Rencontre avec Titouan Lamazou, navigateur, peintre, auteur
Rappelez-nous votre parcours nautique…
J'ai interrompu mes études conventionnelles en seconde. Je savais, sans le savoir tout à fait encore, que je finirai artiste. Je suis rentré alors aux Beaux-Arts… Mes lectures m'ont, à cette époque, sans doute beaucoup influencé. Je lisais des récits d'aventuriers, d'explorateurs, de navigateurs… dont la plupart a vécu en Polynésie d'ailleurs, là où je vis aujourd'hui ! Je me souviens, par exemple, de « La longue route » de Bernard Moitessier. Bref, j'ai fini par quitter les Beaux-Arts : j'ai été attiré par le monde maritime parce que je voulais aller voir ce qui se passait derrière l'horizon. Ma motivation c'était aussi de rejoindre ceux qui partaient en mer, appartenir à leur communauté et gagner leur respect. C'est ça qui m'a d'ailleurs poussé à faire de la course à la voile.
Comment avez-vous vécu cette période de votre vie maritime ?
C'est Eric Tabarly qui m'a mis le pied à l'étrier. Je l'ai rencontré quand j'étais mousse aux Antilles. Et je l'ai suivi pendant deux ans et demi sur les mers du monde ! (Lire l'article) Ça m'a confirmé que j'avais de bonnes prédispositions pour devenir skipper. Les courses se sont enchainées et puis j'ai remporté le premier Vendée Globe. En fait, je suis venu à la course nautique tardivement par rapport aux autres coureurs de ma génération. Et c'est une période de ma vie qui se résume en cinq ou sept ans seulement. Après le Vendée Globe… eh bien, je suis retourné à mes pinceaux !
Vos souvenirs de navigation les plus marquants ?
Le plus ancien sans doute, remonte à quand j'avais 15 ans : j'avais embarqué pour une croisière vers l'Afrique du Sud. L'arrivée dans le port, à la voile, tout en lenteur donc… j'en ai un précis souvenir aujourd'hui encore. J'ai retrouvé cette sensation en atteignant l'embouchure de l'Hudson, à New York. C'est tout autre chose que d'y arriver par Kennedy Airport ! Là, quand on a navigué longtemps, que l'on vient de loin, on prend conscience des distances, on a en tête l'échelle du monde. Je me souviens aussi de ce passage entre Ténérife et Grande Canarie, au tout début du Vendée Globe : le skipper que j'étais devenu et qui se trouvait déjà en première position de la plus belle course du monde, aurait pu saluer le jeune homme qui, dix ans auparavant, s'était tenu là, face à la mer, mais sur terre… Un salut poétique à moi-même !
Existe-il un bateau qui vous fasse rêver aujourd'hui ?
Mon futur bateau-atelier bien sûr ! Pour le passé, c'est le « Bluenose » dont l'histoire est très attachante et intéressante. Il représente, pour moi, un aboutissement génial dans le domaine de la construction navale en Occident. C'est un bateau de légende à tel point qu'il figure, me semble-t-il, encore sur la monnaie canadienne. Dans son fameux roman, « Capitaines Courageux » (fin 19e siècle), Kipling évoque ces goélettes qui partaient d'Amérique du Nord vers les Grands Bancs de Terre-Neuve, dans une course effrénée pour rapporter en premier leur stock de morue et le vendre au prix fort. De course, ces goélettes de pêche en disputaient aussi de vraies dans le cadre de l'International Fishermen's Trophy : le Bluenose a ainsi remporté quantité de victoires, et s'est forgé une réputation internationale ! Il semblerait aussi qu'il ait été très actif pendant la prohibition… Obsolète pour la pêche, avec l'avènement des bateaux à moteur, il est devenu transporteur de marchandises dans les Caraïbes, avant de sombrer sur un récif haïtien… Triste fin.
D'autres navires à bord desquels vous aimeriez naviguer ?
Oui, je pense aussi aux paquebots à l'ancienne, comme le Titanic, le France et les autres énormes bateaux de ce genre : je ne suis jamais monté à bord de l'un d'eux, mais j'aurais bien navigué un peu de cette façon, j'aurais bien expérimenté leur propre lenteur. Bien sûr, si l'on dépasse les frontières occidentales, je ne peux que citer les pirogues doubles océaniennes : ce sont, à mon sens, les plus brillants bateaux inventés.
Votre projet de bateau-atelier, vous y travaillez toujours ?
La maquette, basée justement sur le modèle de ces catamarans traditionnels, s'est agrandie… En fait, j'ai rallongé ses deux coques pour plus de stabilité, pour qu'il soit un outil de navigation maritime performant ! Ce bateau, pour moi, c'est comme une utopie, un idéal : une maison alliée à un atelier, le tout emporté dans une lente itinérance. Cette itinérance qui fait partie intégrante de mon mode de vie depuis que j'ai 18 ans, quand j'ai quitté les Beaux-Arts. Elle est indissociable de mon activité d'artiste ; les deux se nourrissent mutuellement sans doute d'ailleurs. Imaginez… être à bord immobile dans mon atelier, tout en étant mobile sur l'eau !
Quel but recherchez-vous avec ce projet de bateau-atelier ? A peindre certes…
Certes, mais j'accueillerai également d'autres artistes, et des scientifiques à son bord. Et ce, sur un navire lumineux et spacieux : j'ai prévu cinq cabines avec bureau, salon… sur 30 mètres de pont ! Tout l'inverse des charters sur lesquels on entasse les petites cabines pour assurer la rentabilité des croisières… ce que je peux d'ailleurs comprendre. Nous avons aussi prévu tout un programme d'animations, de sensibilisation, notamment à destination des écoles locales, et qui sera assuré par les navigants. Bien sûr, la thématique sera l'écologie. Le bateau-atelier sera d'ailleurs le plus écolo possible… Même si mon constructeur, réaliste, me dit souvent que si je veux vraiment être écolo, je n'ai qu'à rester sur ma plage pour peindre ! En fait, ce moment de conception, puis la construction qui viendra ensuite, ce sont des moments passionnants. J'ai remarqué que pour les voileux qui construisent ou rafistolent leur bateau, ce sont ces moments, avant la mise à l'eau, qui les enthousiasment. Ensuite, leur motivation peut s'amenuiser !
En attendant le bateau-atelier, un nouveau livre de Titouan Lamazou :
Escales en Polynésie - Titouan et Zoé Lamazou
C'est avec sa fille qu'il a voyagé en Polynésie à la rencontre de ses habitants, et à la découverte de leurs occupations et préoccupations. Ils ont ainsi sillonné cinq archipels, Titouan faisant des portraits de personnages locaux, et Zoé recueillant leurs paroles. Cela donne un imposant livre de près de 300 pages qui se partagent entre reproductions d'aquarelles vivantes et légendées par Titouan et touchants témoignages retranscrits par Zoé.
Coup de cœur pour les légendes comme manuscrites qui accompagnent les illustrations. Presque de l'exotisme à force de ne lire que des textes dactylographiés…non ?!