Un phénomène nouveau qui s'intensifie
Depuis quelques mois, de nombreux plaisanciers relatent des interactions avec les orques. Si ces dernières avaient principalement lieu dans le sud de l'Espagne, vers le détroit de Gibraltar, récemment, un voilier français a rencontré ces mammifères à 150 km des côtes de Royan.
"C'est un phénomène nouveau. Les premières interactions des orques vers des bateaux de plaisance et notamment des voiliers ont commencé en 2020 dans le sud de la péninsule ibérique, vers le détroit de Gibraltar. Les premiers individus appartenaient à une sous-population génétiquement isolée" commence Paula Mendez Fernandez.
Ce phénomène qui ne s'est jamais arrêté s'est même intensifié avec l'été. En effet, les plaisanciers sont plus nombreux à naviguer et les orques également. Elles suivent les thons rouges dont elles s'alimentent, qui gagnent à cette période la Méditerranée. Ce qui est plus rare par contre, c'est la présence d'orque dans le golfe de Gascogne. Généralement, on ne signale qu'un cas par an à cet endroit, les animaux chassant toujours les bancs de thon, dont une partie remonte dans le golfe de Gascogne.
"C'est un comportement nouveau chez les orques, même chez l'ensemble des mammifères marins. Ils vont chercher les bateaux, jouent avec et peuvent aller jusqu'à casser les safrans, avec une violence qui peut parfois faire peur aux équipages", explique l'ingénieure.
Des orques qui chercheraient à jouer
Si ces interactions peuvent faire paniquer les plaisanciers, les scientifiques n'y voient pas un comportement dangereux pour l'homme, dans le sens où l'orque ne vient pas pour attaquer. Attention toutefois à ne pas tomber à l'eau à ce moment-là, les orques pourraient vous blesser involontairement.
Aucun phénomène déclencheur connu
"On soupçonne qu'ils cherchent à jouer. Les orques ont une capacité d'apprentissage très développée et des groupes sociaux très fort. C'est un groupe matriarcal où la femelle apprend aux juvéniles à jouer, à chasser… Les juvéniles reproduisent ensuite l'action. Il y a eu pas mal d'interactions où ce n'était d'ailleurs que des juvéniles. Mais pour l'instant on ne sait pas trop ce qui pousse à ce comportement. D'autres hypothèses visent à expliquer que les orques cherchent à faire comprendre qu'elles en ont marre de notre présence en mer, du trafic maritime trop important. À Gibraltar, le trafic est intense et il y a également de nombreuses entreprises de "Whale watching", mais elles respectent des règles pour ne pas déranger les animaux" détaille Paula.
Mais comment ce phénomène s'est-il développé ? Pour l'instant, le groupe de travail ne sait pas l'expliquer, comme l'indique Paula.
"On ne sait pas si un évènement particulier a déclenché ça. Il n'y a pas un phénomène déclencheur connu. On peut supposer qu'il s'est passé quelque chose avec un bateau. La relation entre les orques et les bateaux de pêche en Méditerranée est conflictuelle, car ils ont la même source d'approvisionnement. Notamment au Maroc, où les pêcheurs utilisent des petits bateaux artisanaux et pêchent le thon à la ligne, directement mangé par l'orque en situation de pêche. Les pêcheurs en ont toujours eu marre alors est-ce qu'il s'est passé quelque chose ?
Dans tous les cas, on est étonné de voir que ça s'intensifie de plus en plus. L'année dernière, il n'y avait pas eu de cas dans les eaux françaises. Le plus au nord où l'on avait étudié ce phénomène était la Galice. On espère qu'il n'y en aura pas d'autres."
Respecter le protocole de sécurité
Pour mieux comprendre ce phénomène et protéger les plaisanciers, un groupe de travail a été créé. GT Orca Atlantica réuni des scientifiques et des spécialistes des orques, mais aussi des institutions publiques pour recueillir un maximum d'informations sur ces interactions et donner des conseils et consignes aux navigateurs.
"Nous avons établi un protocole de sécurité, envoyé aux PREMAR, pour une diffusion au niveau des ports et des marinas, mais tous les plaisanciers n'en ont pas connaissance. Ça ne marche pas à 100 %, car certaines fois les orques ont continué. Mais dans la majorité, on a pu voir une réaction quand le bateau s'arrêtait" détaille Paula Mendez Fernandez.
Voici donc la marche à suivre si des orques viennent à votre rencontre :
- Si possible, en fonction des conditions de mer et la localisation, ralentissez, arrêtez le pilote automatique, arrêtez le moteur et laissez le gouvernail sur le cap. Dans le cas d'un voilier, affaler les voiles.
- Contacter le 112/ canal radio 16 ou l'officier de la région (Tarifa 10 ; Tanger 69, Fisterra 16)
- Retirez vos mains de la roue ou barre du gouvernail et ne la touchez pas, éloignez-vous de toute partie du bateau qui pourrait tomber ou tourner brusquement.
- Si possible, éteignez le sondeur et gardez la VHF et les éléments de position allumés.
- Si vous disposez d'un téléphone avec appareil photo ou d'un autre dispositif, enregistrez les animaux, en particulier leurs nageoires dorsales, afin de pouvoir les identifier.
- Lorsque, après un certain temps, vous ne sentez plus la pression sur le gouvernail et que les animaux se sont éloignés, vérifiez qu'il tourne et fonctionne.
- Si vous constatez des dommages qui empêchent la navigation, demandez un remorquage.
- Permettez de transférer votre contact à des spécialistes des cétacés pour évaluer votre cas.
- Informations de base à recueillir par les autorités : Nom du navire / heure / contact (téléphone/email) – Position GPS.
"Il faut toujours se préserver, mais si c'est possible, que les orques sont tranquilles, c'est bien que le plaisancier prenne des images. Ces individus appartiennent à une sous-population bien identifiée par l'aileron dorsal. On a pu grâce à ça identifier des individus présents à plusieurs reprises lors de différentes interactions. Mais les images doivent être de bonne qualité. Ensuite il faut appeler Pelagis ou aller sur le site du GT ORCA pour donner un maximum d'informations : coordonnées GPS, date, heure, comment ça s'est passé, le nombre d'individus, la durée…" détaille Paula.
De nombreux navigateurs ne savent pas encore quel protocole suivre en cas d'interactions avec les orques. Il est donc important de prendre en compte ce protocole de sécurité. L'ingénieure conseille même de choisir un autre itinéraire si possible ou de changer de destination pour éviter ce genre de problème. Aujourd'hui, cette zone concerne le sud de l'Espagne, entre Tarifa et Cadix, à l'entrée du détroit de Gibraltar. Sur le site GT Orca, vous pouvez retrouver une carte interactive mise à jour régulièrement, qui recense les dernières interactions.