Les Selvagens : des iles perdues pour une escale atypique en Atlantique Nord

Au mouillage à Selvagem Grande © Pierre-Martin Razzi

Quel marin n'a pas rêvé d'une île perdue, dont le cône nuageux inattendu percerait l'horizon, et qu'il pourrait, moitié Colomb, moitié Robinson, fouler en découvreur ? Si ce fantasme vous anime, nous avons un endroit pour vous: il s'appelle les Selvagens, les Salvages ou les Sauvages, selon que l'on est luso, anglo ou francophone. Mais, quelle que soit la langue, ce coin perdu dans l'Atlantique mérite un petit détour…

Des Iles perdues entre Madère et les Canaries

Imaginons que vous ayez quitté la Bretagne ou passé Gibraltar pour une traversée de l'Atlantique hivernale. Vous avez peut-être visité l'archipel des Açores puis, gagnant au sud, celui de Madère avant de rejoindre les Canaries. Classique. Une observation attentive du routier qui accompagne la plupart des "transateux" vous aura fait découvrir, entre Madère et Ténérife, deux ou trois poussières d'îles accrochées au trentième parallèle. Ce sont les Ilhas Selvagens, terres (enfin cailloux…) les plus australes du Portugal. Les Espagnols qui en sont beaucoup plus près que les Portugais (70 nautiques contre 120 environ) aimerait bien reclasser ces îles en vulgaires rochers, ce qui de fait étendrait significativement leur zone économique exclusive. Ce n'est pas du goût de Lisbonne…

Promenade sur Selvagem Grande
Promenade sur Selvagem Grande

Une réserve naturelle accessible au coeur de l'Atlantique

L'archipel, sous l'impulsion d'un ornithologue de Funchal, le docteur Alec Zino, a été classé en réserve terrestre dès 1971 après son rachat par le gouvernement portugais à leur propriétaire, Luis Machado dont on se demande bien d'ailleurs comment il l'avait préalablement acquis. Une extension de la réserve concerne désormais le domaine maritime jusque dans la zone des 200 m, ce qui en fait le plus grand parc naturel portugais soit dit en passant
Sous certaines conditions, les navigateurs de passage y sont les bienvenus. Il suffit pour cela d'en faire la demande par internet. Cela marche assez bien. L'autorisation est (en théorie) délivrée pour une journée de minuit à minuit, ce qui n'est ni pratique ni logique compte tenu les impératifs de navigation. Heureusement, sur place les choses s'arrangent comme on le verra.

L'équipe de guides de la réserve de Selvagem
L'équipe de guides de la réserve de Selvagem

Un accès en bateau sans difficultés majeures

Le guide Imray sur les îles de l'Atlantique laisse entendre que l'endroit est mal pavé , sa cartographie incertaine. Il conviendrait donc de lui donner un large tour. Sans doute est-ce un peu exagéré. Certes, il y a quelques hauts-fonds, mais sous réserve d'y arriver et d'en partir de jour, de bien respecter les lignes de sonde, la navigation ne présente pas de difficulté, même en solitaire. De plus, j'ai pu le constater et infirme ainsi les propos du guide Imray, la cartographie Navionics se révèle conforme, au moins en ce qui concerne l'approche par l'est sur Selvagem Grande. Le mouillage y est autorisé à Enseada das Cagarras, une anse située au sud de l'ile, assez bien abritée des vents dominant de secteur N-E. Arrivé sur place vers 19 heures (de jour donc), j'ai mouillé par dix mètres sur fond de roches et de sable, entouré par les nuées de puffins cendrés aux cris étonnamment humains. Les gardes ne sont venus que le lendemain matin vérifier les autorisations (qu'ils avaient du reste reçues par mails préalablement). Leur gentillesse est sans égale. J'ai été autorisé à rester sur place 48 heures avec la possibilité (pour la seconde nuit) de m'amarrer à l'un des deux corps-morts à l'intérieur de la baie. Choisir, si c'est possible, celui avec une simple bouée plutôt que la tonne métallique, cruelle pour le gelcoat ou la peinture. Je dois préciser que j'étais le seul bateau, le cinquième depuis la mi août alors que nous étions le 26… Et comme l'un des gardes me l'a précisé, "il y a moins de passage en hiver !"

Baie de Selvagem Grande
Baie de Selvagem Grande

Découverte de la faune insulaire

Lors de ma visite, le nombre de mammifères sur Selvagem Grande était de dix, moi compris. Neuf Homo sapiens dont quelques scientifiques et un Canis lupus femelle de race indéterminée (mais sympathique) arrivé sur l'île voici douze ou treize ans. Le recensement est donc assez vite fait ! A une époque, rats chèvres et bêtes à longues oreilles, apportés par les premiers bateaux pullulaient au point qu'ils menaçaient l'équilibre précaire de l'île. Ils ont été totalement éradiqués entre 2000 et 2004. Pour les oiseaux, il en va différemment… Ils sont des milliers, chez eux, et reviennent nidifier année après année sur l'île de leur naissance.
J'ai été convié à débarquer devant les deux ou trois bâtisses de la base avec mon annexe vers 10h30. Un slipway permet de mettre pied à terre et je suggère les rames plutôt que le moteur hors-bord car les cailloux sont nombreux, surtout à marée basse… On devine une cuisine, quelques chambres, un atelier… Une immense table sous un auvent accueille gardes et scientifiques pour les repas (ou les parties de cartes…). Faut-il le préciser ? Il n'y a pas une goutte d'eau douce sur l'île. Un des bâtiments abrite donc un dessalinisateur, seule source de pollution sonore, une ou deux heures par jour. Autrement, l'énergie électrique est d'origine solaire.

Juvénile de Puffin cendré
Juvénile de Puffin cendré


Un guide naturaliste, un garde maritime (nous échangions en anglais) et la chienne - baptisée Selvagem comme il se doit ! - m'ont accompagné durant près de deux heures sur les sentiers balisés de l'île, un peu comme cela se pratique aux Galapagos bien que, semble-t-il, de manière beaucoup plus cordiale. Prévoir un chapeau et des chaussures de randonnéee. Le sentier est - littéralement - bordé par les terriers des puffins cendrés. Au premier, vous vous baissez pour regarder le poussin gris duveteux, de la taille d'une caille, au deuxième, même chose. Au troisième, l'attrait reste suffisant. J'avoue qu'au cent cinquantième, le soleil cognant, on cherche plutôt les lézards et les tarentes endémiques, sorte de gecko local. Heureusement pour notre tranquillité, les puffins adultes pêchent au large durant la journée et ne reviennent au nid que le soir venu. Les juvéniles sont donc laissés seuls et pourtant, la crainte semble absente. Même la chienne navigue au milieu de tout ce petit monde sans déclencher la moindre réaction. Ni d'un côté ni de l'autre.

Un île volcanique et pelée

Le haut de l'île constitue un plateau sillonné de murets qui attestent de tentatives d'occupation humaine de même que la fontaine, sèche comme l'amadou, creusée à flanc de falaise. Deux cônes volcaniques émergent de ce plateau. Le plus haut, Pico de Atelaia culmine à 160 m environ. Il est surmonté d'une antenne et d'un feu de navigation. C'est sec, minéral, gris, ocre et d'une sidérante beauté tranquille. Une sorte d'harmonie originelle…

Sommets de Selvagem
Sommets de Selvagem

De retour à la base, on m'a offert un mug d'eau fraiche et une banane que je n'ai pu refuser. L'argent ici n'a pas lieu d'être ! De retour au bateau, je me suis baigné dans une eau à 24 degrés. Muni d'un masque et d'un tuba, j'ai vu quelques poissons, entr'aperçu un mérou ou deux dont on m'a précisé qu'ils étaient porteurs de ciguatera, ce qui n'a pas manqué de m'étonner dans un milieu apparemment exempt de toute pollution. Il est bien connu que chaque paradis a son serpent !
Le lendemain, après cette escale qui n'était pas grand chose et qui, pourtant, était tout, j'ai largué l'aussière du corps mort et j'ai fait route jusqu'à Selvagem Pequena (au mouillage réputé rouleur) que j'ai saluée de loin faute de temps. Puis j'ai pointé l'étrave sur Lanzarote, gentiment poussé par un flux de nord…

Infos pratiques

Demande d'autorisation en anglais :
nao.responder.simplifica@madeira.gov.pt.
ou, plus simple contactez Carolina Santos, la responsable :
carolina.santos@madeira.gov.pt
Le certificat de vaccination Covid doit être envoyé à Madeirasafe après avoir créé un compte sur madeirasafe.com

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