"Cette visite est un examen visuel, fait sous réserve d'un état satisfaisant des parties du navire non-accessibles" Si vous avez déjà eu entre les mains un rapport d'expertise, ces quelques mots d'apparence anodine y figurent.
"Par cette phrase", nous explique Robert Le Brunet - Expert Maritime à Dinard (Ille-et-Vilaine) "j'explique au destinataire de l'expertise, qu'il s'agisse d'un assureur ou d'un acheteur potentiel, que je n'ai pu voir que ce qui était visible. C'est une lapalissade capitale pour l'acheteur, car cela fixe un cadre à mon expertise. Bien sûr que je peux parler uniquement de ce que j'ai vu. Le reste, je suis visionnaire pour en parler, je m'appuie sur de l'expérience d'une part, du ressenti d'autre part pour tenter de comprendre et d'expliquer ce qui semble représenter l'état d'un élément ou d'une pièce invisible."
L'expertise n'est jamais destructive
La règle est simple et logique, une expertise, notamment pour l'achat, ne fait en aucun cas appel à une méthode destructive. Jamais un expert ne va procéder au carottage de la structure du bateau pour évaluer l'état du sandwich qui la compose. "Imaginez un instant que cette carotte indique que la structure est parfaite, mais que, mal rebouchée, elle amène de l'eau et détruit cette structure. C'est pour cette raison que, lors de mes expériences, ma seule action physique sur les éléments va se limiter à gratter, avec une lame de couteau, des vannes ou des traces superficielles pour voir ce qui se cache sous la couche de sel, par exemple. Jamais d'action qui n'est pas standard aux recommandations du fabricant".
L'assureur s'engage après l'expertise
L'expert ne prend pas de décision. Son métier consiste à exposer un état à un instant donné sur un espace défini. Cette analyse, remise à l'assureur ou à l'acquéreur, leur permet de prendre une décision en connaissance de cause. Robert explique : "Lorsque je conclus une expertise, j'indique, dans le cas d'une expertise en valeur d'assurance, si le prix déclaré du bateau est en phase avec l'état que j'ai pu constater. C'est un indicateur qui va permettre à l'assurance de prendre une décision de couvrir ou non le bateau concerné."
C'est en conséquence l'assureur qui prend un engagement envers son assuré (dans le cas d'une expertise en valeur d'assurance). L'expert prend, lui, un engagement au moins moral envers la compagnie, qui a la liberté de ne plus le faire travailler si elle est insatisfaite de ses prestations.
L'expert est assuré
Bien sûr, si une erreur flagrante de l'expert se produit, il est responsable de cette erreur. "Si j'oublie d'actionner une vanne et qu'un bateau coule à cause de cet oubli, mon assurance responsabilité civile professionnelle compensera les coûts inhérents à mon erreur. On peut en conséquence considérer que mon expertise est couverte et qu'un niveau réel de garantie existe, comme pour tous les professionnels."
Cette couverture a des limites. Elle ne vient pas assurer ce que l'assureur du bateau ne couvre pas. "J'ai eu l'occasion de réaliser une expertise sur un bateau dont la structure était entièrement détruite et pour laquelle l'assuré exigeait une prise en charge. À peine ma sacoche posée sur le pont que la toile de verre a cédé. Hors de question de faire jouer mon assurance ici, c'est la chose expertisée qui n'était pas en mesure de l'être" raconte l'expert breton.
L'expertise parfaite n'existe pas
"Pour qu'une expertise soit totalement inattaquable, il faudrait pouvoir démonter en totalité le bateau, pièce par pièce et passer chaque élément aux rayons-X, à l'IRM ou à je ne sais quelle technologie qui permettrait d'examiner l'intérieur des éléments" explique le professionnel. C'est d'évidence impossible et la raison qui mène l'expert à aller aussi loin que possible, mais "pas trop non plus". "Un écrou, par exemple, peut ne présenter aucune trace d'oxydation, mais casser au démontage. C'est l'aspect visuel de cet écrou qui sera évalué, éventuellement en retirant la poussière, pas sa résistance mécanique" ajoute Robert.
Une chose est incontestable, que l'expert tient à rappeler : "Un bateau convenablement entretenu, maintenu aussi propre que possible et dont le propriétaire peut présenter l'ensemble des documents d'entretien sera inéluctablement en meilleur état à dire d'expert qu'un bateau sale et dont l'entretien aura été réalisé de façon plus ou moins régulière. Généralement, j'acquiers une opinion assez claire sur l'état d'un bateau après quelques secondes en l'ayant juste regardé, très souvent confirmée ensuite."
À propos d'expertise poussée, l'expert nous raconte une anecdote qui parle de cette tentative d'expertise parfaite : "Il y a quelques années de cela, un chantier dont je tairais le nom est intervenu pour remettre en état un tableau arrière. Par précaution, ce chantier après qu'il a déposé les planches de support moteur en contreplaqué, a voulu faire des carottages dans le sandwich du bateau. Ils ont fait 4 ou 5 carottes dans des endroits différents qu'ils ont rebouchées. Ce qui fait que le tableau, au lieu d'être percé en 4 ou 5 endroits distincts pour fixer le moteur, avait une dizaine de points de faiblesse. Autant dire qu'il n'était plus capable de supporter en sécurité la poussée de la motorisation. Il a ainsi fallu refaire l'intégralité du tableau arrière du bateau par précaution".
En bateau aussi, le mieux est-il l'ennemi du bien ?