Place de la Bastille, Paris. Certainement l'un des quartiers les plus animés de la capitale. Un Opéra, une colonne, des feux, la Tour d'argent, une prison et des touristes. C'est assurément la première image qui vient à l'esprit. Et, aussi, le port de plaisance de l'Arsenal, en contrebas du quai du métro. C'est dans ce havre de paix au milieu des arbres et des fleurs, que vit Charlette, fringante capitaine qui a connu pas moins de 90 célébrations de la prise de la Bastille et ne compte pas s'arrêter en chemin.
Sa vie, Charlette l'a démarrée à Marseille, dans le sud de la France. Mariée à un médecin militaire, elle a sillonné le monde avec son époux. L'un comme l'autre ont invariablement refusé de s'installer "alors vous nous imaginez, nous poser dans un appartement pour nos vieux jours" explique la plaisancière !
"Je vis sur un bateau depuis le 2 janvier 1974 exactement. Phoque, mon actuel bateau, est un ancien bateau professionnel de 15 mètres de longueur. J'ai navigué à bord d'un voilier pendant 10 ans en méditerranée avant d'arriver à Paris et d'acheter mon bateau actuel. À chaque hivernage, où que ce soit dans le monde, il n'y pas grand-chose à faire" explique-t-elle. "Que ce soit en Grèce, en Italie ou ailleurs, l'hiver, les ports sont morts."
C'est en 1983 que le couple apprend, alors qu'il se trouve en Grèce, que le port de l'Arsenal, ancien port de commerce, allait être converti en port de plaisance avec des emplacements disponibles à l'année. "Je ne remercierai jamais assez Monsieur Chirac pour cette création. Lorsque j'ai appris l'ouverture d'un port à Paris, j'ai compris que j'aurais le beurre et l'argent du beurre. Vivre à Paris, c'est la possibilité offerte de tout faire, même si dans les faits on ne fait pas tout !"
Et Charlette ne se prive pas. Une visite au Louvre chaque lundi et son rendez-vous hebdomadaire au restaurant les Associés, à 50 mètres de son lieu d'habitation.
On n'habite pas un port de plaisance, on y vit
Charlette est précise sur les conditions de vie dans son port : "On n'habite pas dans un port de plaisance, c'est interdit. On y vit et on loue un emplacement à l'année. Mais son lieu de vie, au sens fiscal du terme, reste à terre. Il est obligatoire de fournir à l'administration une adresse à terre pour les correspondances officielles. Ici, la capitainerie accepte de recevoir le courrier et de le mettre à la disposition des plaisanciers, mais c'est une tolérance, pas une règle ni encore moins une obligation".
Cette nuance a du sens, pas uniquement sur le plan fiscal d'ailleurs. Les gestionnaires de ports, à Paris notamment, souhaitent conserver à ces endroits un caractère nautique et refusent que des appartements flottants soient construits, à l'instar de ce qui peut se faire à Maastricht ou à Amsterdam aux Pays-Bas.
C'est pour cette raison que son bateau, Charlette doit le déplacer au moins une fois par année : "Tous les ans, je pars en vacances en bateau. Je me déplace dans le bassin de la Villette pour permettre à la capitainerie d'entretenir les quais d'une part et, d'autre part, pour prouver que mon bateau en est bel et bien un, flottant et naviguant. Je dois partir pour une durée de 21 jours, c'est une obligation."
Les mêmes services qu'à terre
Pour le reste, Phoque dispose de toutes les commodités les plus modernes. À bord de son bateau, Madame Thévenot dispose de l'électricité, de l'eau courante, de l'accès à l'Internet par la fibre… "Deux choses diffèrent cependant. L'électricité est revendue par le concessionnaire du port [Charlette en consomme environ 60 € par mois, NDLR.] et les bateaux sont raccordés au tout à l'égout" explique la propriétaire.
D'évidence, les bateaux qui sont équipés de réservoirs d'eaux grises ou d'évacuation sont accueillis en fonction, bien sûr. "Les bateaux peuvent se raccorder au réseau d'évacuation des eaux usées ou utiliser les pompes présentes sur les pontons".*
Des inconvénients néanmoins
La carte postale est idyllique certes. Néanmoins, vivre en plein cœur de Paris tout en disposant de la tranquillité de la campagne a un prix, pas uniquement financier. "Je paye un loyer de 700 € par mois, eau comprise. Pas de taxe d'habitation pour les bateaux, mais une taxe mensuelle de mouillage intégrée au loyer versé à la capitainerie" explique Charlette.
Quant aux nuisances, bien sûr qu'elles existent. "La mairie de Paris a récemment décidé de laisser les parcs et jardins de la capitale ouverts 24 heures sur 24. Du coup, nous pouvons avoir de la visite en permanence" précise la propriétaire du bateau. "Le plus souvent, c'est des groupes de jeunes qui viennent discuter, mais parfois certains montent à bord des bateaux. Lorsque c'est juste pour pique-niquer sur la terrasse, rien de grave, il suffit de leur demander de quitter les lieux et ils le font. Parfois, en revanche, ce sont des tentatives d'entrer dans le bateau, ce qui est nettement moins plaisant. C'est de plus en plus fréquent d'ailleurs."
Harmonieusement, les relations de voisinage existent au sein du Port de l'Arsenal. "J'ai un entourage d'autres propriétaires qui sont disponibles si besoin. Et le personnel de la capitainerie est particulièrement gentil et accueillant, je ne me sens jamais isolée au milieu de cette foule" s'amuse Charlette.
Une vie de village dans le port
Du reste, une vie authentique de village s'est instaurée dans le port de l'Arsenal. "Chaque premier jeudi du mois, nous faisons un barbecue entre résidents. Et, chaque semaine, je sais que je vais recevoir ou être invité par un voisin. Je me sens vraiment entourée" termine Charlette.
Bruits, Pollution et nuisances citadines
D'évidence, la présence d'un port en plein cœur de Paris est accompagnée des nuisances inhérentes à la vie parisienne. En moins prononcé cependant, comme nous l'explique Madame Thévenot. "Le bassin du port est plus bas que la chaussée, nous sommes donc relativement à l'abri du bruit de la circulation et du vent. En 1999, alors qu'a eu lieu la grosse tempête, un seul arbre est tombé."
Reste le souci inévitable de la pollution, qui salit les bateaux bien plus rapidement qu'ils ne le seraient en mer ou à la campagne.
Achetez un bateau, pas un appartement
Avec les années, Charlette a vu les mentalités et les attentes changer dans son port. Elle prévient : "Il ne faut notamment pas acquérir un appartement sur l'eau. C'est un bateau que les candidats à la vie fluviale parisienne s'apprêtent à acheter. S'ils n'y pensent pas et n'ont pas une vision claire de ce que cela induit (carénage, déplacement, espace restreint…) ils seront déçus et vivront une mauvaise expérience" conclut la plaisancière.
Un port en délégation de service public
Gérés par Fayolle Marine, les ports de plaisance de Paris Arsenal et la Halte Nautique de la Villette disposent au total de 200 postes d'amarrage et accueillent chaque année plus de 1500 bateaux de plaisance de 6 à 25 mètres.
Le port de l'Arsenal dispose d'une grue, de sanitaires et de l'ensemble des services aux plaisanciers, qu'ils y résident à la journée ou à l'année.