En 1982, naît à Chamonix, au pied du Mont-Blanc, celui qui fera pleinement rimer, plus tard, « skieur » et « skipper ». Il commence par glisser sur la neige, si adroitement, qu'en 2009 et 2011, il remporte le championnat du monde de ski freeride. Puis, c'est sur l'eau, qu'il s'élance, un peu par hasard selon lui ! Mais en 2011, c'est déterminé qu'il participe à la Mini Transat. En 2019, il est arrivé 5e à la Transat Jacques Vabre.
La vue
C'était durant la dernière Transat Jacques Vabre. Nous étions à une journée de l'arrivée. Ces dernières 24 heures m'ont paru assez étranges, je dois le dire. Contrastées en fait : d'un côté un bonheur incroyable, génial, d'arriver, d'avoir atteint mon objectif ; et de l'autre, une espèce de sincère tristesse que ce soit mon dernier jour en mer, que ce soit bel et bien terminé. À la tombée de la nuit, alors que les conditions de navigation étaient faciles, l'horizon m'a offert cette étonnante vision : pas un coucher de soleil, non, mais un lever de lumières au ras de la mer ! Celles de la ville tout là-bas, sur les bords d'une terre éloignée, que je ne distinguais pas encore. C'était ce qu'on appelle, me semble-t-il, la « pollution lumineuse ». Le bateau filait droit vers cette longiligne clarté orangée encadrée de noir. Durant toute cette dernière nuit, dont je garde un si joli souvenir, j'ai eu devant moi comme un coucher de soleil qui n'en finissait pas...
Le toucher
En 2011, cela ne faisait alors qu'un an que je naviguais, mais je m'étais lancé dans la Mini Transat ! Ces petits bateaux de 6,50 mètres présentent une particularité : leurs bouts sont si fins que l'on a souvent de la peine à les tenir. Ajoutez à cela le sel et l'eau… et vous obtenez des cordages qui abîment beaucoup les mains ! Je crois aussi que l'omniprésence du sel fait se développer une sorte de microchampignon sous l'épiderme… Bref, après deux jours de mauvaise météo et de mer forte, vers Madère, je me suis retrouvé à ne plus pouvoir ni ouvrir ni fermer normalement mes mains. Compliqué en pleine course ! Bref, j'avais l'impression, à chaque pression sur ma peau, que des millions de petits clous me rentraient dans la chaire. Oui, pour le moins désagréable ! J'ai passé ainsi trois jours avec des mains vraiment douloureuses. Et puis, j'ai dû me mettre des gants et finir par me masser avec de la crème adaptée que je n'avais pas cru bon d'utiliser avant… C'était ma première grande course : je ne connaissais pas encore les conditions particulières, et souvent uniques, dans lesquelles on navigue en compétition. Tout était tellement nouveau pour moi. Et j'étais si focalisé sur la performance et mon bateau, que je m'oubliais, moi. Là, en l'occurrence, je n'avais pas assez protégé mes mains. J'ai appris à prendre soin de moi comme de mon bateau, pour ne pas avoir à trop endurer pendant les courses !
L'ouïe
C'est d'un bruit démentiel dont je me rappelle tout de suite. Un bruit que j'ai entendu à l'extrême, en 2017, lorsque je courais avec Romain Attanasio la Transat Jacques Vabre.
Un bruit si intense… Nous quittions la Manche. Et après 48 heures de course seulement, nous étions déjà en pleine tempête ! La mer était démontée, et frappait violemment notre bateau tout en carbone, une vraie caisse de résonance flottante… On avait l'impression qu'elle allait le fracasser, qu'il allait s'écrouler ! J'ai trouvé ça hyper flippant, c'est sûr, mais aussi, au bout du compte, hyper rassurant également, parce que si ce bateau était capable d'encaisser ça, c'était qu'il était vraiment solide, et qu'il nous emmènerait donc jusqu'au bout ! En fait, la rigidité de ce type de bateau est aussi impressionnante que peut l'être le vacarme de l'eau sur la coque… J'ai en tête un autre bruit, très agréable celui-là. Je ne l'entends que lorsque la mer est très calme, lorsque le bateau glisse sans à-coups aucun. C'est l'écoulement, comme un ruissellement presque, de l'eau le long du safran. Avec l'habitude, et en se concentrant sur ce filet sonore si fluide, on peut parvenir à estimer la vitesse du bateau : le bruit forcit, alors nous accélérons ; il se fait plus discret, nous décélérons. C'est assez dingue, je trouve de pouvoir convertir un son en mouvement. J'adore ces moments durant lesquels j'écoute mon safran pour essayer de deviner l'avancée de mon bateau tout entier, parce qu'alors, j'ai la sensation d'être comme en osmose avec lui. Des instants très privilégiés entre lui et moi, c'est certain... Je me rappelle d'un, plus précisément : c'était lors d'une course de qualification pour la Mini Transat, une de mes premières navigations en solitaire. Je revenais d'Irlande, c'était au passage du Raz de Sein, réputé pour son fort courant et ses récifs. Quand j'y suis passé en fin d'après-midi, la météo était idéale, j'étais sous spi, j'allais dans le sens du courant justement… Et ça glissait, ça glissait… Quelle fluidité, je m'en souviens bien ! J'avais l'impression d'être sur un tapis roulant, au cœur d'une zone pourtant fameuse pour ses conditions de navigation compliquées. Et dont j'avais moi-même entendu parler de nombreuses fois en ces termes. Mais, moi, je n'ai entendu alors que ce petit bruit hyper agréable… !
Le goût
J'ai découvert que c'est un sens qui me procure des sensations différentes quand je suis en mer ou à terre. Prenons le petit salé aux lentilles : je n'en mange jamais quand je suis à terre, et sans doute d'ailleurs n'aimerais-je pas vraiment ça. Eh bien, en course, c'est le contraire : c'est mon plat préféré que je me garde précieusement pour les moments difficiles. Pour me requinquer, je ne choisis pas du sucré, mais du petit salé ! Je prépare le plat en salivant d'avance. Ce goût, je sais qu'il va me faire du bien, qu'il va me réconforter, à tous les points de vue. Et je déguste. Je pense que la première fois que j'en ai mangé, c'était lors de la Mini Transat de 2011, alors que j'étais au bout du rouleau. Je ne parviens pas à savoir vraiment pour quelles raisons ce sens change tant. C'est vrai que l'on a un rapport différent à la nourriture quand on est en mer. Peut-être aussi que nos sens, nos sentiments étant intenses en mer, cela influe sur notre perception gustative ? Je l'avoue, je ne m'explique pas très bien tout ça…
L'odorat
Quand je quitte le rivage, je quitte aussi ses odeurs, celles liées à la végétation, à la pollution, à la terre, et bien d'autres encore. Plus je m'éloigne, plus elles s'atténuent. Jusqu'à disparaître. Jusqu'à finalement être remplacées par d'autres, moins intenses sans doute, moins nombreuses, c'est certain : le sel, l'iode, le poisson, l'humidité… Voila tout. J'ai estimé à 48 heures environ, le temps de navigation après lequel, on est « dépollué » des odeurs terrestres, après lequel on respire l'air du large. Enfin… car c'est lui aussi qui me fait prendre le large. Si je pars en mer, c'est pour cette sensation de n'être plus soumis, de liberté qui passe par tous les sens, dont l'odorat qui a son rôle à jouer aussi là-dedans. Et puis, perdre de vue, si je peux dire, ces odeurs liées à la terre, permet, une fois la traversée effectuée, de mieux les retrouver !
D'une glisse à l'autre…
Parcourir la montagne à ski et parcourir la mer en voilier, c'est assez différent du point de vue de l'ouïe. Ce que l'on recherche en partant vers les sommets, c'est plutôt cet incroyable calme qui règne là-haut. Et l'hiver, la neige assourdit plus encore les bruits. Les seuls que l'on peut discerner, c'en sont de petits comme un mousqueton que l'on referme, par exemple. En mer, ça n'est pas vraiment la tranquille plénitude, l'apaisement, que l'on veut trouver, me semble-t-il. Au point de vue de l'odorat, au contraire, je pense que mer et montagne se ressemblent. Dans les deux cas, on quitte les odeurs, d'en-bas comme de là-bas, et on en trouve d'autres en haut et sur l'eau. Et si on perçoit ces dernières qui ne sont pas, en fait, si intenses, c'est surtout parce qu'elles nous déshabituent des premières ! Pour la vision, la similitude est aussi à souligner entre mer et montagne, haute montagne, je précise. Parce que, depuis les sommets, on peut voir si loin… comme sur les océans. Et puis, on peut aussi admirer un panorama à 360°. Et souvent, on est seul, ou presque, à bénéficier de ce point de vue là, à ce moment-là. C'est toujours un moment assez unique. Ca n'est pas comme un énième coucher de soleil, même joli, vu de chez soi, comme tous les soirs de beau temps. Pour ce qui est du toucher, il y a bien sûr le froid qui peut être commun. Mais je vois aussi une vraie différence. En montagne, on est plus en lien avec la nature même. Bien sûr, on utilise du matériel métallique, textile, mais on est avant tout lié à la terre : on pose ses mains, ses pieds, ses genoux sur du rocher, de la glace, de la neige… On est en contact direct, tactile avec la nature. En mer aussi, bien sûr, on est connecté aux éléments, mais il y a le bateau qui apparaît comme une sorte d'interface plus artificielle.
Et la peur ?
Je l'ai ressentie au cours de ma première année, assez folklorique vous allez le comprendre, de voile. J'ai alors plusieurs courses de qualification à effectuer sur mon prototype de 6,50 mètres. Lors de l'une d'elles, en solitaire, je dois aller virer derrière la bouée Coningbeg dans l'Est de l'Irlande. Au retour, en fin d'après-midi, c'est la panne complète d'électronique : je n'ai plus de GPS, plus de compas, plus d'anémomètre, plus de girouette, plus de speedo, plus d'outils de communication. Pour moi qui me référais beaucoup à ces outils, ça tombe mal… Et côté expérience maritime, je ne suis pas encore trop aguerri ! Je passe donc une horrible nuit à me poser énormément de questions, à me morfondre même. Je crois que là j'ai vraiment eu peur. En fait, je ne savais absolument pas comment j'aillais pouvoir revenir, ou que ce soit d'ailleurs… c'est ça qui m'a fait paniquer, ne pas savoir. Et comme je n'avais jamais pensé ce genre de panne possible, je n'avais rien anticipé. Le matin, sans doute un peu reposé malgré tout, ça allait mieux. Et les heures passant, je suis parvenu à surmonter mon angoisse : je me suis remis dans la peau d'un marin, et ai retrouvé une certaine confiance en moi. Le bénéfice de tout ça, c'est qu'en seulement une nuit et son lendemain, j'ai gagné cinq ans d'expérience !