Escale dans l'archipel méconnu des Chagos, réservoir de biodiversité dans l'Indien

Escale aux îles Chagos

L'archipel des Chagos, composé d'une cinquantaine d'îles, est administré par la marine britannique. Après que les natifs furent éloignés de leur terre "manu militari", ces atolls sont redevenus sauvages et quasi déserts. Cependant, quelques privilégiés peuvent encore y faire escale. Récit de quelques jours au mouillage.

Un archipel isolé au coeur de l'Indien

Plus personne ne vit à Diego Garcia, à l'exception des militaires américains qui s'y cantonnent. Il est absolument interdit de s'approcher à moins de trois milles de cette base. Seuls quelques voiliers de passage sont autorisés à faire escale à Peros Banhos ou à Salomon. Les zones autorisées sont très limitées et c'est pour une durée maximum de 28 jours.

Il est indispensable d'avoir satisfait, au préalable, à une belle brochette de conditions. Comme par exemple : faire une demande préalable par écrit, payer environ 300$, posséder une assurance frais de retirement et de rapatriement…

Les Chagos au coeur de l'Océan Indien
Les Chagos au coeur de l'Océan Indien

Nous avons eu la chance d'y naviguer quelques jours.

Faune et flore exubérantes au Chagos

Nous sommes mouillés sous le vent de l'île "Diamant ". La basse mer y découvre une "bande piétonnière " de sable blanc, que nous abordons en kayak. Nous sommes seuls. C'est magique. Ambiance Robinson ! Un petit triangle gris sombre découpe l'onde lisse à l'intérieur du reef, dans trente centimètres d'eau.
C'est l'aileron d'un requin pointe noire. Ils sont très nombreux dans les parages.

Accostage en kayak
Accostage en kayak

La faune est exubérante : volatiles, poissons et crustacés. Malou photographie à tout va. À l'extrémité de l'île, une importante communauté de fous de Bassan a établi son camp de base. C'est un régal d'observer les jeunes dans leurs nids, semblables à des houppes de "pom-pom girls ", avec un bec. Le bleu en est si tendre qu'on dirait une couleur pour chambre d'enfant.
- "C'est quoi comme sorte de fous à becs bleus ?"
-" Je n'en sais rien, mais je ne crois pas que ce soit des fous normaux…".
Malou s'esclaffe. C'est la notion de "fou normal" qui l'amuse.

Fou de bassan
Fou de bassan

Recyclage de flotteurs

Les déchets plastiques qui polluent cette belle plage m'inspirent une mission humanoécolodivertissante. Parmi les immondices que l'on retrouve fréquemment, y compris dans les lieux les plus isolés, il en est certains qui pourraient bien rendre service aux démunis qu'on trouve encore dans 80 % de l'humanité… C'est le cas de ces flotteurs en mousse qui servent à relier à la surface de la mer toutes sortes d'engins de pêche.

J'ai décidé de collecter ceux qui sont en bon état pour les donner, au hasard des rencontres, à des pécheurs pauvres. J'en ai remarqué souvent qui remplissent cette fonction avec des bidons en plastique, lesquels finissent toujours par couler et les gens perdent leur outil de travail… Ça prendra un peu de place, mais notre catamaran est grand, et ces objets ne pèsent pas lourd. J'appellerais bien cette activité "la pêche aux boules"…

Colecte d'eau à terre
Colecte d'eau à terre

Gare aux grains

Nous sommes bien tranquillement installés à regarder un film quand survient un vilain moment inattendu. Une perturbation, sorte de gros grain de deux heures, nous envoie un vigoureux vent de sud qui lève sans tarder un méchant clapot. Puis ça devient vite des vraies vagues, qui poussent les poupes de Catafjord, notre catamaran, à quelques dizaines de mètres seulement du reef. La nuit est noire, l'anémomètre est rivé à trente nœuds, et la frange d'écume blanche semble prête à nous déchirer à la moindre défaillance…

Heureusement, notre ancre est excellente. Mais ça ne porte pas à plaisanter sur le moment. Aussi, une surveillance accrue de la météo chaque matin est décrétée sans délai. Et, au petit jour, Catafjord déménage sans attendre vers un endroit plus approprié.

Durant ce court voyage, notre ligne de pêche en profite pour convier un invité. Un requin d'un peu plus d'un mètre, au large sourire acéré, svelte et vigoureux.

Malou le prépare illico au court-bouillon, accompagné par cette mayonnaise que le monde entier lui jalouse : un festin !!! Et il en reste encore pour sept ou huit repas…

Requin dans le lagon
Requin dans le lagon

Le mauvais temps persiste

Les prévisions météo sont moches. Une dépression se creuse dans le sud, apportant vent fort et ciel chargé. Cette fois, nous sommes bien positionnés. Ça devrait bien se passer.

Nous avons adopté le kayak comme mode de transport principal, car c'est bien commode pour franchir les reefs et faire un peu de pêche aux boules. Malou poursuit inlassablement sa moisson d'images. Dans cet univers sauvage, la vie s'écoule au naturel. Chaque instant est pleinement occupé à toutes ces petites choses que l'on néglige dans la trépidante agitation d'une existence moderne. Ici, les détails sont l'essentiel.

Nous ne sommes pas totalement isolés, grâce à notre radiotéléphone satellite, qui permet d'envoyer et recevoir quelques mails. Nous l'avons peu diffusé, car le débit est faible et le coût des minutes de connexion élevé.

Le centre dépressionnaire qui s'est établi dans le sud des Chagos est en train de se muer en tempête tropicale, et va probablement évoluer jusqu'au statut envié de cyclone… Plafond bas, gris, beaucoup de pluie, du vent (mais pas en tourmente, ici).

Catfjord au mouillage
Catfjord au mouillage

Visite des autorités

Nous sommes cantonnés à l'intérieur du lagon. Un gros bateau rouge, le "Pacific marlin", arrive et nous tient compagnie 24 heures. Ce sont les autorités britanniques. Ils viennent nous inspecter à bord d'un semi-rigide et contrôlent notre permis de séjour.

Enfin le temps s'améliore. Nous pouvons reprendre les excursions. Le requin de la semaine dernière a presque entièrement déserté le freezer. Il faut envisager une nouvelle campagne de pêche.

C'est l'annexe qui traîne les leurres cette fois. La ressource est si abondante que ça mord en quelques minutes seulement… Hélas c'est trop lourd, et notre bas de ligne est emporté instantanément. Qu'à cela ne tienne, nous retournons à bord pour gréer plus fort. Et je monte un très beau piège avec un gros hameçon qu'un ami polynésien m'avait offert à Huahine quand j'ai réparé sa barque en alu. En moins d'une minute, un barracuda de dix repas grimpe dans le réfrigérateur !

Les Chagos
Les Chagos

Imelda devient cyclone

La dépression s'éloigne en devenant ouragan. Mais ses effets restent limités ici, et nous pouvons envisager un petit voyage vers Salomon.

Petite plongée avant de quitter les lieux, mais avec tous ces requins, je ne suis pas très motivé pour chasser, surtout que la pêche donne bien. Pourtant, un beau mérou moucheté se pavane devant la caméra de Malou. Et moi, je n'en ai pas attrapé des tas, de mérous, alors que c'est plutôt gouleyant. Je me décide à descendre, pour lui loger ma flèche bien au milieu du crâne. Bingo, la bestiole ne frétille pas plus qu'une motte de beurre au soleil, et ne verse pas une goutte de sang, ce qui me permet de la ramener à bord sans attirer les squales.

C'est résolu, demain nous partons pour un autre atoll autorisé, quelques milles dans l'Est.

Première vraie belle journée à Boddam

Nous y sommes depuis deux jours. Imelda nous a envoyé pluie et vent, retardant notre découverte des charmes de cette île.

Le fond est tapissé de corail et rares sont les endroits où poser une ancre. Par contre, les voyageurs passés ici avant nous les années précédentes, ont ceinturé quelques belles patates de corail avec des chaines, créant de solides "moorings".

Autrefois, Boddam abritait toute une communauté, vivant dans un fort joli village, principalement de l'exploitation du coprah. Il en reste encore de nombreux vestiges, qui sont inexorablement phagocytés par la végétation. Puis, des plaisanciers de passage avaient érigé sur ces ruines de rudimentaires installations hors la loi (le règlement anglais l'interdit formellement…). Ceci afin de faciliter les soirées barbecue, lesquelles réjouissent aussi des escadrilles de moustiques.

Cabane locale
Cabane locale

Les crabes de cocotier prolifèrent à leur aise et atteignent des proportions respectables ici. Hélas, il est prohibé de les prendre comme animal de compagnie et de les loger dans une bassine d'eau avec le feu dessous. C'est bien dommage, car il se dit que c'est drôlement bon…

Crabe des cocotiers
Crabe des cocotiers

C'est la belle vie du plaisancier en escale !

Depuis que le beau temps s'est installé, l'existence s'écoule comme en rêve. Un tout petit peu de travaux d'entretien, pas mal de plongée, quelques excursions en kayak pour visiter d'autres motus, un peu de pêche à la traîne en annexe…

De retour d'une partie de pêche hors lagon, il faut bien nettoyer les dix kilos de poissons capturés. C'est ce que Malou entreprend, installée dans le dinghy suspendu à ses bossoirs. L'opération attire rapidement une douzaine de requins. Trois ou quatre "red snappers" de belles tailles disputent les abats aux squales, un peu moins vifs qu'eux.

Malgré le satisfaisant butin du jour, il me vient l'idée d'en attraper un sans me mouiller, bien tapi dans la jupe, mon arbalète à la main…

Un gourmand se pointe. Je lui décoche immédiatement ma flèche qui le transperce de part en part ! Yesss! Un instant, le goût suave de la victoire me monte aux lèvres… Hélas, le moment suivant m'apporte en pleine tronche et à grand fracas, la claque retentissante allouée au gamin malpoli au siècle dernier…

La bestiole, courroucée de se retrouver décorée de cette encombrante pince à cravate, vient de filer à toute force vers le fond, me déséquilibrant au point de me faire lâcher mon arme !!! Et je reste là stupéfait, sans poisson, sans flèche, sans fusil.

Les Chagos
Les Chagos

Désarmé !

Malou est motivée pour tenter de repérer mon matériel de chasse. Et de fait, après avoir scruté le fond durant quelques minutes, elle finit par apercevoir les deux.
Impossible alors de me soustraire à ma partie de la mission : descendre à huit mètres chercher ces deux bazars…

Au prix d'un effort considérable, je parviens, la tête dans un étau, à m'emparer de mon équipement. Pas de nouvelle du poisson par contre.

Déjà les préparatifs du départ prochain occupent nos esprits : une attrayante fenêtre météo s'ouvre devant nous avec l'essoufflement et l'éloignement d'Imelda. Je suis bien tenté de nous y engouffrer.

Nous avons quitté notre "patate", pour venir passer la dernière nuit de Chagos au mouillage, juste en face de la passe. Ainsi, nous pourrons appareiller de bonne heure, sans attendre que le soleil soit haut. Le temps est magnifique, le vent faible, un moteur ronronne gentiment dans sa boite. C'est reparti.

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Mimi Allain
Mimi Allain
Toujours aussi passionnants tes récits Domi. Bisous à vous 2 des Coyotes
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