Né à Périgueux, c'est en Guadeloupe qu'il grandit, là où se sont installés ses parents, professeurs d'équitation. C'est lors de vacances en Bretagne, à l'âge de 9 ans, qu'il découvre véritablement la voile. Aujourd'hui, à 42 ans, il est devenu un skipper expérimenté. Pour preuve, sa deuxième place à la dernière Transat Jacques Vabre de 2019, dans la catégorie Multi 50.
La vue
C'est le cinquième jour de la dernière Route du Rhum… et je sors enfin d'une série de violentes dépressions ! Devant moi, un temps plus clément. S'annonce une journée ensoleillée. Quelques nuages oui. Quatre à cinq mètres d'une houle, ronde et assez agréable, levée par un vent qui souffle à 20 ou 25 nœuds, certes. Donc une navigation un peu rock'n'roll, tout de même… Mais, c'est un vrai répit pour moi, par rapport à ce que j'ai traversé juste avant ! Je reprends la barre, pour retrouver le plaisir de naviguer. Et aussi celui de courir : je veux montrer aux autres skippers que je suis premier, que tout s'est bien passé et se passe bien pour moi, et que je compte bien rester en tête ! Le bateau surfe fort sur certaines vagues. Il me paraît très vivant. Il change d'assiette selon la vague qui le soulève alors. Ce qui modifie sans cesse l'ambiance d'ailleurs. La dérive, par exemple, qui siffle toujours fort, semble changer de note, un peu comme sur une guitare quand on pince différentes cordes. Le bruit varie en intensité selon la vitesse. Parfois, sur mon visage un peu d'eau, et d'autres fois, sur moi en entier, quelques seaux ! Comme je suis près des Açores, ce que je reçois de la mer est plus chaud et aussi plus salé. Ça brûle un peu au bout des doigts à cause de la cristallisation, mais… Mais, ce moment de navigation reste alors un vrai plaisir pour moi. Après ce que j'ai traversé, prendre soin du bonhomme et de son bateau, ça fait, tout simplement, beaucoup de bien ! Je dormirais bien un peu, parce que pendant la dernière dépression, je n'ai pas vraiment fermé l'œil. Je n'ai pas plus mangé d'ailleurs... Mais même si les conditions sont meilleures, elles ne sont pas encore stables. Il me faut rester vigilant… D'autant plus qu'à l'horizon, je crois bien voir avancer vers moi un grain. Et aussi un cargo qui suit une route convergente. C'est au moment où je m'en rapproche vraiment que le grain me tombe dessus. Je ne vois alors plus à 100 mètres devant moi. Le vent tourne et il me faut changer de trajectoire. Mais plus rien devant les étraves. Plus de cargo… Je lâche alors la barre pour aller regarder les écrans et voir si ce dernier était encore visible à l'AIS. Quand on est fatigué – et je l'étais, c'est certain ! - on perd vite ses repères. Et vient un moment de stress, qui est aussi salutaire, car on se ressaisit. La leçon de cette vision d'un cargo qui semble avoir disparu, c'est que, même pendant un moment de détente relative, la vigilance est toujours de mise… Également, que de dormir et de s'alimenter, ça peut toujours servir !
Le toucher
Reprenons la même course, mais quelques jours après le passage des dépressions. La mer est plus calme et surtout le bateau avance dans son sens. Rien à voir donc avec les vagues déferlantes des jours précédents. Ni avec les coups que je me donnais tout seul, dans la cabine, tant j'étais brinquebalé en tous sens ! Rien à voir non plus avec le froid humide qui transperce même avec un bonnet qui tombe au ras des sourcils et un cache-nez qui monte jusqu'aux cernes ! Tout est maintenant plus fluide, apaisant, serein… Je fais le cormoran : je m'allonge et ouvre mes bras, comme lui, ses ailes, pour les sécher. Le soleil me chauffe doucement la peau. Délicieux. De la luminothérapie sans doute ! Je décide alors d'aller me changer, de quitter ces vêtements bien humides depuis quelques jours déjà. Le but est d'en remettre de bien secs, sans qu'ils touchent un quelconque endroit mouillé de la cabine… pour conserver le plus longtemps possible cette si douce sensation d'être « au sec ». Ça n'est pas si facile, car un bateau n'est jamais immobile… Alors, après avoir mis du talc sur mes fesses – pour limiter les boutons, un calvaire pour les skippers… – je fais la danseuse ou joue à l'équilibriste, comme vous voulez : ne pas tomber pour ne pas humidifier mon caleçon. Et j'y arrive. Quel bien-être assuré ! Ensuite, les bottes : je les place sur le pont pour les faire sécher. Et pendant ce temps-là, doigts de pieds en éventail… le pied justement ! À ce moment-là, je suis le roi du pétrole !
L'ouïe
Mon voilier est très sonore et ça résonne beaucoup dedans. Ça n'est pas toujours très confortable, à vrai dire. Pourtant les bruits sont pour moi sources d'informations, sur le bon ou le mauvais fonctionnement de mon bateau. Je dois donc y porter grande attention. Mais un jour, pendant la Route du Rhum, alors que j'étais vraiment épuisé, mes oreilles m'ont joué un sacré tour ! J'entendais un bruit sourd et grésillant, qui ressemblait à une émission de radio avec un son étouffé, assourdi comme si le poste était planqué sous un coussin ou oublié dans un sac. Pendant un quart d'heure, j'ai cherché sur le bateau un transistor, une VHF, un téléphone mal raccroché… Bref, un objet qui pouvait émettre des paroles ! Je jouais presqu'à « tu chauffes, tu refroidis » pour réussir à le trouver. Mais nulle part dans mon bateau, ça n'a chauffé assez ! J'ai dû me rendre à l'évidence : ce que je cherchais n'existait pas… J'ai été victime de ce qu'on appelle une hallucination acoustique : j'avais inconsciemment converti des bruits en paroles ! J'ai trouvé ça très troublant, je vous l'avoue. Je n'avais jamais vécu ça avant… Il y a un autre bruit qui me revient en tête : celui du téléphone satellite que l'on a à bord. Ça n'est pas tant la sonnerie qui est marquante, mais le comportement qu'elle provoque chez moi quand je l'entends ! Comme tous les skippers, j'ai des rendez-vous précis et obligatoires avec l'organisation pendant les courses. Mais il peut y avoir des décalages dans le planning si des concurrents, par exemple, ne répondent pas - et agréables aussi parce que ça me raccroche à la terre ! Je ne reste pas planté à côté du téléphone… Je continue de naviguer ! La sonnerie n'est ni très stridente, ni très forte, alors que le bateau, lui, est toujours bruyant. Et puis, il est à l'intérieur pour être protégé. Bref, ça n'est pas évident de l'entendre. Alors, quand je perçois la sonnerie… À terre, je me dis qu'il y aura toujours ma messagerie pour me remplacer. Mais en mer… Eh bien, je cours sur mon bateau !
Le goût
Avant de partir, à terre, je m'alimente le plus normalement possible, de façon équilibrée, sans faire d'excès, sans alcool, sans petits plaisirs culpabilisants… L'ambiance gustative, à ce moment-là, est plutôt « athlétique » ! Le jour du départ est un peu compliqué. Ça commence par un petit déjeuner frugal. Et ça continue par un déjeuner… Un déjeuner qu'en fait je me demande toujours quand prendre : le départ de la course, souvent vers 13h, n'est pas très pratique pour ça ! Il est vrai aussi que mon estomac n'est pas forcément prêt à digérer au moment où l'excitation et le stress sont bien présents. Les premières heures, voire les premiers jours, je suis au contact avec les autres concurrents. Je m'alimente mal. Ce n'est pas à ce moment-là que j'envisage de cuisiner : c'est donc plats lyophilisés que j'avale sans plaisir et en partie seulement ; et puis barres de céréales ou autres coupe-faim énergisants qui me font verser dans le grignotage ! Et, pour peu que les conditions de navigation soient dures, j'ai encore moins la tête à manger. Lors de la dernière Route du Rhum, ça a été plus radical encore puisque j'ai eu le mal de mer ! Je ne sais pas pourquoi ; je n'y suis pas sujet normalement. Je suis rentré dans un enchaînement un peu compliqué : un estomac en pagaille, des vomissements, une envie de manger qui s'amenuise, une nécessité pourtant de le faire pour garder la forme… Dès que la météo s'apaise, et que je retrouve un peu de confort, je déballe mes petits plaisirs : des fromages, des morceaux de viande séchée sous vide, notamment du délicieux jambon de pays un peu fumé. Je me fournis, avant le départ, chez de très bons producteurs à côté de chez moi. Ce qui me plait vraiment, c'est de me préparer, quand le soir arrive, un petit apéro : tartiner de l'houmous ou des rillettes artisanales sur des cracottes aux céréales, ça me donne l'impression de me mettre en cuisine ! C'est un plaisir gourmand très simple, mais si savoureux… Le petit « poc » quand j'ouvre le pot de rillettes, ce que je vois alors apparaître, la texture de ce que j'étale avec mon petit couteau, puis le craquant suivi du mou quand je déguste, la vraie mastication ensuite… Tout ça me ravit. Surtout quand j'ai exagéré avec le sucré avant, parce que le grignotage c'est avant tout du sucre, et que j'en suis plus que lassé !
L'odorat
J'ai de bons souvenirs olfactifs de rivages, comme celui de Corse avec ses effluves de maquis. Mais j'en ai aussi de moins réjouissants : l'odeur laissée par un cargo derrière lui, longtemps après son passage, fait réfléchir, je vous assure. D'autant plus que quand on est au large, le contraste entre le peu d'odeur de la mer et le trop-plein de ces navires est si fort. Après une course, quand je reviens le lendemain de l'arrivée pour faire le ménage, les effluves qui sortent de mon bateau sont pour le moins intenses… Et pas vraiment dans le bon sens ! Le bateau n'est pas ventilé comme en mer, et parfois il fait chaud à terre… Bref, si en mer, on ne se rend pas bien compte de ces odeurs, une fois arrivé, c'est bien différent !
Et la peur ?
Jamais, jusqu'à aujourd'hui, je n'ai ressenti de peurs vitales. Mais de quoi susciter de vives émotions, oui, bien sûr ça m'est déjà arrivé. Par exemple, en 2016, lors de The Transat qui mène de Plymouth, au Royaume-Uni, à New York, en solitaire sur mon Class40. J'en étais à la deuxième ou troisième dépression. Le vent soufflait à 50 nœuds, et jusqu'à 57 en rafale. C'était la nuit. J'étais vent arrière, un peu surtoilé. Et le bateau a commencé à accélérer. Il n'était plus temps de réduire la voilure… Le bateau fuyait en avant. Il allait à plus de 27 nœuds. J'ai mis le pilote automatique et suis allé m'abriter dans la descente. Bien sûr, le bateau pouvait à tout moment partir au tas. Mais que faire ? Attendre, de mon point de vue, juste attendre que ça passe… J'aurais pris plus de risque, je pense, à tenter une quelconque manœuvre. Se dire aussi bien sûr que ça va « bien » se passer. Je n'avais plus le contrôle de toute façon, je subissais. C'était stressant bien évidemment, mais étonnamment aussi assez excitant. J'ai accepté, tout en restant très attentif. J'ai fait le dos rond.
Au cours de la même course, quand je suis rentré dans le Gulf Stream, j'ai ressenti une peur intense aussi, mais plus soudaine. La mer était particulièrement hachée. C'était la nuit et j'étais dans la cabine. A un moment, deux vagues un peu fortes se sont croisées, et ont formé une montagne d'eau devant le bateau… Et bien sûr, derrière, il y avait un précipice. Le bateau a chuté de deux ou trois mètres sans même toucher l'eau. Moi j'ai volé dans la cabine, en même temps que j'entendais un crac énorme au moment de l'amerrissage. Aussitôt, j'ai pensé au démâtage, à la fin de la course, mais aussi à la marmite dans laquelle nous étions et qui n'était pas un endroit idéal pour se retrouver dans une situation délicate… Je me faisais déjà un film ! À travers la nuit, j'ai vu que le mât était encore là, mais qu'il n'y resterait peut-être pas longtemps, car la structure du bateau, dont celle qui soutient le mât, était fracturée. Finalement, après avoir contacté l'architecte du bateau, je lui ai fabriqué une attelle !
Cette fois-ci, c'était pendant la dernière Route du Rhum. J'ai dû m'arrêter aux Açores pour une avarie. Réparation faite, je repars. Mais le problème se reproduit : impossible de réduire la grand-voile qui est bloquée en tête de mât. Je ne peux plus sécuriser la marche de mon bateau alors justement que les Alizés arrivent… Pas d'autres choix que d'aller voir ce qui se passe là-haut. Et « là-haut », c'est au bout du mât, à 22 mètres au-dessus du pont. Au port, je me suis entraîné bien sûr… Mais sur quelques mètres seulement et sans que le bateau ne bouge d'un centimètre ou presque ! Je me déroute pour me mettre plus au calme. Je m'équipe et j'entame mon ascension. Mais un mât, c'est lisse, très lisse. Et puis, comme je n'ai jamais fait d'escalade, je me demande si tout cet attirail peut vraiment me retenir… Alors, je m'accroche comme je peux, sans doute plus que nécessaire. Je sens mes orteils dans mes bottes se crisper. Je découvre des muscles profonds dans mon corps dont je n'imaginais même pas l'existence. Au stress s'ajoute donc un effort physique intense. Quarante minutes avant que je n'atteigne enfin le sommet. Une demi-heure de plus « sur place » à être brinquebalé sans arrêt, car, quand on est perché sur une tige à plus de 20 mètres, le moindre petit mouvement en bas, prend une ampleur tout autre en haut ! Redescendu, je dois ensuite réparer et rehisser plusieurs fois la voile en m'assurant que les systèmes fonctionnent. Quatre heures d'efforts énormes entre monter, réparer, redescendre sur le pont du bateau, affaler et hisser la grand-voile à nouveau en prenant un ris… Je suis cuit physiquement.
Lors de la dernière Transat Jacques Vabre de 2019, je me suis offert une drôle de sensation... plutôt flippante. Après mon quart, je descends m'allonger dans la cabine. Alors que je me déshabille, je sens soudain le bateau accélérer… Et j'entends mon coéquipier me crier de venir. Le bateau est en train de planter. Et moi, je me retrouve violemment projeté sur une cloison. Au même instant, une bouteille d'eau fait de même, sans que je la voie, écrasée par un sac qui a volé. Elle produit alors un terrible bruit de craquement qui me fait croire que je me suis fracturé des os. Douloureuse pensée bien sûr. Qui s'ajoute au vrai choc que je viens de subir : je ne parviens plus, sur le moment, ni à respirer ni à parler. Et mon coéquipier qui m'appelle… sans obtenir de réponse ! Finalement, j'ai retrouvé souffle et voix !