Gilles n'est pas un novice en voile quand il rachète Mayaguana, un Dufour Safari de 1974. Après quelques travaux de remise en état (surtout à l'extérieur) au Pouldu (Bretagne Sud), il va entreprendre le convoyage vers son port d'attache sur la Rance (en Manche à côté de Saint-Malo).
Pour cette croisière qu'il effectue fin juin 2019, il navigue en solitaire. La mer, il aime cela. Et même si le pilote automatique qui est à bord ne fonctionne pas, le solitaire n'effraie pas ce marin de 60 ans qui a d'ailleurs le brevet de Capitaine 200. Mais si ce convoyage semble bien préparé, il ne va pas dérouler comme prévu.
Comme un clapotis dans le bateau
Près la mise à l'eau et le remâtage par le chantier le 20 juin, Gilles prend le large le lendemain. Prudent, il met le cap vers le large pour contourner assez largement la Bretagne, conscient qu'en mer, le danger c'est la terre. Il navigue tribord amures avec un beau temps. Sans pilote, il passe son temps à la barre. Il a d'ailleurs prévu nourriture et eau à portée de main.
Mais après quelques heures de navigation, il entend un clapotis qui ne vient pas de l'étrave, mais bien de l'intérieur. Quand il descend dans la cabine, il trouve déjà 50 cm d'eau dans les fonds. L'eau est au niveau des couchettes du carré.
VHF et téléphone pour le CROSS
Avec ce niveau, il n'arrive pas à localiser la voie d'eau. Il essaye ensuite la pompe à main qui se trouve dans le cockpit, mais celle-ci trop faible n'arrive pas à étaler l'entrée d'eau. Très calme, Gilles envisage alors la possibilité de quitter le bateau. Il prépare son radeau et range ses affaires dans un sac étanche. Enfin, il appelle le CROSS Etel à la VHF pour lui indiquer sa situation. Le CROSS lui demande de les rappeler avec un téléphone portable afin de trianguler sa position. Gilles indique qu'il va déclencher la balise de détresse EPRIB en précisant qu'elle est toujours au nom de l'ancien propriétaire.
Le moteur en guise de pompe
En attendant les secours, Gilles a l'idée d'utiliser le moteur diesel comme pompe de cale. Assez haut perché sur son support, il n'a pas encore pris l'eau. Seules les batteries sont totalement immergées… Soulagement le moteur démarre. Il débranche le tuyau de prise d'eau au niveau de la vanne et vient le plonger dans la cale sous les planchers. Rapidement le niveau d'eau baisse. Profitant du moteur (et toujours sous voiles), Gilles met le cap vers la terre, espérant échouer son voilier pour ne pas le voir couler. Durant tout ce temps où le moteur pompe, Gilles n'a qu'une crainte c'est qu'il aspire des saletés qui viendraient définitivement endommager le roué de la pompe à eau. En effet, aucune crépine n'est installée en bout du tuyau d'aspiration. Mais le problème va venir d'ailleurs.
À l'arrière du moteur, une gaine d'aération de la cale va se décrocher et venir s'enrouler autour de l'arbre d'hélice. Avec de fortes fumés, le moteur cale. Ce diagnostic, il ne le fera que plus tard. Pour l'instant, Gilles continue à la voile vers la côte.
Un hélico et une vedette SNSM
Un hélicoptère approche alors. Gilles le guide avec un feu à main. Un plongeur saute à l'eau et embarque sur Mayaguana. Il prend tout de suite des nouvelles de Gilles qui est toujours très calme. Gilles explique la situation, montre le radeau prêt à servir et le sac prêt à embarquer. Devant la hauteur d'eau, le sauveteur indique à Gilles qu'il va devoir abandonner son bateau et se faire hélitreuiller. C'est à ce moment que la vedette SNSM Men Meur arrive. Avec un sauveteur à bord, ils décident de sauver le bateau. Le plongeur regagne son hélicoptère. Rapidement une remorque est frappée à l'avant et le remorquage vers Lesconil, le port le plus proche, commence à grande vitesse.
Une fois à quai, la vedette se met à couple et à l'aide d'une puissante motopompe vide rapidement le bateau. Trois équipiers de la SNSM cherchent alors l'entrée d'eau qui semble introuvable, une fois vide, le voilier ne se remplit plus !
Seul le tuyau de la prise d'eau du moteur, celui qui servit à pomper la cale semble avoir été usé. Raccourci, il reprend sa place sur la vanne. Fin de l'intervention de la SNSM. Mais Gilles à des doutes sur la cause réelle de la prise d'eau…
Se remettre de ses émotions
Gilles va rester une journée au port pour assécher un peu le bateau. Ce n'est que le lendemain qu'il reprend la mer. Son moteur ne fonctionne toujours pas, mais la météo est bonne pour contourner la Bretagne. Petit temps en perspective. Ainsi Gilles va franchir le Ras de Sein, et dormir une nuit à Camaret. Toujours avec un oeil sur ses planchers, il ne voit pas d'eau revenir. De Camaret, il repart pour faire une halte à l'Aber Benoit, puis se sera Paimpol où l'entrée et le passage de l'écluse sans moteur sont un peu délicats. Heureusement des plaisanciers viennent à son aide. Un avis de coup de vent pour la nuit est annoncé. Gilles va rester tranquillement au port.
Cette pause au port va lui permettre de chercher les causes de la panne moteur. En passant par la couchette cercueil, il découvre le pot au rose. Il va passer la soirée à tout remettre en état et avec joie voir son moteur redémarrer.
Encore de l'eau à l'intérieur !
Après avoir consulté la météo (l'avis de coup de vent n'est plus en cours), Gilles reprend la mer. Hélas, avant d'arriver au cap d'Erquy, il va se retrouver dans un coup de vent de face et contre le courant. Après avoir tiré des bords carrés devant la pointe, Gilles décide de s'aider du moteur pour franchir le cap. Mais 1/4 d'heure après avoir démarré, celui-ci cale ! Gilles cherche à tenir sa position une bonne partie de la nuit, tirant des bords sans trop progresser vers le but.
Très fatigué il décide d'amarrer la barre et de se reposer un peu. Mais c'est la douche froide : l'eau envahit encore la cabine !
Cette fois Gilles décide d'abattre en grand et de chercher la fuite. Qu'il trouve. Le tuyau d'évacuation des WC est desserré. Fixé sur la vanne avec 2 colliers Serflex qui sont desserrés, la surpression de l'eau quand le bateau navigue tribord amure, crée une fuite. Gilles ferme la vanne (et toutes celles du bateau par la même occasion). Avec un seau et une écope, il assèche l'intérieur avant de reprendre sa route.
Avec un grand bord vers Guernesey, il arrive à mettre le cap sur Saint Malo qu'il atteint épuisé après 48 h de navigation sans quitter la barre. Il prend une bouée devant le barrage de la Rance qu'il passera en remorque d'un semi-rigide ami.
Le lendemain, confortablement amarré, il peut chercher le problème moteur et découvre que des fils électriques se sont déconnectés sans doute suite aux chocs de la mer. Le moteur redémarre et Mayaguana peut enfin gagner son nouveau mouillage…
Les leçons à en tirer
Gilles est heureux d'avoir vécu cet épisode en mer. Cela lui a permis de prendre confiance dans son nouveau bateau et surtout de valider le fait qu'il ne panique pas. Il a toujours gardé son calme devant tous ces événements à répétition.
Il est aussi reconnaissant aux marins de la vedette SNSM Men Meur qui l'ont remorqué et l'ont aidé à remettre en état son bateau. Ce remorquage a été facturé 1200 € (2 h à 600€/h) heureusement pris en charge par l'assurance tous risques de Gilles. Cette aide, arrivée à un moment d'épuisement physique et moral de Gilles, a été vraiment bienvenue.
Gilles est heureux aussi d'avoir lu des récits qui lui ont apporté des idées à mettre en pratique en pareille situation. L'expérience des autres l'a bien aidé.
Enfin, pour Gilles la loi des séries existe vraiment. Quand un événement arrive, les autres s'enchainent souvent.
Gilles qui navigue depuis 30 ans avoue que cette aventure est de sa faute. Confiant, il n'a pas assez vérifié son voilier avant le départ. Pressé de le prendre en main, content de son achat, il a pris la mer sans doute trop rapidement. En plus, le bateau hors de l'eau n'avait pas navigué depuis longtemps. Les voiles presque neuves montraient aussi que l'ancien propriétaire ne s'en était pas beaucoup servi.
En revanche, cette aventure aura prouvé que le Dufour Safari est un bon bateau, et sur ce point, Gilles est heureux de son choix et le connait maintenant beaucoup mieux…
Plus de photo...
Son plus grand regret ? Ne pas avoir réussi à sauver son téléphone portable avec lequel il avait pris soin de prendre en photo toutes les aventures. Ces images sont désormais perdues avec l'appareil qui a pris l'eau. Ne reste que les souvenirs et la mémoire pour Gilles.