appel de Volvo qui lui demande de devenir ambassadeur de la voile en Belgique. "On te suit pendant un an et si ça marche bien, on envisage de continuer" lui dit le patron de la marque. Cette collaboration lui réussit puisque Jonas, tout ragaillardi, se paie en 2016 à nouveau un podium sur Les Sables-Les Açores, devenant ainsi le seul skipper à avoir fait les trois premières places sur cette course. En même temps, il décroche le titre de vice-champion de France de course en solitaire Mini 6.50. Dans la foulée, Volvo lui renouvelle sa confiance en 2017 sur un projet de Flying Phantom, un petit catamaran monté sur foils, tout en l'aidant à préparer le projet auquel il tient tant depuis sa tendre enfance, la Route du Rhum, édition 2018. Cette fois, les budgets ont suivi et Jonas s'aligne au départ de "sa" course à la barre d'un Class40…
Jonas, une personnalité attachante et complexe
Jonas se définit comme "quelqu'un qui a l'habitude de ne rien lâcher". "Je suis un fonceur, j'aime bien la vitesse. J'ai cette capacité à me faire mal, au sens propre comme au sens figuré. On l'a encore vu sur la dernière Transat Jacques Vabre où j'y étais malgré une côte cassée" raconte-t-il. Ce qui ne l'empêche pas de revendiquer un certain côté rêveur mais pas naïf. Pour mieux illustrer son propos, Jonas cite Mandela : "Un gagnant est un rêveur qui n'abandonne jamais". Ou encore : "Le pessimiste se plaint du vent, l'optimiste espère qu'il va changer, le réaliste ajuste ses voiles."
Plus modestement, Jonas admet volontiers que les échecs lui ont forgé le caractère. Ce qui précède, c'est bien entendu la version du skipper liégeois. Mais au fond, qu'en pense, par exemple, sa manager Delphine Simon, qui rencontre Jonas sur le Fastnet 2015 alors qu'elle réalise un documentaire pour Cap 48, un projet de solidarité pour aider la recherche sur la polyarthrite ? "On connaît mieux quelqu'un après cinq jours en mer qu'après un mois à terre", se plaît-elle à dire pour mieux expliquer l'alchimie de leur rencontre. "Jonas est un sportif talentueux mais qui n'y arrivait pas, faute d'un appui structuré sur les plans du sponsoring et de la com. Je décide alors de l'assister, une décision pas facile à prendre et je me mets en congé de mes activités de journaliste à la télévision belge". Pour Delphine, Jonas dégage avant tout une sympathie naturelle. Il a de l'empathie, il aime s'amuser et rigoler. Il a un côté "bon vivant" bien marqué. Il est d'ailleurs gourmand dans l'âme - pour ne pas dire gourmet -, même s'il est capable de manger sur son bateau du lyophilisé pendant 20 jours et se priver comme personne !
L'homme et ses bateaux
Que ce soit son premier Mini, le n° 36, le 821 avec lequel il a gagné Les Sables-Les Açores ou le Volvo 104 avec lequel il a fait sa première Route du Rhum, Jonas n'attache pas d'importance démesurée à ses bateaux, même s'ils sont tous importants à ses yeux. Mention particulière cependant pour le Volvo 164 qui a été mis à l'eau en 2021. "C'est la première fois que je dispose d'un bateau neuf. C'est mon bébé parce que je navigue dessus. D'une façon générale, je surveille toujours mes bateaux quand ils ont changé de main ; je regarde leurs résultats d'un coin de l'œil."
Et maintenant comment se conjugue l'avenir proche ?
Mis à part le prochain Rhum qui reste une de ses grandes priorités en 2022, Jonas se prépare activement avec les Red Dolphins aux Jeux Olympiques. "Si ce n'est pour 2024, ce sera pour 2028", assure-t-il. "En attendant, avec le Class40, les deux projets se nourrissent l'un l'autre et il y a toujours des championnats d'Europe officiels et une médaille à aller chercher, fût-elle en chocolat ! Sans compter que c'est un excellent apprentissage pour m'améliorer dans les grandes courses qui deviennent de véritables régates océaniques."
Et Jonas de conclure : "Je compte bien naviguer encore quelques années en Class40 même si le Vendée Globe reste potentiellement un objectif. Mais je n'en fais pas une fixation. Et je ne voudrais pas y participer, comme certains autres, juste en aventurier. Si c'est pour l'aventure, je préfère faire un tour du monde avec des escales et profiter de la beauté de notre planète !"
Et pour finir, un questionnaire à la Pivot !
Votre marin préféré ? Loïck Peyron.
Votre bateau préféré ? Le prochain
Votre mot préféré ? Symbiose
Votre mascotte préférée ? Canard de bain Coin-Coin
Votre expression favorite ? Oufti
Votre juron favori ? La mierda !
Le mot que vous détestez ? Mensonge
Votre drogue favorite ? Le chocolat
Le son, le bruit que vous aimez ? Le piano
Le son, le bruit que vous détestez ? Le bruit du carbone qui casse
La baston ou la pétole ? La baston
L'homme ou la femme pour illustrer un nouveau billet de banque ? Ellen MacArthur
Le métier que vous n'auriez pas aimé faire ? Il y en a un paquet !
L'animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ? Le dauphin pour aller jouer avec les bateaux