Echange avec le navigateur Titouan Lamazou sur sa vision de la plaisance et de la course au large.
Comment voyez-vous l'évolution de la course à la voile ?
L'évolution technique, elle, me paraît normale. Plus sûrs, les bateaux d'aujourd'hui sont aussi plus rapides… Je dois dire que les vitesses affolantes qui sont atteintes maintenant me fascinent. Quand j'ai fait le tour du monde en 109 jours, c'était déjà bien plus rapide que ceux qui le faisaient des décennies avant, en 300 ! Et ça a encore accéléré ces dernières années… Même si cette contraction du temps a ses limites aussi, car on ne fera jamais le tour du globe à la voile en quelques secondes. Et puis, on peut se demander aussi s'il est bien sage de dépenser des fortunes pour grappiller encore des nœuds, notamment en finançant des foils au coût exorbitant… Ca fait sans doute partie du jeu aussi : à mon époque, mon bateau était au top de la technologie d'alors ! Mais, je reste assez d'accord avec Le Cam qui a fait différemment et avec succès… Il y a tout de même quelque chose qui me gêne vraiment dans la course à la voile actuelle…
De quoi s'agit-il ?
Eh bien, c'est de la communication tous azimuts dont je parle. A mon époque, on n'avait pas de GPS et on utilisait seulement la radio basique… que l'on pouvait faire mal fonctionner à l'envie d'ailleurs, si le besoin de rester solitaire se faisait sentir… Bref, on pouvait être vraiment isolé, loin du monde tout en faisant le tour ! Aujourd'hui, les skippers sont contraints de communiquer tous les jours sous peine de pénalités. Ils ont le téléphone sous la main, comme à la maison, et sont en contact constant avec leur entourage, avec les médias… Je comprends bien que les sponsors veuillent un retour sur investissements, mais je trouve que toute cette communication va à l'encontre du concept de course en solitaire, non ? Et puis, disons-le, tous les navigateurs ne sont pas intéressants au point de les faire parler quotidiennement. Vous savez, sur un bateau, pendant ce genre de course, il ne se passe pas grand-chose à bord : on tire quelques bords dans la journée, parfois même pas un… Alors, bien sûr, il y a Kersauson et d'autres marins rigolos comme lui, mais ça n'est pas la majorité !
Vous êtes-vous considéré comme un plaisancier à un moment de votre vie ?
Non… En fait, le concept de « plaisance », de « navigation pour le plaisir », m'est étranger, je vous le dis très sincèrement. Je n'ai jamais fait de bateau pour mon plaisir, mais pour concourir, ou plus simplement pour me déplacer, c'est tout. Pour moi, les bateaux sont des outils. Et d'ailleurs, ils le sont depuis la nuit des temps. La plaisance, elle, n'a vu le jour qu'au début du 20e siècle, et s'est démocratisée ensuite. Elle est dans la lignée des congés payés des années 30, et des activités de loisir qui ont été alors générées, avec force marketing pour les promouvoir. Moi je suis resté au bateau version utile, voilà tout !
Que pensez-vous du développement de la plaisance ?
Aujourd'hui, ce qui me gêne vraiment dans la plaisance, c'est qu'elle participe de cette consommation effrénée, généralisée, qui va à l'encontre de la préservation de notre environnement. On estime les ports saturés de bateaux ? Alors, pour les désengorger, on imagine d'en créer des supplémentaires flottants, ou des parkings souterrains pour bateaux… Et la plaisance fluviale, c'est comme la plaisance maritime à moteur… côté écologie, il y a mieux, non ? Je me rappelle d'avoir vu sur le Lot, une file ininterrompue de pénichettes, toutes au moteur gasoil ! Et tout ça pour quelques jours d'utilisation seulement dans l'année… Ne vaudrait-il pas mieux limiter le nombre de bateaux, tout simplement, et restreindre leur utilisation à des buts pratiques, utiles ?
Vous voudriez réfréner les ardeurs des amoureux de la voile ?
On ne peut pas, bien sûr, aujourd'hui, empêcher les gens d'aller chercher du bonheur, du réconfort sur leurs bateaux. Même si interdire la plaisance du jour au lendemain, ce qui est assez radical j'en conviens, serait nécessaire pour vraiment protéger notre environnement avec lequel on a un vrai gros problème ! En fait, il faudrait surtout tout faire pour que les gens n'aient plus envie d'aller en chercher ailleurs, du bonheur, et en l'occurrence en mer. Il faut tout faire pour que leur vie soit plus douce et vivable là où ils résident. On pourrait trouver des solutions, des idées, temporaires, de transition seulement bien entendu, pour que la plaisance soit plus écolo. Par exemple, le recyclage des bateaux. Quand ils étaient en bois, on les laissait dans des cimetières et ils se décomposaient d'eux-mêmes, mais maintenant qu'ils sont en plastiques et matériaux composites… L'autre idée, serait de favoriser la location de bateaux. Au moins limiterait-elle l'utilisation et donc sans doute la fabrication de bateaux nouveaux qui finalement impactent vraiment notre environnement sans être presqu'utilisés.