À moins d'un mois du départ, dans quel état d'esprit es-tu ?
J'ai très envie d'y retourner. La compétition me manque. Et je suis d'autant plus content d'y retourner en double. C'est un format que j'aime bien. Il me réussit souvent bien sur cette Transat Jacques Vabre. Il y a moyen de bien tirer sur les bateaux. Je reste un peu sur ma faim avec le Vendée Globe. On navigue en solitaire, isolé. On est beaucoup dans la gestion. De me retrouver derrière, sans concurrence, j'ai navigué un peu en dessous de ce que je pouvais.
Quelles sont tes ambitions sur cette Transat Jacques Vabre ? Est-ce que tu as une revanche à prendre après le Vendée Globe ?
On espère être à la bagarre pour aller au moins aussi vite que les autres. Être compétitif, aller à fond sur ce bateau qui ne demande que ça. On va essayer d'accrocher un très bon résultat. J'en ai été privé sur le Vendée Globe et sur ma précédente Jacques Vabre. On n'a pas fini comme on voulait.
J'ai vraiment envie de tout donner et de prendre ma revanche sur le parcours. Il y a 2 bateaux qui ont fini devant nous en 2019. Ils ont mieux navigué que nous. Dans la course à la voile, il y a des surprises, rien n'est acquis. On aimerait que le scénario tourne en notre faveur cette fois-ci.
As-tu effectué un chantier sur Charal ou seras-tu dans la même configuration qu'avant le tour du monde ?
On a fait du changement à la marge. On s'est mis à la nouvelle jauge 2021-2025. Nos foils sont à la nouvelle réglementation, en dessous des 8 m 3. On a également passé la quête du mât à 6 degrés. Ce sont des modifications plus typées pour le portant. Les mesures de jauge ne vont pas vers la capacité des bateaux à aller vite au près.
On a forcé le trait pour du portant médium à vent fort. On a réparti les masses à bord et refait l'étrave, qui nous aide plus dans ces conditions-là.
Sur ces bateaux-là – c'est ce qu'ont la plupart des concurrents -, si tu ne changes pas les foils, tu ne changes pas les performances. On a donc conservé le même package qu'au Vendée Globe parce que le bateau n'est pas mal comme ça, mais aussi parce qu'on lance la construction d'un nouveau bateau. Financièrement, comme dans l'équipe, ce n'est pas possible d'être sur tous les sujets. Pour avoir du gain, il fallait faire de grosses modifications. On a préféré des petites modifications avec des petits gains assurés. On n'est pas mécontent. On voit que la concurrence a beaucoup progressé. Nous aussi. On connait bien et on maitrise bien notre bateau.
Où en es-tu de la construction de ton nouveau bateau et pour quoi avoir choisi un nouvel architecte ?
C'est un choix un peu personnel de ma part. On continue de travailler avec VPLP sur Charal 1 et toutes les modifications qu'on fait à bord. Sur ce nouveau bateau, on a souhaité avoir plus d'autonomie dans l'équipe et faire pas mal de choses en interne. On a renforcé le bureau d'études et on a trouvé une sorte d'organisation autonome avec Sam Manuard.
Sans jugement de valeur, on a consulté les meilleurs architectes que l'on a pu. Mais pour une question de timing et d'organisation interne, ça a collé avec Sam. Il a aussi ce côté avant-gardiste, je pense. Notamment sur L'Occitane. Il a une vision des choses et un sens marin. Et le discours qui va avec m'a vraiment parlé. C'est un choix organisationnel et humain.
Je ne suis pas déçu dans le fonctionnement depuis le début de conception. La relation que j'ai avec Sam et son équipe de KNDmarine, avec Dimitri Nicolopoulos. Ils ont leurs convictions et leur façon de voir les choses tout en acceptant et en étant intéressés de les remettre en question. En interne, notre bureau d'études fourmille d'idées. On a des demandes et des points de vue parfois différents de Sam et KND, mais on fonctionne en bonne intelligence. Il y a des trucs très intéressants qui voient le jour.
À chaque course en double, tu navigues avec Christopher Pratt. Qui est-il pour toi et quels sont les atouts de votre binôme ?
C'est mon équipier en double. À l'image de ce qui se pratique en dériveur. Je ne change pas de coéquipier tous les ans ou tous les deux ans. C'est un fonctionnement que l'on a tous les deux. On a fait ce choix au début de la campagne Charal, depuis la mise à l'eau du bateau.
On a fait la 1re Jacques Vabre et toutes les courses en double qui ont suivi sur ce bateau. Ça fonctionne bien, on est rodé. On progresse ensemble et l'on partage la même vision des choses. Il y a pas mal de turnover dans les équipages.
Dans l'olympisme, quand tu commences une campagne avec un barreur et un équipier, tu changes rapidement si ça ne le fait pas ou tu conserves le binôme pendant au moins 4 ans. Il y a tellement à gagner à parfaire sa relation, ses connaissances sur le support. On progresse par rapport à la concurrence. On s'entend bien en mer comme à terre.
Quels sont les contraintes et avantages d'un format de course en double en comparaison du solitaire ou de l'équipage justement ?
Ce n'est pas plus facile en termes d'organisation. C'est plus compliqué en termes de gestion de sommeil et de repos je trouve. En solo, tu peux dormir quand tu veux, manger quand tu veux, faire tes manœuvres quand tu le sens. En double, il faut gérer sa propre fatigue et sa propre gestion personnelle et cohabiter avec les besoins de l'autre. L'exercice n'est pas simple. On essaye d'être le plus flexible possible. Avec Christopher, on n'a pas d'horaires, de durée et de quarts définis. Quand l'un est fatigué, du coup l'autre aussi. Au début de la course, ça tombe au même moment. Même si je suis plus du soir et lui du matin. De mon avis, d'un point de vue organisation, c'est plus facile en solo.
Au niveau de la confrontation des points de vue, notamment stratégiques, on est plus intelligent à deux que tout seul. Quand quelqu'un peut assurer la veille quotidiennement, on peut tirer à 100 % sur le bateau tout le temps. On va aussi vite en double qu'en équipage ou en solitaire, même si dans ce dernier cas, la moyenne est moins bonne.
Sur le Vendée Globe, il n'y a pas eu de moyenne faramineuse alors que ces bateaux en ont le potentiel. Sur une course en double, la moyenne de vitesse est plus importante. Ce qu'il faudrait, c'est un tour du monde en double. On fera de belles moyennes sur au moins 12 h.
Que penses-tu des nouveaux parcours de course ? Qu'est-ce que ça va changer ? Sachant l'expérience que vous avez vécue il y a deux ans dans le pot au noir ?
J'aime bien descendre vers le sud, tourner autour de l'anticyclone, sur un parcours classique type Route du Rhum. Même s'il y a le pot au noir au bout de la ligne droite. Ça fait partie du jeu. Des fois tu te fais piéger, des fois ça se passe mieux. C'est une histoire de chance et il faut faire avec. La dernière fois pas, ce n'était pas pour nous et ça le sera encore peut être cette année. Il n'y a pas de règles.
J'aime bien arriver au Brésil, j'aime les Brésiliens, l'ambiance… Sur ce nouveau parcours, la nouvelle fin est intéressante. Il n'y a pas grand monde qui connait cette portion dans ce sens-là, après un enchainement dans le sud. Il va y avoir du sport jusqu'au bout, avec du vent fort et du portant. Nos bateaux ne sont pas faciles à cette allure. Il peut y avoir du bouleversement au moins si les bateaux sont à la lutte, avec du vent fort ou médium au portant ou au reaching ouvert. Ça va être très exigeant par rapport à l'édition précédente.
Comment te sens-tu face à la concurrence, aussi bien en termes personnels qu'en termes matériels (bateau) ?
La classe s'est homogénéisée vers le haut. À chaque fois, ça progresse. Sur l'édition précédente, on était plus performant que le reste de la flotte. Ça s'est gommé à mesure que les autres équipes se sont étoffées. Ils ont navigué et découvert leur bateau. On sait qu'Apivia va fort, tout comme LinkedOut, les deux 11 th Hour Eleven, Arkéa Paprec… Il y a beaucoup de clients. C'est ce qui est intéressant.
En termes de performances, ils sont un poil plus rapide que nous. Mais en termes de performance pure, sur la dernière édition, on était les meilleurs. Ça ne peut pas nous empêcher de gagner. Avec Christopher, on gagne en intensité, on va taper dans le bateau, dans les bonhommes. On ne va pas hésiter à prendre plus de risques que d'habitude et ne pas se laisser faire.
Après la Transat Jacques Vabre, quels sont tes projets ?
Tout va s'enchainer rapidement. On va ramener le bateau à Lorient par la mer et le sortir courant décembre pour un chantier rapide et une remise à l'eau qui va venir rapidement début mars. On va se préparer aux courses d'avant-saison : Bermudes 1 000, Vendée Arctique… En parallèle, on avance sur la construction du nouveau bateau. On va poser l'accastillage sur Charal 2. Les vacances vont être courtes !