Encore étudiant, j'ai pourtant acheté mon voilier
Un dimanche soir, au club de voile CVTG (Club de Voile du Tarn-et-Garonne) à Saint-Nicolas-de-la-Grave, je rejoignais ma voiture pour rentrer chez moi à Toulouse. La présidente du club me dit qu'un First 18 est à vendre. Son propriétaire veut le laisser pour pas cher à un membre du club. Celui-ci ne pouvait plus naviguer pour des raisons de santé. Moi-même, j'étais membre du club depuis seulement 2 mois.
Pour en savoir plus, j'ai rencontré le propriétaire qui m'a prêté les clés du bateau pour que je puisse juger par moi-même de l'état de la coque, de son accastillage et ainsi prendre la décision sur l'achat. J'étais étudiant à l'époque et j'avais peur que le bateau nécessite de coûteux travaux de réparation.
Découverte de mon voilier dans une ambiance féérique
Le vendredi 17 novembre 2017 au matin, je suis monté pour la première fois à bord de "Titanic" (c'était son nom). Ce jour-là, la Garonne était recouverte d'un voile de brume. J'emprunte une annexe au club CVTG, je rame à la recherche du bateau. Il finit par apparaître au milieu du brouillard. C'était une ambiance féérique ! Je monte à bord, je regarde son accastillage (mât, haubans, galhaubans, étai, pataras, winchs…). Tous les câbles semblent en bon état. Le mât tient bien et les 2 winchs tournent sans problème. J'ouvre la descente, j'entre à l'intérieur, l'odeur d'humidité et de moisissure est difficilement supportable, mais peu importe. J'aperçois immédiatement le palan de l'écoute de grand-voile et les 3 voiles qui se révèleront en bon état (GV, génois et foc). J'ai tout de suite l'envie irrépressible de hisser les voiles… Je glisse la bordure de la GV dans le rail de la bôme, le guindant dans le rail de mât, et je hisse la GV ! J'étais émerveillé, comme un enfant.
Je n'ai pas largué les amarres ce jour-là, le bateau n'était pas encore à moi, mais j'ai eu tout de suite le coup de cœur pour ce voilier qui m'a semblé très facile à prendre en main. J'ai rapidement appelé le propriétaire pour lui confirmer que j'achetais son bateau.
Le dimanche 3 décembre 2017 (la veille de mon anniversaire, je fêtais alors mes 26 ans), je le rencontre une deuxième fois et je conclus avec lui l'achat. Tout s'est passé comme dans un rêve. Ce fut un anniversaire inoubliable !
Vu son nom "Titanic", j'ai trouvé urgent de le rebaptiser. Au moment de l'enregistrer aux Affaires Maritimes, j'ai préféré le rebaptiser "Enbarr". En langue irlandaise, cela signifie "crinière d'écume", c'est le nom d'un cheval mythologique qui avait le pouvoir de galoper sur l'eau.
Quatre années de navigations inoubliables
À l'origine, j'ai rejoint le CVTG en cherchant à naviguer depuis Toulouse où je réside. Le club est dynamique avec des dériveurs et des quillards. On y régate, mais le club organise aussi des manifestations comme la Fête nautique ou bien encore le Raid de nuit. Dans ce cas, nous larguons les amarres le soir pour naviguer sur le plan d'eau tout en profitant du coucher de soleil et du début de la nuit. Nous rentrons au port vers 23 h avec les feux de navigation et la lampe frontale. La nuit se passe à bord des bateaux habitables.
Ce raid nocturne est suivi le lendemain d'une journée de navigation vers la zone ornithologique Natura 2000, à 1,5 km en amont du port. Il faut éviter les hauts-fonds vaseux de la Garonne, mais on y arrive grâce à nos sondeurs et à nos connaissances de l'emplacement du lit mineur du fleuve. S'en suit un pique-nique sur la berge de la Garonne. Sur le plan d'eau de Saint-Nicolas, la navigation est facile à condition de prendre en compte le courant. Celui-ci peut être assez fort parfois.
Les quillards restent au mouillage
Durant l'hiver, les quillards qui ne disposent pas de remorque peuvent rester au mouillage. En effet, le club n'offre que le service d'une cale de mise à l'eau, mais pas de grue. Il faut donc pouvoir immerger totalement sa remorque pour monter le voilier dessus. Dans mon cas, je n'ai pas de remorque, donc la question ne se pose pas. En plus les "anciens" me signalent que l'hiver au mouillage ne pose pas de problème. Pour me rassurer, je vois que d'autres propriétaires font aussi ce choix et laissent leur voilier amarré à la bouée. Par sécurité, je passe tout de même trois amarres dans l'anneau.
Le SMS porteur de la mauvaise nouvelle
Un soir de février 2021, je reçois un SMS du président du club accompagné d'images bouleversantes : on y voit mon voilier bloqué au barrage de Malause, juste à proximité d'un des clapets. Ce dernier avait été fermé pour éviter que le bateau ne bascule en aval. Comment cela a-t-il pu arriver ?
Visiblement, la chaîne de 9 mm du corps-mort s'est rompue juste pendant la décrue de la Garonne en février 2021 (sûrement à cause d'un tronc d'arbre à la dérive qui s'est mis en travers) et mon bateau est parti à la dérive entrainant la bouée (le lest du corps-mort est sans doute resté au fond). Sans être freiné, il s'est retrouvé une ou deux heures plus tard au barrage de Malause qui ferme le plan d'eau. J'ai été prévenu quand le bateau était déjà bloqué au barrage.
J'ai compris que c'était le moment de dire adieu à mon bateau
Tôt le lendemain, après une nuit à ne pas trouver le sommeil, je me suis rendu sur place pour voir dans quelle posture était mon voilier. J'ai pu appeler le responsable du barrage. Il m'a dit qu'il n'y avait plus rien à faire, qu'il allait devoir ouvrir le clapet et laisser le bateau basculer dans le vide. Il ne m'a pas autorisé à sécuriser le bateau, ni même y descendre équipé d'un harnais pour tenter de récupérer les voiles et l'accastillage qui étaient dedans (le First était bloqué à proximité d'une échelle sur l'ouvrage qui m'aurait permis de descendre facilement).
J'ai regardé mon bateau une dernière fois, comprenant que c'était le moment de lui dire adieu, que je ne le reverrai plus jamais.
C'est durant la nuit que le clapet du barrage a été ouvert. Le voilier a basculé en aval du barrage, s'est disloqué et les morceaux ont coulé immédiatement. En aval du barrage, il ne restera plus une seule trace du bateau, tous les morceaux du bateau ont été engloutis par le fleuve.
Inutile de faire marcher l'assurance
J'avais acheté ce First 18 très peu cher : seulement 450 €. Ce voilier vieux de 40 ans était assuré au tiers (à cause de l'abattement vétusté, il n'était pas intéressant de l'assurer tous risque). Comme aucun dommage à un tiers n'a été déclaré à la suite de la dérive du bateau (il n'a visiblement cogné aucun autre bateau) et que le responsable du barrage m'a confirmé que le bateau n'avait provoqué aucun dommage à l'ouvrage, je n'ai rien demandé à l'assurance. Je l'ai tristement déclaré détruit et j'ai fait de même auprès des Affaires Maritimes.
Les leçons du naufrage
J'ai passé un week-end douloureux. Je me suis posé plein de questions : pourquoi est-ce arrivé à mon voilier et pas aux autres voiliers amarrés comme le mien à leur corps-mort ? Pourquoi aucun témoin n'a appelé les pompiers pendant sa dérive ?
Et puis finalement, j'en suis venu à simplement retenir cette leçon : il faut toujours avoir un moyen de sortir son bateau de l'eau pour pouvoir le mettre à l'abri en cas d'événement météorologique violent. Mon erreur a été de ne pas avoir investi dans une remorque pour ce quillard, et d'avoir fait trop confiance au corps-mort auquel était amarré mon bateau.
Avant même que je ne l'achète en 2017, il était resté au corps-mort pendant plusieurs années, comme de nombreux autres bateaux sur la zone. Je pensais à tort qu'il y était en sécurité.
Modification du règlement du club désormais
Le club de voile en a aussi tiré une leçon. Depuis cette mésaventure, le règlement intérieur a été modifié : désormais à l'approche de la saison des crues (hiver et printemps), les propriétaires des voiliers quillards amarrés sur le plan d'eau de Saint-Nicolas-de-la-Grave ont obligation de sortir leur bateau de l'eau, ou de les mettre à l'abri sur le Canal Latéral à Moissac (en remontant le Tarn et en passant les écluses qui le relie à la Garonne).
La perte de mon bateau aura ainsi servi à quelque chose. Plutôt que de rester triste, j'ai préféré me concentrer sur tous les bons souvenirs que j'ai vécu à naviguer à bord de ce bateau. Mais je sais ce que c'est de perdre son voilier et je souhaite beaucoup de courage à tous ceux qui vivent pareille mésaventure.