Inspiré par les récits de mer
James Wharram nait en 1928 en Angleterre et grandit à Manchester. Son père, ingénieur en bâtiment, espère bien que son fils en fasse autant. Mais Wharram est plus intéressé par sa lecture de récits de mer, et notamment "Voyage de Kaimiloa", publié en 1940. Le livre raconte l'aventure entre la Chine, Tahiti et la France, du navigateur français Éric de Bisschop sur la double pirogue Kaimiloa.
Après des études dans l'ingénierie du bâtiment, qu'il abandonne, le jeune James Wharram se lance dans un grand voyage à travers l'Europe de 1947 à 1950, trouvant des petits boulots pour vivre.
À son retour en Angleterre, il travaille comme apprenti dans un chantier naval. Mais sa passion des bateaux et son envie du large est de plus en plus grande. Il fait la rencontre de sa future épouse, une Allemande prénommée Ruth Merseburger, alors étudiante. En 1952, alors qu'il est magasinier pour le chantier Thornycroft Hampton Launch Works, qui construit des vedettes pour la Navy, il trouve un ancien canot de sauvetage de 6 m de long qu'il décide de transformer en bateau de croisière avec sa jeune épouse. Un premier essai qui ne satisfait pas l'architecte en devenir.
Le catamaran Tangaroa et une première transat réussie
Il décide alors de construire un bateau à deux coques, plus stable et confortable, à la manière de Kaimiloa, qui lui a apporté ce rêve pour le voyage. Il s'inspire de ses études sur les embarcations du Pacifique, notamment à une époque où le nautisme est dominé par les constructions monocoques. Il étudie également les bateaux vikings, les jonques, et les boutres (dhows) avant de finalement opter pour le design des doubles coques, le design le plus rentable et le plus marin.
En 1954, il entreprend de dessiner Tangaroa, un catamaran dont le nom rend hommage à l'une des principales divinités des îles du Pacifique, assimilées au dieu de la mer. Ce dernier possède un fond plat, emprunté aux pirogues polynésiennes et des coques assez étroites compartimentées, dont la hauteur sous-barrot permet uniquement de se tenir assis. Le passage d'une coque à l'autre se fait via un pont en caillebotis.
La construction est achevée en 1954. Les premiers essais ont lieu en 1955, notamment lors d'un convoyage vers l'Allemagne pour récupérer une amie de Ruth, Jutta. Le 27 septembre 1955, Tangaroa quitte Falmouth direction l'Espagne ; à une période où personne ne croit un multicoque capable de naviguer au large. Malgré le mal de mer et quelques avaries, le trio rallie sa destination.
Il est désormais temps de traverser l'Atlantique, direction les Caraïbes. Le départ a lieu le 23 décembre 1956, Jutta apprenant quelques jours avant la transat qu'elle attend un enfant. Après 42 jours de mer et quelques casses, James, Ruth et Jutta arrivent enfin à Trinidad. Une aventure encore marquée par quelques avaries, mais qui encore une fois aboutit.
La famille – dont le nouveau-né baptisé Hannes – s'installe alors sur l'ile, vivant dans une maison flottante en bambou – faute de ressources financières – construite par James Wharram, et encore une fois inspirée des maisons polynésiennes. Il en profite également pour coucher sur papier son aventure qu'il baptisera "Two girls, two cats."
La première traversée de l'Atlantique Nord en catamaran
Si ce premier voyage est une étape importante dans la navigation, il est aussi un tremplin pour Wharram pour aller plus loin. Il veut être le premier navigateur à traverser l'Atlantique Nord en catamaran, les deux premières tentatives ayant échoué. Il dessine et construit alors Rongo, dont les coques en V apportent stabilité et résistance au vent. Son gréement ketch affiche une belle surface de voile et permet une navigation en équipage réduit. Ce catamaran est d'ailleurs le précurseur des designs de Wharram qui suivront.
Plusieurs personnes aident l'architecte à la construction, dont un fameux Bernard Moitessier. Rongo est achevé en avril 1958 et navigue de Trinidad à New York pour la traversée de l'Atlantique Nord. Tout le monde attend beaucoup de cette traversée.
Après 48 jours de mer, Rongo et son équipage de trois personnes atteignent Dublin et deviennent le premier multicoque à traverser l'Atlantique Nord, dans des conditions variées, depuis du temps léger jusqu'aux tempêtes.
À la fin des années 50, l'intérêt pour les multicoques se développe. Différents designs et concepts sont proposés. En Grande-Bretagne aussi l'intérêt pour le catamaran de croisière gonfle. Mais ces derniers sont chers. James Wharram se positionne alors pour des catamarans de type polynésien avec un coût abordable.
Le début d'un grand nombre de designs de catamarans de type polynésien
En 1960, la famille doit réaliser un tour du monde. Mais le décès de Ruth met fin au projet. James Wharram refuse de travailler dans le bâtiment avec son père et délaisse la navigation, préférant se consacrer à l'écriture. Mais finalement, c'est un voisin qui relance son goût pour la conception. Il lui demande un plan similaire à Rongo et qui puisse être construit par un amateur. Les plans de ce Tangaroa MK I sont publiés en 1964 dans une revue nautique et connaissent un véritable succès. Tant bien que deux autres modèles s'en suivent.
En 1966, le cabinet de catamaran polynésien qu'il a fondé avec Ruth propose 6 modèles de 6,70 m à 15,85 m de long. Tous baptisés de noms polynésiens, ils possèdent aussi un excellent comportement marin, ce qui fait leur succès.
Pour faciliter la mise en œuvre de ces bateaux, James Wharram construit lui-même ses prototypes afin d'établir des plans nets et précis. Alors qu'il construit son plus grand prototype, Tehini, il fait la rencontre de Hanneke Boon, fille de Nico Boon, expert néerlandais du calcul de jauge, tout juste âgée de 16 ans. Elle rejoindra James Wharram en tant qu'associée au sein du cabinet désormais rebaptisé James Wharram Designs.
En 1970, l'équipe s'installe à bord de Tehini afin de préparer un nouveau tour de l'Atlantique, réalisé de 1973 à 1974. James Wharram continue d'enrichir son catalogue avant de se lancer dans la série des Pahi, des catamarans aux carènes dotées de sections en V arrondies, des entrées d'eau plus importantes et une meilleure capacité de charge.
L'année suivante, il découvre la méthode de construction en contreplaqué-époxy, qu'il trouve idéale pour la construction amateur. Il construit alors plusieurs modèles, dont le Tiki 21 en 1982, qui encore une fois rencontre un succès international. A contrario des autres multicoques, les assemblages se font avec des liens textiles. En 1987, il construit le plus grand modèle de sa gamme, le Pahi 63 Spirit of Gaia qui affiche 19,20 m de long et qui fera un tour du monde de 6 ans.
Par la suite, l'architecte proposera plusieurs modèles, issus de concepts polynésiens ou inspirés des bateaux vikings.
Tout au long de sa carrière, James Wharram aura permis de démocratiser le concept du catamaran et de participer à sa popularité.